lundi 3 avril 2023

Mon absente au TNS: La mère sur son autel, les enfants sacrifiés?

 Cela commence dans le noir, avec un grondement dans les basses, comme un orage ou un tremblement de terre, comme souvent ces derniers temps dans les pièces de théâtre. La fin du monde serait-elle proche? En tout cas la fin est là, puisque ce qu'on devine au fur et à mesure dans cette pénombre qui ne se dissipera presque jamais au cours des deux heures que dure la dernière pièce de Pascal Rambert Mon Absente, c'est le cercueil qui est celui de cette absente. 


Mon absente - Pascal Rambert - Photo: Jean-Louis Fernandez


Ce cercueil posé sur son support et entouré de fleurs, personnage principal et muet est au centre d'un vaste espace vide, entouré d'un bordure ovale noire et de rideaux noirs qui l'encerclent. Dans le cercueil se trouve cette mère, ou grand-mère, belle-soeur, à qui l'on rend une dernière visite sous forme d'hommage double, à la fois adieu et rappel. Ainsi, dans un long défilé recommencé, souvent en deux stations, les proches vont, la plupart du temps en tête-à-tête, ranimer leurs souvenirs puis prendre un congé définitif de la défunte. Ils vont l'invoquer, la convoquer, la provoquer, la solliciter, la houspiller, la prier, la célébrer, la chérir, la haïr, jusqu'à la battre. Mais elle reste murée dans son silence, même si l'on veut croire qu'elle répond, par sms au téléphone ou à travers le chant des oiseaux. 


Mon absente - Pascal Rambert - Photo: Jean-Louis Fernandez


La pièce a été spécialement écrite pour les artistes associé(e)s au TNS à la demande de Stanislas Nordey. Et ce sont donc les fils, Laurent (Sauvage), Claude (Duparfait), Vincent (Dissez), et pour finir, Stan (Stanislas Nordey) ainsi que la fille Audrey (Bonnet) - pour les artistes associés - auxquels se rajoutent les actrices et acteurs qui sont sorti(e)s de l'école du TNS dans le Groupe 44 et que Pascal Rambert a rencontré(e)s pour sa pièce Mont Vérité. S'y est encore rajoutée Mata (Gabin), la "belle-mère" de Houédou (Dieu-Donné Parfait Dossa), le fils "africain" de l'Absente.


Mon absente - Pascal Rambert - Photo: Jean-Louis Fernandez


Pascal Rambert a écrit des personnages sur mesure pour ces actrices et ces acteurs, taillant un costume pour chacun , à l'image de Claude, engoncé dans son costume un peu étriqué, gêné aux entournures, mal à l'aise et mal aimé, plein d'emphase mais étroit dans ses pensées et qui reproche à sa fille - Claire (Toubin), ses choix de compagne - Ysanis (Padonou). Laurent débordant de désir et d'être ailleurs, Audrey fusionnelle et presque chamane, pleine d'amour (et suicidaire?), faisant le lien avec toutes et tous. Vincent, à part dans sa singularité, son originalité, offrant une dernière (déca)danse à l'absente sur un tube de Kate Bush qu'elle chérissait. Et pour finir, Stan, celui qui se fait attendre, qui porte la part noire de l'héritage et toute sa violence, qui se traduit en maladie et s'exprime en haine contenue envers la mère mais aussi les autres. 


Mon absente - Pascal Rambert - Photo: Jean-Louis Fernandez


Tous ceux-là - et les autres personnages - petites-filles, belle-mère et autre - font revivre, resurgir un personnage haut en couleur, une femme écrivain, féministe, alcoolique, vivant dans un appartement immense (250 m²) du Bd Haussmann qu'elle refuse de chauffer et dans lequel elle écrit, dans son "trou", une pièce haute sans fenêtre, juste un oeil-de-boeuf, juste au-dessus de l'appartement d'un autre écrivain célèbre (Proust, non cité). 


Mon absente - Pascal Rambert - Photo: Jean-Louis Fernandez


Une vie étrange, faite de voyages, et de maris, en Afrique (Ouagadougou), de souvenirs, d'objets, de mots dits ("vieille(s?) canaille(s?)). Une vie difficile, voire impossible à reconstituer, puisque comme le dit Pascal Rambert, "les souvenirs sont tous contradictoires".  Mais ces paroles permettent de reconstituer des événements de la vie d'une famille, des couples, des relations d'amour ou d'amitié et des moments graves, comme la perte d'un être cher. Et éventuellement, pour le spectateur de mettre en perspective des événements similaires qu'il a vécus à un moment ou à un autre, ou de lui faire entrevoir à quoi il peut s'attendre un jour. On ne lui souhaite pas la même chose, bien sûr.

 

Mon absente - Pascal Rambert - Photo: Jean-Louis Fernandez


Notons que la pièce n'est pas déconnectée de notre monde actuel, avec l'irruption du téléphone et des sms, non sans une dose d'humour, ni des problèmes politiques, en Afrique, avec les questions de terrorisme ( "la terre, la guerre") qui apparaissent au détour d'un dialogue. La scénographie et la mise en scène concourt à la force de la pièce et les éclairages d'Yves Godin, tout en finesse de variations modulées ainsi que le "tapis" musical d'Alexandre Meyer participent à cette ambiance de recueillement intériorisé.


La Fleur du Dimanche


Mon Absente


Au TNS du 28 mars au 6 avril 2023 -   /!\ Attention horaire: 19h00

Texte, mise en scène et installation Pascal Rambert*
Avec
Audrey Bonnet*
Océane Caïraty
Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa
Vincent Dissez*
Claude Duparfait*
Mata Gabin
Stanislas Nordey
Ysanis Padonou
Mélody Pini
Laurent Sauvage*
Claire Toubin
Lumière Yves Godin
Costumes Anaïs Romand
Musique Alexandre Meyer
Collaboration artistique Pauline Roussille
Régie générale Alessandra Calabi
Régie lumière Thierry Morin
Régie son Chloé Levoy
Régie plateau Antoine Giraud
Habilleuse Marion Regnier
Répétiteur Davide Brancato 


* Audrey Bonnet, Vincent Dissez, Claude Duparfait, Pascal Rambert et Laurent Sauvage sont artistes associé·es au TNS.
Production structure production, Châteauvallon-Liberté, Scène nationale
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Théâtre national de Bretagne à Rennes, Châteauvallon-Liberté, Scène nationale
Avec le soutien d’Extrapôle
Remerciements Yanne Lefèvre Lempereur, Carrier Feige Renaud pour le prêt des tréteaux, Les Menuiseries Ariégoises et Sapi Funéraire pour le cercueil
Le texte Mon absente est à paraître aux éditions Les Solitaires Intempestifs.
Les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS
Création le 23 mars 2023 à Châteauvallon-Liberté, Scène nationale

    

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