mardi 15 novembre 2022

La Septième au TNS: L'infini débordant de vie(s) par Pierre-François Garel et concue par Marie-Christine Soma

 C'est assez rare de citer un comédien dans le titre d'un billet, en tout cas pour moi. D'ailleurs, je ne pense pas l'avoir fait depuis le début de ce blog il y a plus de onze ans, sauf pour Lazare, mais lui est metteur en scène et auteur également. Ici, avec La septième, une création à partir du roman 7 de Tristan Garcia par Marie-Christine Soma, nous avons une pièce, une vraie pièce de théâtre qui nous tient en apnée pendant plus de deux heures, suspendus à la parole de ce comédien fabuleux, Pierre-François Garel qui interprète ce narrateur jamais nommé qui raconte ses sept vies. Nous l'avions déjà vu dans une précédente pièce de Marie-Christine Soma, La Pomme dans le noir et dont je soulignais déjà la "magnifique interprétation tout au long des deux heures et demie" à l'époque. Car déjà pour "La Pomme..." Marie-Christine Soma avait adapté un roman. Et elle ne change pas une formule qui gagne et elle a raison quand elle dit à propos du roman Sept que "en le lisant, je me suis tout de suite dit qu'il y avait dans La Septième une possibilité passionnante de le faire exixter au théâtre", elle ne se trompe pas. D'autant plus qu'elle n'a pas non plus changé d'équipe, avec Mathieu Lorry-Dupuy à la scénographie (inventive), Sabine Siegwalt aux costumes (discrets et efficaces) et donc ce comédien jusqu'au bout des doigts. Sa diction, son interprétation, son jeu - il habite carrément le personnage dans la plus infime mimique, dans le plus discret geste, dans toute la gamme de sentiments qu'il arrive à faire effleurer ou exploser sur scène. Et nous sommes happés par son récit, et jamais, alors que le compte à rebours des chapitres défile lentement devant nos yeux, jamais nous n'avons  envie d'accélérer la passage du temps. Lui-même arrive à quelques fulgurances qui nous prouvent les réserves cachées qu'il recèle. Et le choix, le découpage et le rythme que Marie-Christine Soma donne à ce récit qui n'est que le septième chapitre du livre original nous emporte dans une série de vies qui nous prouvent que jamais rien n'est pareil.


La septième - Pierre-François Garel - Tristan Garcia - Marie-Christine Soma - Photo: Christophe Raynaud de Lage


Effectivement, bien que l'on sache dès le début qu'il y aura sept vies recommencées - il ne s'agit pas de se réincarner en quelqu'un d'autre, mais de revivre la même sept fois, tout en bénéficiant de la mémoire de la ou des précédentes, tout cela est très varié - et même quand c'est identique, il y a des surprise. Ce parti-pris, ce postulat de récit permet de se rendre compte à la fois que l'on n'est pas forcément maître de ce qui nous arrive ou que si l'on tente de le maîtriser, on n'est pas sûr du résultat. Et donc, soit les options choisies par le narrateur varient, soit son environnement proche ou plus général (la situation politique du pays par exemple) lui font subir un autre chemin de vie (les deux d'ailleurs). Cela donne l'occasion de s'interroger sur la mort, bien sûr, mais plus sur la mort des autres et surtout de sa (notre) relation aux autres et comment on construit la (notre) vie avec ou contre eux. Avec différentes facettes, autant l'amour, le sexe, que l'argent ou les passions destructrices, les études ou la carrière professionnelle et la politique. Mais toujours cet aspect important de la relation à l'autre, avec ces personnages récurrents, mais eux-mêmes aussi différents de Hardi (Mélodie Richard), l'amour de sa (ses) vie(s) et Fran (Vladislav Galard), son "initiateur". Ces deux personnages se retouvent "incarnés" sur l'écran, avec le narrateur jeune (Gaël Raës) - à sept ans dans de très belles images vidéo réalisées par Pierre Martin Oriol. Celles-ci donnent une étoffe et une réalité à ces personnages auxquels il est tout le temps confronté dans son récit. Et cela nous permet de nous impliquer complètement dans cette leçon de philosophie appliquée (l'auteur Tristan Garcia est également philosophe, professeur de philosophie) où nous  pouvons nous interroger sur le monde des "possibles". 

Comme le dit Marie-Christine Soma dans le livret du spectacle :

"Est-on capable de regarder de la même manière celui qui va construire et celui qui va détruire ? Il y a ces possibles en chaque être. Le fait qu’il ne soit pas exceptionnel fait réfléchir sur comment chacun de nous peut ou ne peut pas, ou pourrait mais ne veut pas, aller vers telle ou telle de ses potentialités. Qu’est-ce qui fait qu’un chemin va être pris plutôt qu’un autre ? Qu’est-ce qui peut venir activer un désir ou une action?"

Un beau programme qui peut aussi ressembler à une enquête policière ou une leçon de vie.... A voir absolument et à méditer. A déguster surtout.


La Fleur du Dimanche


La Septième


Au TNS du 15 au 23 novembre 2022

D’après 7  de Tristan Garcia
Mise en scène Marie-Christine Soma
Avec
Pierre-François Garel
A l'écran Vladislav Galard, Pierre-François Garel, Gaël Raës, Mélodie Richard
Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy
Costumes Sabine Siegwalt
Musique et son Sylvain Jacques
Vidéo Pierre Martin Oriol
Images du film Marie Demaison et Alexis Kavyrchine
Prise de son du film Térence Meunier
Électricien Mickaël Bonnet
Assistante à la mise en scène Sophie Lacombe
Assistante à la lumière Pauline Guyonnet
Le roman 7 est publié aux éditions Gallimard, 2015.
Production MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
Coproduction Théâtre National de Strasbourg
Avec le soutien de la DRAC Île-de-France - ministère de la Culture
Spectacle créé le 13 novembre 2020 à la MC93

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire