Il s'en est fallu de peu pour que la pièce de Marie NDiaye Berlin mon garçon commandée par Stanislas Nordey, après deux essais ratés fasse faux bond une troisième fois sur la grande scène du TNS. Et cela aurait été dommage. Car cette pièce est un plaisir autant esthétique que littéraire. Et, ce qui ne gâte rien, c'est aussi un plaisir intellectuel et une joie de voir ces comédiens faire prendre corps à la langue de Marie Ndiaye.
Berlin mon garçon - Marie Ndiaye - Stanislas Nordey - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Le décor, d'une simplicité extrême est en fait constitué d'un énorme écran au fond sur lequel défilent les images qui permettent de situer la scène: l'aéroport de Berlin où arrive la mère, puis le taxi et cet ensemble d'habitation Corbusierhaus conçu par Le Corbusier (qui a renié la version finale) mais dont les vues sont magnifiques et se positionnent impeccablement selon le jeu des acteurs. Et que la lumière de Philippe Berthomé qui éclaire la scène et les comédiens marie très finement pour donner la bonne ambiance. Et, lorsque l'on se retrouve à Chinon, dans la librairie "familiale", la scénographie,, et le décor symbolique d'Emmanuel Clolus garde la même force et sobriété, tout en restant inventif.
Berlin mon garçon - Marie Ndiaye - Stanislas Nordey - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Pour ce qui est des prises de vues de ce bâtiment hautement symbolique de Berlin qu'est le Corbusierhaus, elles imprègnent l'imaginaire de plein d'histoires et sont un peu un contrepoint au "rêve" de Berlin qui sous-tend la pièce, cette ville-phare où la jeunesse peut se retrouver en pleine liberté et fête sans fin. Cet imaginaire de bâtiment des années 50 "enveloppe" d'ailleurs le personnage de Rüdiger (un prénom qui renvoie autant au personnage des Nibelungen, qu'a un prénom vieillissant - tout comme la construction de Le Corbusier). Personnage surprenant et mystérieux, impeccablement interprété par Claude Duparfait, qui évolue tout au long de la pièce, mais toujours en porte-à-faux. Ce personnage et le bâtiment, et ses oiseaux, les "choucas" qui l'environnent ont une fonction et une influence duelle (d'oiseau "espion", en ami) sur la mère, qui, elle aussi va faire son chemin et changer, arriver à une position à laquelle on ne s'attend pas.
Berlin mon garçon - Marie Ndiaye - Stanislas Nordey - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Saluons la mise en scène de Stanislas Nordey au service du texte et la qualité de jeu d'Hélène Alexandridis qui passe de cette attitude fermée et hostile à une libération totalement maîtrisée et sans familiarité. Nous avons aussi un très beau couple de théâtre avec le père, Lenny (imposant Laurent Sauvage) et sa mère Esther (puissante Anne Mercier) dans un duo fusionnel et toxique. Saluons le texte da Marie Ndiaye, nullement naturaliste, qui arrive à créer cette ambiance avec une langue riche et vivante, qui commence avec des anaphores (il semble que c'est une figure de style très prisée dans le théâtre dernièrement) "Voici donc cette ville..." tout en jouant, très souvent sur des discours parallèles qui rebondissent d'un personnage à l'autre et qui remplace le" dialogue", et qui à l'extrême fait parler un personnage avec la parole de l'autre (le fils pour sa mère justement).
Berlin mon garçon - Marie Ndiaye - Stanislas Nordey - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Ce texte mouvant, tout comment le fil de cette histoire où l'on nous "promène" de Berlin à Chinon, faussement à Munich pour suivre la piste perdu de ce "garçon" qui a refusé de l'être, et qui fait planer une lourde et mystérieuses menace sur la pièce. Le mot qui a été à l'origine du livre, le point de départ, c'était "terrorisme" et ce qui émerge, ce sont les concepts de "disparition" et de "responsabilité", sous forme de question sous-jacente. Et c'est toute la force de cette pièce de nous laisser en alerte face à cette quête qui se double d'une enquête, pour se retrouver soi-même et son propre destin.
La Fleur du Dimanche
Au TNS du 9 au 19 novembre 2022
Mise en scène Stanislas Nordey
Avec
Hélène Alexandridis
Claude Duparfait*
Annie Mercier
Mélody Pini
Sophie Mihran
Laurent Sauvage*
Collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau
Scénographie Emmanuel Clolus
Lumière Philippe Berthomé
Son Michel Zurcher
Costumes Anaïs Romand
Vidéo Jérémie Bernaert
*Claude Duparfait, Marie NDiaye et Laurent Sauvage sont artistes associé·e·s au TNS.
Production Théâtre National de Strasboug
Le texte est publié aux éditions Gallimard dans le recueil Trois pièces de Marie NDiaye.
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS.
Spectacle créé le 16 juin 2021 à l’Odéon-Théâtre de l’Europe
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