vendredi 11 mars 2022

Les Frères Karamazov au TNS: Au nom du Père, de Dieu et de l'Amour

 Sylvain Creuzevault adapte pour le théâtre Les Frères Karamazov, le dernier roman de Fédor Dostoïevski, plus de mille pages, un des chefs-d'oeuvre de la littérature russe sinon mondiale dans une traduction d'André Markovikz dans une mise en scène ébouriffante et décoiffante. 


Les Frères Karamazov - Sylvain Creuzevault - Photo: Simon Gosselin


Une moniale aguichante (Blanche Ripoche) nous accueille en lever de rideau sur la scène en psalmodiant sur une musique interprétée en direct par Céline Hélary (flûte et piano) et Antonin Rayon (piano et synthétiseurs) alors que sur le rideau de scène défile le résumé du contexte: Le père Fiodor Karamazov qui, après avoir totalement oublié, abandonné ses enfants, Dmitri, l'ainé, d'un premier mariage (le vibrionnant Vladislav Galard), Ivan, le faux sérieux (Sylvain Creuzevault himself) et le cadet Alexei, dit Aliocha (Arthur Igual pince-sans-rire) qui s'est retiré comme novice dans un monastère. C'est d'ailleurs dans ce monastère que s'ouvre la pièce, dans un décor qui fait plutôt dans la suggestion de l'ambiance avec un espace circonscrit de palissades blanches où s'ouvrent de temps en temps des portes ou des interstices laissant apparaître les protagonistes.

 

Les Frères Karamazov - Sylvain Creuzevault - Photo: Simon Gosselin


Et c'est entre le starets, patriarche de ce monastère (hiératique Sava Lolov) et le père Karamazov (Pétulant Nicolas Bouchaud) qui lance la machine à bride abattue. Et le rythme ne faiblit pas et les rebondissements et volte-face se succèdent, les embrouilles familiales, les problèmes d'argent, les questions d'amour, de fidélité, l'amour-propre, l'honneur, la jalousie, la honte, la commisération, les stratégies et retournements, tout et son contraire se déroule sous nos yeux, balançant entre sérieux désespoir et comique. 


Les Frères Karamazov - Sylvain Creuzevault - Photo: Simon Gosselin


Que ce soit des questions de foi ("Si Dieu est mort, tout est permis"), de relations filiales et familiales ("Pères, n'exaspérer pas vos enfants") ou pour l'amour et la jalousie - magnifiques scènes à rebondissements entre autres dans les relations avec Katerina Ivanovna (également Blanche Ripoche, supérieure)  impitoyable. Ou encore celle avec Grouchenka (Servane Ducorps inénarrable de naturel branché) que ce soit entre elle et son adversaire féminine, ou avec les deux frères Dmitri le versatile et Alexei le naïf pour ne pas dire le niais.  Nous assistons donc à toute une variété de situations qui interrogent la foi, l'amour, le pardon, le sacrifice, la vengeance pour aboutir.... à un meurtre!


Les Frères Karamazov - Sylvain Creuzevault - Photo: Simon Gosselin


Entracte: Et pour rester dans la philosophie de la pièce où tout aboutit à son contraire, l'entracte n'en est pas un puisque l'on assiste à un tableau de présentation des hauts-faits du tsarets et un concert puis l'on entonne des chansons en partageant des bières.


Les Frères Karamazov - Sylvain Creuzevault - Photo: Simon Gosselin


La deuxième partie se déroule d'abord derrière un mur de verre dans une ambiance un peu psychédélique puis l'on assiste à un simulacre de procès (c'est le meurtre du père) avec reportage retransmis sur des télévisions dans un décor glacial - il fait moins 7 degrés, la neige, le givre recouvre les manteaux. Le (faux) coupable sera condamné suite à un témoignage favorable et le (vrai) coupable se suicidera, révélant que comme les Mousquetaires, les Frères Karamazov étaient bien quatre. Et la pièce s'achève par la cérémonie de l'enterrement de l'enfant du pauvre Snéguériov (Frédéric Noaille) qui est mort pour avoir intériorisé et assumé la honte de l'affront que l'on a fait à son père.


Les Frères Karamazov - Sylvain Creuzevault - Photo: Simon Gosselin


On notera que la mise en scène de Sylvain Creuzevault met en lumière dans ce spectacles les thèmes et les questions soulevés par Dostoïevski  qui présagent l'avenir, que ce soit la question de la foi et de l'athéisme, du pouvoir et du communisme. Et l'on peut aussi noter que, par rapport au meurtre du père et aux questions de transfert, très peu de temps après - le roman est paru en feuilleton de 1879 à 1880 - Freud fonde la psychanalyse avec la théorie du transfert à la fin du dix-neuvième siècle. Et tout cela avec un humour magistral.


La Fleur du Dimanche        


Les Frères Karamazov

Au TNS du 11 au 19 mars 2022


D’après Fédor Dostoïevski
Traduction André Markowicz
Adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault
Avec Nicolas Bouchaud, Sylvain Creuzevault, Servane Ducorps, Vladislav Galard, Arthur Igual, Sava Lolov, Frédéric Noaille, Blanche Ripoche, Sylvain Sounier
et les musiciens Sylvaine Hélary, Antonin Rayon
Dramaturgie Julien Allavena
Scénographie Jean-Baptiste Bellon
Lumière Vyara Stefanova
Musique Sylvaine Hélary, Antonin Rayon
Son et régie générale Michaël Schaller
Vidéo et régie plateau Valentin Dabbadie
Maquillage Mytil Brimeur
Masques Loïc Nébréda
Costumes Gwendoline Bouget
Régie lumière Jacques Grislin
Production Le Singe
Coproduction Odéon - Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne à Paris, Théâtre national de Strasbourg, L’Empreinte - scène nationale Brive/Tulle, Théâtre des 13 vents - centre dramatique national de Montpellier, Théâtre de l’Union - centre dramatique national de Limoges, La Coursive - scène nationale de La Rochelle, Bonlieu - scène nationale d’Annecy
Avec le soutien de l’OARA (Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine)
La compagnie est soutenue par le ministère de la Culture / DRAC Nouvelle-Aquitaine
Administration de tournée Anne-Lise Roustan
Production et diffusion Élodie Régibier
Nicolas Bouchaud est acteur associé au TNS
Les Frères Karamazov de Fédor Dostoïevski, traduction André Markowicz, est publié aux éditions Actes Sud, 2002
Spectacle créé le 20 cotobre 2021 à l'Odéon-Théâtre de l’Europe

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