Le vocabulaire nous a prévenu, nous allons assister à une pièce de Marivaux. Mais que l'on ne s'y trompe, le mot est, au mieux, simplifié, au pire perverti. D'ailleurs, connaissez-vous le prénom de Marivaux ? Eh oui, on croit connaître l'écrivain mais il se cache derrière ce nom simplifié comme un pseudonyme, car, je ne vous fais pas languir plus avant, son vrai nom est: Pierre Carlet, de plus, il change de nom en entrant à la faculté de droit et devient Pierre Decarlet. Et il signe (enfin) Carlet de Marivaux, et son nom grossit encore d'un nom de famille de son cousin maternel avec Chamblain pour arriver à Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux.
La seconde surprise de l'amour - Marivaux - Alain Françon - TNS - Photo: Jean-Louis Martinez |
Mais restons-en à Marivaux et ses marivaudages, autre piège à langage. Ne les prenons pas pour des badinages, ce sont choses sérieuses et même choses très sophistiquées autant dans la forme que dans le fond, dans le style et la grammaire que dans le sens. Effectivement, cela peut nous chatouiller les oreilles d'entendre des subjonctifs passés et des tournures de phrases archi-sophistiquées. Mais rendons grâce à Alain Françon qui dompte ce texte et ses soubresauts, de même que ses glissements en flots maîtrisés comme l'on dompterait des chevaux fougueux.
La seconde surprise de l'amour - Marivaux - Alain Françon - TNS - Photo: Jean-Louis Martinez |
Grâce soit rendue également aux comédiennes et comédiens, surtout Georgia Scalliet qui interprète magistralement dans la douleur, les pleurs et la joie et les rires, cette Marquise éplorée, veuve inconsolable qui se laisse rapter par Amour inattendu qui lui fond dessus. De même pour Pierre-François Garrel, qui campe un chevalier démoralisé, puis déboussolé en passant par des sentiments contradictoire mais néanmoins humains d'amitié et de perte de maîtrise de soi. De son côté, la silhouette altière du Comte, joué avec une grâce diaphane par Alexandre Ruby, par qui le danger arrive par le jardin et qui cristallise les rebondissements est dans un juste décalage. Idem pour Monsieur Hortensius, le "pédant", interprété par Rodolphe Congé avec le docte sérieux totalement hors de propos et ridicule par son décalage, reflet de la critique des "Anciens" dont le "Moderne" Marivaux fut un fervent partisan.
La seconde surprise de l'amour - Marivaux - Alain Françon - TNS - Photo: Jean-Louis Martinez |
N'oublions pas Lisette, la suivante de la Marquise, magnifique et ductile Suzanne de Baecque qui, même si son langage est celui d'une soubrette, sa parole n'en a pas mois de force et c'est sa "rétorique" et ses "arguments" qui va mener - et amener - à la fois les rebondissements et surtout les chavirements de coeur pour arriver à cette "seconde" surprise de l'amour qui va frapper sa maîtresse et le Chevalier inconsolable. Nous avons gardé pour la fin, puisque c'est lui qui l'a, le "mot de la fin", Lubin, le valet du Chevalier pour qui la devise pourrait être "parlons peu, agissons", car c'est lui qui pour arriver à ses fins avec Lisette va être la cause de ce grand chamboulement des sentiments.
La seconde surprise de l'amour - Marivaux - Alain Françon - TNS - Photo: Jean-Louis Martinez |
Mais pour y arriver, effectivement, tout cela doit se passer par des dits et des non-dits, des phrases et des tournures échangées et triturées, qui, par glissement et surprises - lapsus aussi pourrait-on dire - vont mettre en place un jeu de cache-cache de l'amitié et de l'amour qui se montre sans qui l'on puisse l'énoncer. Et ceux qui se jurent amitié vont se retrouver rivaux puis ma-riés et ravaudés.
La seconde surprise de l'amour - Marivaux - Alain Françon - TNS - Photo: Jean-Louis Martinez |
Le décor de Jacques Gabel, avec ces deux perrons face à face qui permettent ces échanges multiples et répétés, le bassin, miroir de l'introspection et le jardin avec la forêt symbolique qui pourrait être le refuge du "ça" psychanalytique apportent la dynamique de l'action. Et la mise en scène - et le jeu des acteurs - qui occupant ces quelques marches qui descendent vers nous spectateurs pour nous prendre à témoin, mieux encore, nous inclure et nous englober dans le déroulement de l'action, dans les réflexions et questionnements des personnages, pour dédoubler notre surprise, nous rendre témoins actifs de ce jeu et nous faire passe des larmes au rire et au plaisir et, finalement d'obéir à Lubin qui conclut ainsi
"Allons, de la joie!"
Et nous ne pouvons qu'acquiescer!
La Fleur du Dimanche
La Seconde Surprise de l'Amour
TNS - Strasbourg - du 24 mars au 1er avril 2022
Mise en scène Alain Françon
Avec Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet
Dramaturgie et assistanat à la mise en scène David Tuaillon
Décor Jacques Gabel
Lumière Joël Hourbeigt
Costumes Marie La Rocca
Musique Marie-Jeanne Séréro
Chorégraphie Caroline Marcadé
Coiffures et maquillages Judith Scotto
Son Léonard Françon
Habillage, suivi coiffures Charlotte Le Gal
Le décor est en partie construit dans les Ateliers du Théâtre du Nord
Spectacle créé le 23 septembre 21 au Théâtre du Nord − Centre dramatique national
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