mardi 3 mars 2020

Liberté à Brême au TNS: Malaise domestique ou Amour à mort sans étiquette

La pièce "Liberté à Brême" de Rainer Werner Fassbinder pose question, dès le titre et, au TNS à Strasbourg dès l'entrée dans la salle.

Un intérieur "cosy" avec canapé à gauche et table et chaises au fond à droite d'une estrade centrale, ouvert à tous vents, avec des chaises refoulées de part et d'autre, une desserte au fond à gauche et un tableau noir énorme qui prend tout le fond de scène et sur lequel l'on voit au centre une crucifixion, mais également un "christ bon berger" et toute une série de personnages bibliques mais pas seulement, et même une formule chimique qui pourrait ressembler à du trihydrure d'arsenic, ainsi qu'une croix renversée sous la crucifixion.


Liberté à Brême - R.W. Fassbinder - Cédric Gourmelon - TNS Strasbourg - Photo: Simon Gosselin

Une petite musique légère, alerte et cérémoniale accompagne l'entrée des comédiens en scène. La plupart s'asseyant sur les chaises excentrées et Mittenberger s'assied à la table tandis que sa femme, Geesche reste debout.
"La paix..., le journal..., le café..." sont proférés sentencieusement par le mari et l'on peut se poser la question, si la paix a à voir avec la Liberté... Mais on se rend vite compte que ce n'est que l'expression d'une parole de pouvoir et que Geesche subit le pouvoir domestique de son mari. On nous situe l'action dans les années 1800 mais les costumes sont d'aujourd'hui. La situation n'a pas changé, en tout cas ce que décrit cette relation.


Liberté à Brême - R.W. Fassbinder - Cédric Gourmelon - TNS Strasbourg - Photo: Simon Gosselin

Cette situation de soumission de la femme, même si elle ressurgit tout au long de la pièce, que ce soit via le mari, d'autres hommes ou la famille (la mère, le père, le frère) ne sont pas la seule approche de lecture, le pouvoir de la femme (de Geesche) est plus subtil et varié, la séduction et la ruse, et même l'affirmation d'un caractère font de cette pièce un tableau à entrées multiples. Et l'interprétation de Valérie Dréville dans la palette variée de son jeu donne au personnage une belle richesse. De même, la mise en scène de Cédric Gourmelon et les différents modes et jeu et d'expression de l'ensemble des comédiens nous amène à un sentiment d'instabilité et de décalage des repères et des certitudes que nous pourrions avoir. Ce n'est pas juste une pièce critique, il n'y a pas que cette distanciation brechtienne auquel nous ferait penser ces "jurés" en bord de plateau, qui deviennent quelquefois "choeur" ou pleureuses. 


Liberté à Brême - R.W. Fassbinder - Cédric Gourmelon - Valérie Dréville - TNS Strasbourg - Photo: Simon Gosselin

Ce n'est pas une tragédie, ni un "drame" même si Fassbinder l'a intitulé "drame bourgeois", ni un vaudeville, ni une pièce comique. Même si les rires fusent lorsque la répétition des situations critiques - aux conséquences dramatiques - dont les spectateurs ont compris le sens s'accélère. Et nous nous retrouvons à défendre des actes indéfendables, pris au piège d'une construction qui nous fait adhérer à l'ignoble tout en nous faisant douter de nos repères et de nos valeurs.


Liberté à Brême - R.W. Fassbinder - Cédric Gourmelon - Valérie Dréville - TNS Strasbourg - Photo: Simon Gosselin

C'est toute la qualité de cette mise en scène qui nous déséquilibre et interroge non pas nos certitudes mais notre interprétation et grâce au jeu des comédiens, entre le symbolique, l'hiératique et le décalé, nous assistons à la libération d'une femme dans un monde où les règles et la morale ne sont pas figées.

Le Fleur du Dimanche

LIBERTÉ À BRÊME

Au TNS à Strasbourg du 3 au 11 mars 2020


COPRODUCTION

Texte Rainer Werner Fassbinder
Traduction de l’allemand Philippe Ivernel
Mise en scène Cédric Gourmelon
Assistanat à la mise en scène Guillaume Gatteau
Avec Gaël Baron, Guillaume Cantillon, Valérie Dréville, Christian Drillaud, Nathalie Kousnetzoff, Adrien Michaux, François Tizon, Gérard Watkins
Scénographie Mathieu Lorry Dupuy
Costumes Cidalia Da Costa
Lumière Marie-Christine Soma
Son Antoine Pinçon

Valérie Dréville est actrice associée au TNS
Le décor est réalisé par les ateliers du TNS
Le texte, dans la traduction de Philippe Ivernel, est publié chez L’Arche Éditeur

Production déléguée Réseau Lilas
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Théâtre national de Bretagne, Théâtre de Lorient – Centre dramatique national, Comédie de Béthune – Centre dramatique national, Le Quartz – Scène nationale de Brest
Avec le soutien du T2G - Théâtre de Gennevilliers – Centre dramatique national, du Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi, Scène conventionnée d'intérêt national pour la diversité linguistique et de la SPEDIDAM
Réseau Lilas est conventionné par le ministère de la Culture – DRAC Bretagne et soutenu par le Conseil régional de Bretagne et la Ville de Rennes
Création le 6 novembre 2019 au Théâtre National de Bretagne – Rennes

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