Deuxième étape du Temps Fort Corps Politiques au Maillon à Strasbourg avec Magic Maid, un spectacle de danse-performance d'Eisa Jocson et Venuri Perera qui ne manque pas d'engagement. Nous avions déjà pu goûter au charme provoquant d'Eisa Jocson en 2016 avec son spectacle Macho Dancer, et il semble qu'elle est coutumière d'une certaine proximité avec le public. Il n'est donc pas surprenant que la scène soit tri-frontale et en terme de sens, nous pouvons nous interroger si le quatrième mur, une série de balais bien rangés n'est pas une métaphore du public. La réponse viendra à la fin du spectacle ! Toujours est-il que le public se retrouve juge et témoin à la fois de ce qui se passe sur scène mais aussi dans la salle - et ce n'est pas innocent pour que les réactions - et les actions du public se trouvent ainsi incluses dans le spectacle. Le public est à la fois juge et jugé comme dans un procès.
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Magic Maids - Eisa Jocson - Venuri Perera Photo: Joerg Baumann |
Mais nous ne sommes pas dans un procès, encore que ce dont il sera question, c'est bien des droits, des droits des femmes, des droits du travail ,des droits de voyager, donc aussi de l'esclavage domestique, d'enfermement, de procès en sorcellerie et surtout des droits du quotidien où l'on s'arroge le droit sur la liberté et le travail de l'autre, dont on fait un(e) esclave moderne. La pièce commence par les trois coups - ou plutôt les cinq fois neuf coups que frappent des deux comédiennes qui ont conçu et qui interprètent cette cérémonie très politique et domestique.
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Magic Maids - Eisa Jocson - Venuri Perera Photo: Joerg Baumann |
Vêtues d'un grand manteau noir queue-de-pie, sous lequel on devine une nudité recouverte de dentelle, elles chevauchent chacune un balai dont le manche qui dépasse un peu du manteau leur fait un drôle de membre viril, leur conférant une puissance ironique. Elles vont ainsi harnachées arpenter le plateau dans tous les sens en rythme et déhanchement à droite et gauche, en avant et arrière, en symbiose avec la musique qui se met lentement en route, installant une ambiance hypnotique. Elles commencent ainsi une procession comme un voyage intérieur avant de commencer à interagir avec les spectateurs, d'abord par des regards discrets, des coups d'oeil observateurs.
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Magic Maids - Eisa Jocson - Venuri Perera Photo: Joerg Baumann |
Elles vont prendre les différents balais, balais coco ou balais d'herbes, sans manche ou avec des manches très longs et les faire tournoyer en continuant leur démarche balancée. S'ensuit une séquence de dialogue plus ou moins complice avec les spectateur où l'humour et la critique sociale alternent sur la thématique des aides ménagères ou familiales issues de l'imigration asiatique (les deux artistes viennent des Philipines pour Eisa et du Sri-Lanka pour Venuri, pays largement pourvoyeurs de ce personnel exploité et dans le privé et dans le service). C'est l'occasion de prendre compte - avec distance et ironie - de ces situations que l'on croit tout à fait naturelles et inoffensives. C'est aussi l'occasion d'interroger l'image traditionnelle de la sorcière et de la perversion sociale qu'elle a permis.
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Magic Maids - Eisa Jocson - Venuri Perera Photo: Joerg Baumann |
La complicité avec le public se met en place, même une intimité en parallèle avec les rapprochements aussi des deux interprètes et un accrochage de tous les balais sur des fils qui traversaient le plateau suivi d'une danse circulaire, toujours avec leur balais qui va ainsi disséminer en cercles blancs le petit tas qu'on les avait vu installer avant le début de la pièce, pièce qui s'achève par une distribution au public des balais qui étaient accrochés pour... je vous laisse deviner quoi faire. Et l'on est pas loin, à la fois de la dialectique de maître et de l'esclave et, sur le versant comique, de l'arroseur arrosé, en tout cas la preuve par l'exemple ou la compréhension par l'expérience. Ceux qui on raté la démonstration devront recommencer.
La Fleur du Dimanche
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