L'histoire de la pièce Le Rendez-vous, joué par Camille Cottin au TNS dans une mise en scène de Jonathan Capdevielle est une succession de rencontres et surtout de volonté et de choix. Le premier choix, qui est à l'origine du projet était la volonté de Camille Cottin de trouver un livre à adapter au cinéma. Il se trouve que le livre choisi, The Jewish Cock, le best-seller que Katharina Volckmer a écrit en anglais - il n'y a pas encore d'édition allemande - était quand même difficilement adaptable au cinéma. Et elle a donc travaillé avec Jonathan Capdevielle pour "sortir" quelques pages qu'elle va jouer dans sa mise en scène et une scénographie très originale de Nadia Lauri. Scénographie qui fait penser autant au théâtre qu'à un univers fantasmé, un genre de cocon de velours avec ces grands rideaux violet qui tombent et s'étalent sur la scène et qui en font un espace psychanalytique où s'exprime l'inconscient.
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Le Rendez-vous - Jonathan Capdevielle - Camille Cottin - Photo: Alois Aurelle |
C'est d'ailleurs par une sorte de régression, d'accouchement à l'envers, que débute le spectacle. Les spectateurs sont aveuglés par la lumière qui éblouit et indispose presque, pendant que l'on entend, sans la voir Camille Cottin qui nous parle de son rêve dans lequel elle s'incarne en Hitler. Puis la lumière baisse et s'éteint complètement, comme si nous retournions dans le noir de l'utérus, tandis que l'actrice continue de raconter son histoire. D'abord la mise en place de cette séance chez son chirurgien, en consultation préparatoire de cette opération, la greffe d'un "pénis juif" pour qu'elle puisse faire cette transition, un peu pour "sauver le Monde".
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Le Rendez-vous - Jonathan Capdevielle - Camille Cottin - Photo: Alois Aurelle |
Et quand la lumière se fait, alors que chacun peut imaginer ce qu'il veux, nous voyons enfin apparaitre le décor, ces rideaux immenses dont n'émergent que deux bouts de jambes en collant rouge, immobiles d'abord et qui s'animent, bien sûr pas de manière synchrone avec le texte, Jonathan Capdevielle étant maître de la dissociation (rappelez-vous ses pièces mises en scène par Gisèle Vienne). Et donc, bien qu'elle ne soit pas dans le cabinet de son psychanalyste - ce Jason qu'elle ne supportait pas mais où elle devait consulter quand même - cette scène symbolique des souvenirs, des analogies et des interprétations. Cette scène où les rideaux à terre respirent et vivent, créant cet espace onirique et presque surréaliste. Elle va parcourir d'autres espaces par la pensée et la parole, et aussi par l'incarnation, le jeu, la reconstitution. Elle va expliquer et justifier son geste provocateur et révéler au fur et à mesure des indices, des repères, des motivations qui vont éclairer son cheminement et cet engagement, à la fois politique, féministe et d'émancipation.
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Le Rendez-vous - Jonathan Capdevielle - Camille Cottin - Photo: Alois Aurelle |
Le texte est fort, mordant, cru, mais son jeu, la manière de le dire, presque dans la douceur du velours, lui donne une force insidieuse plus efficace que s'il avait été déclamé dans un dispositif de stand-up d'humour coup de poing. Les images frappent en s'insinuant, comme ce rêve d'Hitler, quelques souvenirs d'enfance ou la rencontre amoureuse avec K. dans les toilettes, ou encore la force des mots: le nom allemand des lèvres du vagin, "lèvres de la honte", et ce "jewisk cock" dont les explications de sens peuvent nous amener loin. C'est un voyage entre poésie et humour cinglant. Et pendant que l'on passe du cabinet médical à la jeunesse en Allemagne (un chant en hébreux chanté par et avec des enfants allemands, pour prouver que le nazisme est dépassé), à l'amour à Londres, à la sociologie du pardon, Camille Cottin endosse à merveille différents costumes. Elle bouge et danse admirablement (chorégraphie de Marcella Santander), également sur un chanson qui pourrait bien être de Nina Hagen. Pour en arriver à la révélation, l'explication finale de ce geste en quelque sorte, en tout cas de ce qui l'a rendu possible.
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Le Rendez-vous - Jonathan Capdevielle - Camille Cottin - Photo: Alois Aurelle |
Ce dernier rendez-vous, rendez-vous avec l'absent, les absents, ceux qui partent plus loin, un peu comparable au rendez-vous avec ce médecin qui, lui aussi n'apparait pas vraiment mais permet ce voyage intérieur, peut aussi se comparer avec notre rendez-vous à nous avec ce personnage qui fait son voyage intérieur, en même temps que sa transition, son geste de révolte. En nous faisant les confidents de ses pensées, réflexions et pérégrination, il nous nourrit de cette réflexion sur la culpabilité, l'identité assignée, la norme, la transformation, pour nous laisser digérer à notre rythme ce qui est bien sûr une provocation mais dont les effets doivent infuser pour ne pas nous laisser carapaçonné dans une insensibilité déshumanisée.
La Fleur du Dimanche
Au TNS à Strasbourg, du 11 au 22 mars 2025
[Adaptation du roman Jewish Cock de]
Katharina Volckmer
[Traduction]
Pierre Demarty
[Mise en scène]
Jonathan Capdevielle
[Avec]
Camille Cottin
Le roman traduit en français est publié aux éditions Grasset & Fasquelle, 2021.
Production Les Visiteurs du Soir
Coproduction Théâtre du Jeu de Paume, MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale, Bonlieu – Scène nationale, Opéra de Vichy-Vichy Culture, Théâtre National de Strasbourg, Anthéa-Antipolis - Théâtre d’Antibes, Châteauvallon-Liberté - Scène nationale, TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers - Scène nationale.
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