dimanche 9 juin 2024

Un songe, une nuit, l'été au Guensthal: jouir de la faveur magique de la vallée

Il est des rendez-vous qu'il ne faut absolument pas rater. Celui du Théâtre Forestier de la Vallée de la Faveur est de ceux-là. Depuis 2019 ils nous ont transportés dans cette vallée perdue dans la forêt des Vosges du "grand" Nord, et même en l'année 2020 ils nous ont servis Sauvage de Tchekhov, dont ils nous ont également gratifié du superbe Platonov. Ils nous ont présenté pour fêter dignement Molière et avec énergie un Scapin suivi d'un Misanthrope l'année dernière. Et pour Shakespeare, après York qui nous montrait ensemble Henri VI et Richard III en 2021, voici le magnifique Songe d'une nuit d'été dans la version Un songe, une nuit, l'été.


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


Cette pièce de Shakespeare parle aussi de rendez-vous. Mais ici ils sont tous ratés et c'est ce qui fait notre bonheur. Mais "tout est bien qui finit bien" comme aurait dit le grand William. La pièce est pleine de rebondissements et d'action, "de bruit et de fureur" pourrait-on aussi dire. Elle mélange les genres et il faut s'accrocher (aux branches de l'arbre généalogique) pour suivre les personnages. Tout commence sur un ton de comédie romantique non dénuée d'humour (l'amoureux qui se voit refuser la main d'Hermia par son père, Egée, propose à ce dernier d'épouser son futur gendre puisqu'il l'aime). 


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


La scène se passe à Athènes et tout en découvrant un premier cercle de personnages - les deux pères, la fille et ses deux prétendants, le promis, Démétrius et le spontané Lysandre, nous assistons à une belle joute verbale, très bien interprétée bien sûr par cette équipe de comédiens remarquables et qui ont l'habitude de travailler ensemble - on le sent au plaisir qu'ils prennent au jeu. Tout cela serait bien simple si Egée ne voulait pas, lui aussi se marier avec Hyppolite, mais ça ce n'est pas le plus grave, c'est qu'il y a aussi Héléna qui était amoureuse de Lysandre. Cela se corse quand le couple d'amoureux, contrecarrant les plans du père s'enfuit pour se marier ailleurs. Et nous voilà parti dans une course poursuite sans fin où les poursuivants et les poursuivis vont allégrement changer - mais ça c'est une autre histoire. 


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


En fait non, elle va juste apparaître plus tard. Laissons d'abord les artisans de la ville prendre place pour jouer une pièce de théâtre - du théâtre dans le théâtre effectivement. Et là, bien sûr nous allons, bien avant Brecht, avoir droit à un regard distancié sur le métier de comédien et quelques tableaux hauts en couleur et bien critiques des moeurs du spectacle et des spectateurs. En une sorte d'intermède ou d'interlude, nous naviguons entre le cirque et la comédie drolatique où ces comédiens-là vont faire preuve de naïveté ou d'autosatisfaction si ce n'est de mégalomanie pour ce qui est le cas de Nick Bottom, le personnage qui se targue de pouvoir jouer tous les rôles dans cette pièce, Pyrame et Thisbé, qui sera donnée en réjouissance à la fin. Notons que c'est Serge Lipszyc, fondateur de la compagnie du Matamore lui-même qui avec courage se charge de ce rôle. 


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


Comme si cela ne suffisait pas pour embarquer le spectateur dans un tournis envoûtant, notre cher Shakespeare greffe là-dessus, comme l'indique le titre des séquences oniriques où nous sommes plongé dans le monde des fées et des esprits moqueurs et enchanteurs. Une vraie gageure pour les comédiens qui endossent allègrement un deuxième rôle à savoir le roi et la reine des esprits et toutes les fées, et, qui s'est perdu là-dedans - mais cela lui pendait au nez de par sa grande bouche - le tisserand Bottom qui par la magie de Puck (virevoltant et déconcertant Yann Siptrott) se retrouve affublé d'une tête d'âne et, de plus devenant par la sortilège de la fleur "pensée d'amour" enchantée par Cupidon l'objet de l'amour de la Reine des Fées selon la volonté moqueuse de son mari, le roi des fées, Obéron. 


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Obéron qui, pour s'amuser, et nous par conséquent, ne s'arrête pas à cette farce puisqu'il va également jeter un sort aux deux hommes qui vont successivement tomber eux aussi amoureux de celle qui était en dehors de l'histoire, à savoir Héléna (interprétée avec délicatesse mais aussi énergie par Magalie Ehlinger). Ce qui donnera à la fois de cocasses scènes de révolte de cette dernière, d'exubérant combats de coqs et de burlesques assauts de ces deux "traîtres en amour" par l'abandonnée Hermia qui ne se résout pas à son sort et s'accroche comme un pittbull bien que pas du tout à la hauteur de l'enjeu (elle se décrit elle-même "je suis si petite et si naine"), mais Emma Massaux qui l'interprète ne manque pas de force et de puissance. 


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


De l'énergie, les comédiens en ont à revendre car en plus des nombreuses courses pour aller se marier ailleurs ou suivre ou fuir l'amoureux aimé ou craint (les choses s'inversant au fil des épisodes), il vont encore nous démontrer leur vivacité - et la taille du domaine du Guensthal parce qu'ils vous apparaître au fin fond du paysage dans toutes les directions et qui en fait une des plus grande, sinon la plus grande scène d'Europe.


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


Nous n'arrêtons pas de basculer d'un univers onirique et magique, un rêve éveillé qui sied bien à ce décor magique de cette clairière isolée de tout à des entremets à la sauce comico-grotesque façon Commedia del'Arte auto-risée (dans le sens d'auto-moquée) avec tout un pan critique des moeurs de l'époque (statut et droits de la femme, marriages arrangés, indépendance,...) dans un théâtre classico-romantique. Le tout superbement rythmé et sans temps mort. L'entracte permettant à la fois de souffler un peu et d'échanger avec les autres spectateurs autour d'une bonne soupe, de délicieux fromages de la ferme voisine et d'un éventuel deuxième verre de très bon vin, le premier ayant été offert à l'arrivée pour nous récompenser d'avoir trouvé le chemin.


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker

Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


La troupe met les bouchées doubles, sinon triple si l'on prend en compte pour Bruno Journée son rôle de père d'Héléna, d'artisan et de lion (bien inoffensif) ou Isabelle Ruiz, à la fois charpentier et Prologue qui en fait trop (il raconte la pièce) mais aussi fée dans le Songe. Bruno Journée, à la fois, fée, truffe le rétameur et Thisbée nous offre un beau et comique (de répétition) suicide d'amour. Sophie Thomann en mur est très crédible et pas du tout décrépie (et pas décrépite). Muriel-Inès Amat nous éclaire de sa lunatique blancheur dans la nuit qui vient de tomber.


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


Une note particulière aux costumes, que ce soient ceux des artisans et de la troupe de théâtre, bien dans le côté un peu clownesque que pour les personnages athéniens antiques et aussi celui du monde des fées, tous en noir qui va chercher dans le monde de la nuit. Le personnage de la reine des fées qu'incarne avec grâce Blanche Giraud-Beauregardt en est toute avantagée, tout comme ses fées. Elle est aussi bien valorisée dans ses multiples costumes comme Reine des Amazones. C'est également le cas de David Martins qui trône royalement à la fois sur la nuit, en Obéron bien allumé et le jour en Thésée autocrate mais magnanime et indulgent. Nous n'oublions bien sûr pas Yann Siptrott, l'électron libre de tout ce cirque, en grand ordonnateur et tireur de ficelles invisibles qui habite la scène et les lieux et transmet toute son énergie.


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


A tous, nous disons un grand merci de nous offrir cette échappée hors du temps qui nous offre un regard amusé et critique sur nous et notre civilisation, maintenant et et perspective de l'époque élisabéthaine. Merci pour cette parenthèse nature où c'est la forêt qui fait office de micro et les vaches écossaises qui peuplent le décor. Et le soleil, quand il revient, nous éclaire de sa chaleur. Et la fraternité des spectateurs, favorisée par l'accueil des hôtes de cette terre, les Siptrott et toutes les personnes engagées dans cette aventure humaine qui nous rend humble.  Un rendez-vous indispensable, nécessaire, vital.


Un songe, une nuit, l'été - Guensthal - Compagnie du Matamore - Photo: Robert Becker


La Fleur du Dimanche. 


Un songe, une nuit, l'été


Tous les vendredis, samedis et dimanches du 8 juin au 7 juillet 2024 au Théâtre forestier du Guensthal

Création en salle du 14 au 19 janvier 2025 au Point d’Eau d’Ostwald


 Distribution : 

David Martins – Thésée (Duc d’Athènes) et Obéron (Roi des fées)

Muriel-Inès Amat / Blanche Giraud-Beauregardt – Hyppolite (reine des Amazones) et Titania (Reine des fées)

Patrice Verdeil – Egée (Père d’Hermia), Toile d’araignée (Fée au service de Titania) et Snut dit Le douillet (menuisier) / le lion dans l’intermède

Yann Siptrott – Philostrate (Maître des réjouissances) et Robin Goodfellow, dit Puck la caresse (Serviteur d’Obéron)

Charles Leckler –     (Jeune Athénien)

Geoffrey Goudeau – Démétrius (Jeune Athénien)

Emma Massaux – Hermia (fille d’Egée et Jeune Athénienne)

Magalie Ehlinger – Hélèna (Jeune Athénienne)

Isabelle Ruiz – Peter Quince dit Lecoing (charpentier) / prologue dans l’intermède et L’elfe (Fée au service de Titania)

Sophie Thomann – Tom Snout dit La truffe (rétameur) / mur dans l’intermède et Grain de moutarde (Fée au service de Titania)

Bruno Journée – Francis Flute (raccommodeur de soufflet) / Thisbé dans l’intermède et Phalène (Fée au service de Titania)

Serge Lipszyc – Nick Bottom (tisserand) / Pyrame dans l’intermède

Muriel-Inès Amat / Blanche Giraud-Beauregardt  – Fleur des pois (Fée au service de Titania) et Robin Starveling dit L’éflanqué (tailleur) / la lune dans l’intermède

Adaptation et mise en scène: Serge Lipszyc

Lumières: Jean-Louis Martineau

Scénographie: Sandrine Lamblin

Costumes: Maya Thébault

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