mardi 11 juin 2024

Norma de Bellini à l'ONR : De superbes voix dans une pièce montée qui tournoie

 Monter la Norma peut s'avérer un vrai challenge quand on pense à l'histoire de cet opéra. Bien sûr ce n'est pas Carmen, ni la Traviata de Verdi, mais dans le domaine des airs le plus célèbres, outre l'air de La Reine de la Nuit de la Flûte enchantée de Mozart, Casta Diva chanté par la Callas est un mythe et une référence universelle en terme de succès. L'opéra Norma  est présenté à Strasbourg mis en scène par Eve-Marie Signeyrole dans une très belle distribution.


Norma - Bellini - Marie-Eve Signeyrole - Photo: Clara Beck


Son choix de commencer son opéra par le concert catastrophique de la Callas à la Scala de Milan le 2 janvier 1958, quand elle interrompt l'opéra, aphone, après le premier acte, alors que le Président de la République d'Italie est venu pour l'écouter - ce qui lui vaudra les ires d'une grosse partie du public - est à tout le moins déconcertant. Ca l'est d'ailleurs doublement. D'une part dans la mise en parallèle ouvertement exhibée de cette voix que beaucoup ont mythifiée, face à la mezzo-soprano Karine Deshayes qui assume le rôle de Norma - La Callas étant interprétée par Maria Buhler dans un rôle muet et essentiellement spectatrice rétrospective de son destin. Et d'autre part dans la narration de l'histoire de la Callas, illustrée de ses écrits et de documents d'époque, en particulier ses amours mouvementées avec Aristote Onassis qui l'abandonne pour Jackie Kennedy, projetés sur un grand écran et qui ponctue le déroulé de l'opéra. Ce qui ne simplifie pas la découverte de l'oeuvre représentée. 


Norma - Bellini - Marie-Eve Signeyrole - Photo: Clara Beck


Heureusement l'orchestre symphonique de Mulhouse, dirigé avec brio et clarté par Andrea Sanguineti nous interprète la musique de Vincenzo Bellini avec chaleur et enthousiasme. Et les interprètes sont impeccables chacune et chacun dans son rôle. Karine Deshayes, magnifique mezzo-soprano à la voix chaude et ample maîtrise parfaitement les montées en gamme et les variations et son interprétation de l'air attendu, sans référence à la Diva, enchante à sa manière dans un merveilleux va et viens avec les choeurs. Onay Köse, le père de Norma, qui ici a la fonction de directeur d'un opéra, a également une magnifique et puissante voix de basse. La "concurrente" de Norma, Adalgisa, interprétée par la soprano Benedetta Torre a une voix très claire et qui passe très bien dans les aigus. Elle est lumineuse et cristalline, émouvante. Les quelques duos - ou trios - dont le livret les gratifie sont superbes. Elles sont à l'unisson, se répondant et se complétant à merveille. De beaux échange  complices et des moments de pur bonheur. Norman Reinhardt en Pollione, chef de l'armée d'occupation et amant volage, de sa voix de ténor colorée est tout à fait crédible dans son rôle de chef des armées et d'amant instable. Il faut saluer les Choeurs de l'Opéra National du Rhin qui assurent à la fois une part importante de la partition mais qui en même temps sont de vrais comédiens, dans cette narration très cinématographique passant de plateau en plateau et dans de nombreuses séquence soit de foule, soit guerrières, soit de réception ou de public d'un concert muet concurrent que l'on voit - idée originale mais dont on s'interroge sur l'objectif dramatique - en arrière de la scène.


Norma - Bellini - Marie-Eve Signeyrole - Photo: Clara Beck


Ce qui est plus problématique, c'est le millefeuille de références auquel fait appel en les entassant couche par couche dans le récit, Eve-Marie Signeyrole. Non contente de transposer l'épisode gallo-romain dans un monde uchronique, elle mélange les conflits et les événements en références à travers les ans, du bombardement de l'opéra de Strasbourg en 1870 ou celui de Kiev en 2022, les autodafés de livres de 1933 et Fahrenheit 451, ou des massacres de masse, les collisions temporelles nous font un peu tourner la tête. De même que les mouvements de la scène circulaire, découpée en - au moins - quatre espaces différents qui se multiplient de par les mouvements opposés du centre de scène et du bord - sans compter les cercles interne qui font tourner certaines tables individuelle, nous emmènent dans un ballet de toupies et de manège enchanté qui n'est pas fait pour trouver l'élu de son coeur, ni pour se laisser tranquillement bercer par les histoires ainsi contées. Et que certains personnages - immobiles deviennent les spectateurs muets et invisibles (au moins pour les protagonistes) de ce qui se trame sur la scène par la grâce de miroirs sans tain - encore que cela peut échapper à certains spectateurs placés du côté gauche du fait de la position de ces personnes.


Norma - Bellini - Marie-Eve Signeyrole - Photo: Clara Beck


Le double, l'ombre portée est effectivement aussi une figure de style apprécié de la metteuse en scène, pas forcément dans le sens de lecture du récit. Les rebondissements de l'action, les relations entre les trois personnages principaux et les coups de théâtre qui figurent dans le livret apportant d'ailleurs pas mal de tension dans le déroulement du récit. Nous apprécions particulièrement la tension qui monte dans l'épisode final avec la surprise sans cesse repoussée de la décision de Norma qui amène un climax dramatique insoutenable. 


Norma - Bellini - Marie-Eve Signeyrole - Photo: Clara Beck


Finalement, c'est bien Norma et l'opéra qui gagne et le public salue longuement et chaleureusement les superbes prestations des interprètes, choeurs et solistes et orchestre, sans oublier les techniciens, nombreux (presqu'une trentaine sans qui tout cela n'aurait pas pu être montré) que l'on découvre saluant en introduction. Et également l'équipe de création, lumière, costumes, vidéo, dramaturgie.


La Fleur du Dimanche 

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