jeudi 7 décembre 2023

Caligula de Camus version Capdevielle au Maillon: Même mort, je suis encore vivant

 Il est des héros éternels. Caligula est de ceux-là. Sa réputation est arrivée jusqu'à nous à travers les siècles grâce aux auteurs antiques. Et plus récemment avec Camus, cet empereur romain du début de notre ère s'est immiscé dans les programmes de littérature de lycée en première. Son univers plein de folie n'a pas échappé à Jonathan Capdevielle. Nous le connaissions interprète chez Gisèle Vienne et de nombreuses chansons de figures de la chanson contemporaine. Il a aussi récemment créé avec Marco Berrettini et Jérôme Marin une pièce appelée Music all. Il excelle aussi dans la ventriloquie et les marionnettes (il s'est formé avec Gisèle Vienne à l'École nationale supérieure des arts de la marionnette à Charleville-Mézières). Et nous nous attendions avec cette pièce à voir une oeuvre très personnelle. 


Caligula - Jonathan Capdevielle - Photo: Marc Domage


Mais le Caligula auquel nous assistons, même s'il démarre comme un film de la nouvelle vague française, dans ce magnifique décor de rochers au bord de la mer (toujours cachée) avec cette bande de baigneuses et baigneurs qui portent beau et parlent haut et où nous nous croyons presque dans un film comique, se ressource totalement dans le texte - et même les deux versions du texte - 1941 et 1948 - d'Albert Camus qui en fait une lecture à la fois poétique et politique. Jonathan Capdevielle fait du théâtre, mais bien sûr à sa façon, avec ses clins d'oeils, ses moments de folie, sa démesure ou son ironie, son exubérance et ses débordements. Il passe allègrement de scènes intimes, d'échanges et de confidences à des séries d'assassinats à des scènes chantées, de bains de mer à des bains linguistiques - une partie vers la fin se passe en italien sous-titré, pour en revenir à la source romaine. 


Caligula - Jonathan Capdevielle - Photo: Marc Domage


Des scènes dansées, en costumes, avec flûtes comme intermèdes s'opposent à d'autres appelant à des raisonnements philosophiques très surprenants de l'empereur où il déploie ses doutes et son pessimisme : "Le monde tel qu'il est créé n'est pas supportable." sinon sa lucidité amère. Surtout dans les scènes avec Scipion, le poète, dont il a assassiné le père, ou Hélicon, son esclave affranchi qui veut le protéger de lui-même et de ses excès. Nous notons spécialement la qualité de jeu des deux acteurs, les autres étant d'excellent niveau également et la mise en scène pleine de rebondissements nous font passer cette histoire comme un film policier où l'on se demande si Caligula arrivera à se suicider par l'aide des autres qu'il dresse tous contre lui en faisant le vie autour de lui. Les éclairages de Bruno Faucher sculptent merveilleusement ce décor aux allures changeantes.


Caligula - Jonathan Capdevielle - Photo: Marc Domage


Jonathan Capdevielle arrive même à jouer sur le hors-champ, d'abord avec cette mer non vue, mais aussi au niveau du son qui installe toute une atmosphère: bruits de campagne ensoleillée puis d'hélicos et de guerre, annonces au haut-parleur pour finir avec des scènes entières qui se jouent hors-champ. D'autres, celle de la séduction de la Lune par Caligula, par contre est ostensiblement visible et exposée. Quant à sa mort, ténébreuse, elle se déroule dans une brume nébuleuse d'où émergent, tel un oxymore, ses dernières parole de mort: "Je suis vivant". Ce qui n'est que la dernière pirouette d'une série de pensées qui met notre compréhension à l'épreuve du raisonnement de cet empereur artiste et poète et qui bouscule le raisonnement logique en mettant chacun à l'épreuve de soi-même pour essayer de trouver une vérité. Un très beau sujet (de Bac ?) à creuser et à recreuser.


La Fleur du Dimanche   

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