mardi 12 décembre 2023

Il Tartufo au TNS: Molière en Italie, l'imposteur au pilori

 C'était le quatre centième anniversaire de la naissance de Molière l'année dernière et les festivités débordent un peu, au moins sur 2023, sinon plus. Cet anniversaire a aussi été fêté en Italie, pays de la Comédie - dont la troupe avait côtoyé le sieur Poquelin en son temps. Et ces éléments nous valent cette pièce Il Tartufo au TNS interprétée par la troupe du Teatro di Napoli - Teatro Nazionale. Mais nous la devons surtout au jeune et talentueux metteur en scène Jean Bellorini - plusieurs fois récompensé aux Molières, en 2013 pour Paroles Gelées au Théâtre Gérard Philippe et en 2023 pour Le Suicidé (1928) de Nikolaï Erdman au Théâtre National Populaire de Villeurbanne - et qui a déjà travaillé avec le Berliner Ensemble (pour cette dernière pièce) ou le Théâtre Alexandra à Saint Petersbourg. La proposition de monter cette pièce que lui avait faite Luca de Fusco, alors directeur du Teatro di Napoli, soutenue par son successeur, lui aura permis de concrétiser un projet, qu'il "avai[t] en tête depuis longtemps" et qu'il travaillait souvent lors de ses ateliers, et en plus en italien, langue d'origine.


Il Tartufo - Jean Bellorini - Photo: Ivanno Cera


C'est la traduction de Carlo Repetti, sans les alexandrins mais avec les rimes, qui, d'une certaine manière est proches de la langue de l'époque de Molière, que le metteur en scène met dans la bouche des comédiennes et des comédiens. Cette langue, vivante et virevoltante apporte son dynamisme et une poésie fleurie à la mise en scène, dans un décor qui lui, s'inspire plutôt du cinéma post-néoréalisme italien. La musique tire vers le pop, le rock et la variété. avec des moments plus mélo. Les costumes de Macha Makeieff  (qui elle aussi avait fait de son côté sa version plus étrange et pasolinienne de la pièce) se rapprochent plus de la Comedia del Arte et sont gais et colorés avec quelques notes plus humoristiques comme le pantalon en velours bleu de Cléante ou le mariage des chaussettes rouges de Tartuffe avec les chaussures - rouges également d'Elmire - qui donnent lieu à une danse de séduction chaplinesque. 


Il Tartufo - Jean Bellorini - Photo: Ivanno Cera


Le rythme de la pièce est soutenu et il est quelquefois difficile de lire tous les sous-titres qui permettent de suivre en détail l'intrigue, surtout que le texte est assez fidèle au français d'origine avec des tournures tout à fait adaptées. Mais l'histoire nous la connaissons un peu, et nous suivons avec intérêt, d'abord avec curiosité ce curieux personnage de Tartufe décrit avec ironie par les protagonistes en son absence pour en découvrir les multiples métamorphoses dans des scènes qui vont du comique absolu tirant aussi vers une bonne dose d'érotisme (entre le dessus et la dessous de la table). 


Il Tartufo - Jean Bellorini - Photo: Ivanno Cera


Cette table à géométrie variable d'où rayonnent les différentes actions ou qui les cristallisent - entre repas glouton égoïste, la torture de la pâte à pizza ou baptême marital à la farine. La mise ne scène et la scénographie sont originale et enlevées - même les chaises dansent en sortant du décor. Et le crucifix surdimensionné qui incarne une partie du message de la pièce, également le geste de Deus ex Machina de sauvetage final (sur ordre du Prince, métaphore de la levée de la censure réelle de la pièce) est une belle trouvaille. Et cerise sur le gâteau, c'est la robe de mariée qui coiffe l'intrigue - et Marianne - sur le fil !


Il Tartufo - Jean Bellorini - Photo: Ivanno Cera


Les différents espaces de jeu, dont l'avant-scène avec ou sans "chaises musicales" ou "fauteuils d'approche" apportent une intimité et une proximité avec le public et même le coin cuisine au fond de la scène réservé aux femmes apporte un espace de révolte à la pièce. Il faut d'ailleurs noter que les personnages féminins sont traités avec force - et les actrices sont toutes exceptionnelles d'incarnation et de qualité de jeu  - même si ce seraient plutôt Orgon (imposant Gigio Alberti)  et Tartuffe (labile - et habile Federico Vanni), qui ont les rôles principaux. 


Il Tartufo - Jean Bellorini - Photo: Ivanno Cera


Mais autant Madame Pernelle (volontaire Teresa Saponangelo) que Marianne (Francesca de Nicolai pleine d'énergie) ou la déterminée Dorine (Angela de Matteo) ou bien sûr la courageuse Elmire (souvenaine Teresa Saponangelo) pour ne parler que d'elles participent à une distribution très juste, dans laquelle le français Jules Garreau en Valère trouve tout à fait sa place. Et l'on redécouvre ici avec bonheur cette pièce de Molière, qui évolue au grès des rebondissements (et sûrement aussi de l'histoire de son écriture et de ses difficultés de réception) d'une critique assez comique de la bigoterie et de la fausse dévotion à un portrait beaucoup plus sombre - et inquiétant - d'un escroc imposteur qui arrive à nous glacer le sang. Même dans une langue qui ne nous est pas familière. Pari réussi !


La Fleur du Dimanche


Il Tartufo


Au TNS du 12 au 16 décembre 2023


Texte: Molière
Traduction en italien: Carlo Repetti
Mise en scène: Jean Bellorini
Avec la troupe du Teatro di Napoli − Teatro Nazionale
Gigio Alberti
Daria D’Antonio
Angela De Matteo
Francesca De Nicolais
Ruggero Dondi
Luca Iervolino
Betti Pedrazzi
Teresa Saponangelo
Giampiero Schiano
Federico Vanni
et
Jules Garreau
Collaboration artistique: Mathieu Coblentz
Lumière et scénographie: Jean Bellorini
Assistanat a la scénographie: Francesco Esposito
Costumes: Macha Makeïeff
assistée de: Anna Verde
Assistanat à la lumière: Giuseppe Di Lorenzo
Son: Daniele Piscicelli
Surtitres; Cécile Marroco

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