vendredi 10 septembre 2021

Le Passé de Léonid Andreïev par Julien Gosselin au TNS: le monde d'après c'était déjà au siècle précédent

Qui ne connait pas encore Julien Gosselin et ses mises en scènes fleuve? Il y a eu 2666 de Roberto Bolano, grande fresque du plus de dix heures et demie vue en 2017 au Maillon. Egalement au Maillon Joueurs, Mao II , Les Noms - dix heures aussi sans entracte - en 2020, dont la pièce Le Marteau et la Faucille de Don DeLilllo qui ne dure qu'une heure a été extraite et la dernière pièce vue en octobre 2020 au TNS Le Père est aussi relativement courte. Pour Le Passé, à priori un texte de Léonid Andreïev, nous nous attendions donc à une durée raisonnable d'une heure une heure et demie. Mais c'était sans compter sur l'envie du metteur en scène qui ne pouvait se contenter du mélodrame, presque pièce de boulevard qu'était Ekatarina Ivanovna.


Le Passé - Léonid Andréïev - Julien Gosselin - TNS  - Photo: Simon Gosselin

Cette pièce qui démarre le spectacle sur un rythme effréné, une tension de film policier et  une agitation décoiffante nous plonge dans une Russie du début du 20ème siècle, fin d'un monde qui se continue aujourd'hui par la magie de la mise en scène que l'on reconnait à Julien Gosselin et sa "troupe" de Si vous pouviez lécher mon coeur: des acteurs capable de jouer en direct pour un film qui les traque en continu sur l'écran (Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Victoria Quesnel, Maxence Vandevelde auxquels s'est rajouté Achile Reggiani, du groupe 45 de l'école du TNS) à la scénographie, Lisa Buccellato, également du groupe 45. A la vidéo, toujours Jérémie Bernaert et Pierre Martin qui tout au long de la pièce, sans faiblir ni faillir cadrent impeccablement ce qui pourrait être une longue "série" ou une TV réalité si ce n'était, totalement décalée, cette pièce d'un monde finissant, en costume et dans une lumière faible et jaunâtre de fin du monde, dans ce décor (mobile et changeant, mais qui nous occulte faussement ce qui se passe et dont il est dit:

"Tout ceci se passe dans le vide"


Le Passé - Léonid Andréïev - Julien Gosselin - TNS  - Photo: Simon Gosselin

Car effectivement, toute cette agitation moléculaire ne fait que révéler cette vacuité des relations, l'absence d'amour et les mouvements frénétiques qui seraient volonté d'amour et de sexe et ne sont que pulsion de mort et délires psychotiques. Tout cela vu derrière ces façades de demeures closes aux rideaux tirés derrière lesquels, dans leurs chambres ou leurs salons ou l'atelier du peintre, ils simulent une relation de couple (déjà usée ou effacée) ou un jeu social totalement factice. Et les seules "ouvertures" sont pour un balcon au 5ème étage d'où le saut dans le vide est l'objectif caressé.


Le Passé - Léonid Andréïev - Julien Gosselin - TNS  - Photo: Simon Gosselin

Et en même temps, cette fausse vie s'agite sur grand écran, un écran géant même, qui happe et absorbe le regard, et par une mystérieuse transmutation nous présente cette dérive des passions à travers ce "média froid" qui "dévore" ses personnages. Il faut saluer la "performance" époustouflante de Victoria Quesnel qui interprète Ekatarina Ivanovna dans toute son ambivalence et sa folie, Denis Eyriey qui joue son mari, et qui ouvre le feu de l'action, Joseph Drouet, l'ami peintre en délicatesse, Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde au four et au moulin, c'est à dire qu'il sont à la fois acteurs et jouent la musique, prenante et envahissante, qui tout au long du spectacle nous emportent dans des nappes hypnotiques ou tes martèlements anxiogènes.


Le Passé - Léonid Andréïev - Julien Gosselin - TNS  - Photo: Simon Gosselin


Je vous avais dit que la pièce "Le Passé" n'était pas que les quatre actes de la pièce Ekatarina Ivanovna, dont le deuxième acte est traité comme un film muet et grotesque avec des "Masques", mais Julien Gosselin, dans un patchwork qui reflète les multiples facettes de le  pensée de Léonid Andreïev qui nous révèle un monde perdu, une apocalypse en train de se dérouler, en avance d'un siècle et dans laquelle nous nous engluons, ponctue la pièce avec le Requiem qui présente le théâtre du monde d'après, sans spectateurs - ce sont des poupées - et avec des acteurs qui sont des mannequins de bois, mais tout cela nous ne le voyons pas. Puis avec les nouvelles L'Abîme et Dans le brouillard - des textes projetés sur l'écran pendant des changements de plateau et pour finir La résurrection des morts.


Le Passé - Léonid Andréïev - Julien Gosselin - TNS  - Photo: Simon Gosselin

Le dernier acte de la pièce démarre par une scène calme et intimiste et finit dans un climax éprouvant. Le spectacle est total et ne laisse personne indifférent, le spectateur est forcément happé ou rejeté dans son fauteuil.


La Fleur du Dimanche


Le Passé


Au TNS du 10 au 18 septembre - 

/!\ Attention aux horaires: 19h00 - 15h00 en matinée


CRÉATION AU TNS -COPRODUCTION

Spectacle de Si vous pouvier lécher mon cœur

Texte Léonid Andréïev

Traduction André Markowicz

Adaptation et mise en scène Julien Gosselin

Avec Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Victoria Quesnel, Achille Reggiani, Maxence Vandevelde

Scénographie Lisetta Buccellato

Dramaturgie Eddy D'aranjo

Assistanat à la mise en scène Antoine Hespel (élève metteur en scène de l'École du TNS)

Musique Guillaume Bachelé, Maxence Vandevelde

Lumiere Nicolas Joubert

Video Jérémie Bernaert, Pierre Martin

Son Julien Feryn

Costumes Caroline Tavernier, Valérie Simonneau

Accessoires Guillaume Lepert

Masques Lisette Buccellato, Salomé Vandendriessche

Régie générale Léo Thévenon

Régie plateau David Ferré, Simon Haratyk

Régie lumière Zélie Champeau

Régie son Hugo Hamman

Régie vidéo David Dubost, Baudouin Rencurel

Conseil maquillage Olivia Leviez

Stagiaires techniques Pierrick Guillou, Audrey Meunier


La compagnie Si Vous Pouviez Lécher Mon Coeur

Administration, production et diffusion Eugénie Tesson

Organisation tournée et actions culturelles Élise Yacoub

Administration Paul Lacour-Lebouvier

Direction technique Nicolas Ahssaine

Direction technique Adjoint Vianney Brunin 

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