vendredi 8 juillet 2022

Art Karlsruhe a toujours la Banane et met la femme en avant

 Après une année "blanche" en 2021 avec une exposition "en ligne", la dix neuvième édition d'Art Karlsruhe, foire lancée en 2004 et dont je vous ai fait des retours en 2019 et 2020, s'est transportée en plein mois de juillet. Espérons que cela ne lui porte pas préjudice... 


Art Karlsruhe 2022 - Photo: lfdd

Mais, si elle ne cherche pas à concurrencer Art Basel, elle reste quand même une foire majeure dans l'espace du Rhin Supérieur  avec 250 galeries (43 du Bade-Wurtemberg) et 47 galeries étrangères de bon voire très bon niveau. Une grande exposition thématique centrée sur une collection privée, celle du couple Maria-Lucia et Ingo Klöcker, qui présentent une partie de leur collection centrée sur l'image de la femme avec des artistes femmes ou hommes: Stephan Balkenhol, Erich Fischl, Franz Gertsch, Alex Katz, Thomas Schütte, Erich Kissing, Wolfgang Mattheuer, Sigmar Polke, Gerhard Richter et Arno Rink. Et des femmes peintres, photographes et sculptrices: Barbara Klemm, Cornelia Schleime, Katharina Sieverding, Kiki Smith et Nancy Spero...  Les one-man show mettent en avant 180 artistes et les exposants participent également à la présentation de plus de 400 estampes, gravures sur bois, eaux-fortes, lithographies, sérigraphies, dans un forum spécifique, preuve - ou occasion - de commencer une collection à prix abordable. Il est vrai que les pièces d'artistes maintenant célèbres s'achetaient moins cher à leurs débuts, mais il reste encore de belles pièces dont il faut savoir profiter parmi les stars: Josef Albers, Salvador Dalí, Otto Dix, Max Liebermann, Pablo Picasso, Markus Lüpertz, Alex Katz et autres. Et même parmi les oeuvres originales, vous pouvez réussir à trouver votre bonheur au niveau de vos moyens.

Mais vous pouvez aussi déambuler dans les allées et admirer l'accrochage des oeuvres sans bourse délier et, avec la mise en abime des visiteurs, jouer au dilaogue visiteurs-oeuvres et chercher quelques harmonies de hasard. Pour vous entraîner, je vous en offre quelques vues:


Art Karlsruhe - Hillekes Gallery - Barbara Husar - Spacefrog - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Le Chef Chinois - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Arthus - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Des ronds de fleurs - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Des Carrés - Photo: lfdd


Art Karlsruhe - Dans le V - Sculpture en bois de Marc Fromm - Photo: lfdd



Approchons-nous donc un peu des oeuvres pour les apprécier. La première, celle de Barbara Husar, petit bout de papier peint, de la même artiste qui a peint le grand tableau avec les "grenouilles de l'espace" qui résonnaient étrangement avec la galeriste en "instantanné" pour le début de ce billet:


Art Karlsruhe - Hillekes Gallery - Barbara Husar - Koordinatentickets - Photo: lfdd


Et pour celles et ceux qui collectionnent les hiboux, un petit hiboux chou, un bijou de Markus Lüperz "Eule der Athene" pour la modique somme de 19.000 Euros:


Art Karlsruhe - Markus Lüpertz - Eule der Athene - Photo: lfdd


Si vous préférez les signes du zodiaque, vous pouvez avoir le vôtre pour un peu moins cher 14.000 euros, un des 36 exemplaires en bronze peint main. Ici le bélier et les gémeaux:


Art Karlsruhe - Markus Lüpertz - Sternzeichen - Widder - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Markus Lüpertz - Sternzeichen - Zwilling - Photo: lfdd


Si vous préférez la peinture d'Imi Knoebke en tord et à travers "Schief und Schräg" il faut allonger 85.000 €:


Art Karlsruhe - Imi Knoebel - Schief und Schräg - Photo: lfdd


Sinon vous pouver toujours acheter des oeuvres en NFT:


Art Karlsruhe - Antonio Mara - Marci Casenti - NFT - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - NFT - Photo: lfdd


Ou moins cher, les traits aux crayons de couleur de Manfred Mayerle à la Galerie Jordanov "Hold the line, mais vous avez le choix... pour 1.800 €:


Art Karlsruhe - Manfred Mayerle - Hold the Line - Galerie Jordanow - Photo: lfdd


Vous avez aussi les tableaux vasareliesques de Roland Elmer, les fleurs de Herbert Zangs ou les images de "La chanteuse" de Christian Boltanski: 


Art Karlsruhe - Roland Helmer - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Herbert Zangs - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Christian Boltanski - La Chanteuse - Photo: lfdd


A la Galerie Valentin, vous avez un "mur" de Anne-Sophie Tschieg et des oeuvres de Clément Bedel, qui ont leurs ateliers au Motoco à Mulhouse et aussi un travail de Reinhard Voss:


Art Karlsruhe - Anne Sophie Tschieg - Galerie Valentin - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Anne Sophie Tschieg - Galerie Valentin - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Clément Bedel - Galerie Valentin - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Reinhard Voss - Galerie Valentin - Photo: lfdd


Allez, encore quelques sculptures avant la suite:


Art Karlsruhe - Sculptures - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Sculpture - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Sculptures russes ? - Photo: lfdd


Je vous avais promis la #Banane, eh bien la voici: Même les galeristes d'Art Karlsruhe ont la #Banane. D'ailleurs, ce galeriste, Aloys Wilmsen est celui qui a construit pour Joseph Beuys en 1977 la Honigpumpe - Pompe à miel qui projetait des tonnes de miel dans le bâtiment  principal de la Documenta, le Fridericianums, je vous mets la "modèle réduit" ci-dessous. Et l'artiste Frieda MArta, qui peint en "bleu Klein" depuis qu'elle fréquentait le groupe "Zero" (Heinz Mack, Otto Piene, Günther Uecker,...):


Art Karlsruhe - Le galeriste a la #Banane - Galerie Aloys Wilmsen - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - L'artiste a la #Banane - Frieda Marta - Galerie Aloys Wilmsen - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Joseph Beys a la #Banane - Honigpumpe - Bienen Fleiss - Galerie Aloys Wilmsen - Photo: lfdd

Et là, par contre ce ne sont pas des #bananes, cela ressemble plutôt à des iris, et la gravure d'Alex Katz (117cm X 79 cm - 50 ex. - 16.500 €) s'appelle Yellow Flag - drapeau jaune:

Art Karlsruhe - Alex Katz - Yellow Flag - Galerie Boisserée - Photo: lfdd


Et encore quelques Katz en peinture et en sculpture:

Art Karlsruhe - Alex Katz - Photo: lfdd


Et là, ce n'est pas Katz, c'est Kat, KitKat:

Art Karlsruhe - KitKat - Photo: lfdd


Et toujours pas Katz, mais Maus de Johannes Häfner, Maus tout pleins :

Art Karlsruhe - Johannes Häfner - Maus - Photo: lfdd


Et toujours pas Katz, mais sanglier:

Art Karlsruhe - Sanglier - Photo: lfdd


Et toujours pas Katz, mais ours:

Art Karlsruhe - Ours - Photo: lfdd


Oh, j'avais oublié le lapin (posé sur le chinois rouge) de Chen Wenling "All in One":

Art Karlsruhe - Chen Wenling "All in One - Photo: lfdd


Et un raccord de peinture jaune:

Art Karlsruhe - Raccord de jaune - Photo: lfdd


Quelques fleurs rouges et leur contrechamp:

Art Karlsruhe - Raccord de fleurs rouges - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Têtes - Photo: lfdd


Et un Torero Rouge de Luciano Castelli et un Loup - Wolf de Rainer Fetting:

Art Karlsruhe - Rainer Fetting - Loup - Luciano Castelli - Torero Rouge - Photo: lfdd


Retour sur une "Etude de Saint Ulrich" de Markus Lüpertz:


Art Karlsruhe - Markus Lüpertz - Studie St Ulrich - Photo: lfdd


Et je vous avais promis des bananes, en voici une dans un coin:

Art Karlsruhe - Thomas Baumgärtel - Banane dans un coin - Photo: lfdd

Allez, encore quelques bananes pour le week-end, la "Banane Beuys" et la Banane-bananes:

Art Karlsruhe - Thomas Baumgärtel - Banane Beuys - Photo: lfdd

Art Karlsruhe - Thomas Baumgärtel - Bananes dans banane - Photo: lfdd


Et une nouvelle piste de cet artiste impoli et impertinent, la langue d'Einstein à toutes les sauces:

Art Karlsruhe - Thomas Baumgärtel - Einstein tire la langue - Photo: lfdd



A suivre...


La Fleur du Dimanche 

jeudi 7 juillet 2022

Au coeur de l'été l'Accroche Note résonne et sample avec KL4NG

 Après Vienne avec la musique début du siècle (du XXème) et l'Amérique du Sud, l'Ensemble Accroche Note nous emmène dans un voyage surprenant vers des contrées électroniques et des mixes de DJ qui sample, entre autre, la mémoire classique et le jazz de l'Ensemble avec KL4NG.


KL4NG - Accroche Note - Pablo Valentino - Armand Angster - Françoise Kubler - Yerry G. Hummel - Photo: lfdd


KL4NG est un  dialogue entre les deux pilliers historiques, Françoise Kubler à la voix, mais aussi au tambourin et à l'harmonica et Armand Angster à la clarinette bassse et au saxophone soprano, et deux "trublions" de la musique pas très classique: Yerry-Gaspar Hummel, fervent défenseur des nouvelles technologies et de la musique inovante, créateur du Festival Exhibitronic, et Pablo Valentino, DJ et chercheur d'or - ou plutôt de vinyles depuis plus de 20 ans - c'est d'ailleurs un disque d'un concert de décembre 1983 du duo Armand Angster, Françoise Kubler avec Jean-Michel Collet et Barre Phillips qui a scellé le projet.


KL4NG - Accroche Note - Pablo Valentino - Photo: lfdd

La pièce avait déjà été présentée au Festival Musica en 2016 (voi mon billet) et à fait l'objet d'un disque KL4NG - Live à Venise coproduit par Accroche Note et Lab'ut. Et ces soirées d'été sont l'occasion de revoir, d'entendre dans une proximité intime cette douzaine de compositions variées dans une ambiance décontractée, à croire que l'église du Bouclier s'est transformée en studio disco. 


KL4NG - Accroche Note - Armand Angster - Françoise Kubler - Yerry Gaspar Hummel - Photo: lfdd

C'est une douzaine de pièces, composées par la bande des quatre ou par l'un des membres, très variées, qui vont voir Pablo Batista jouer des platines, sampler quelques extraits de disques qu'il sort de sa hotte, complété de ponctuations rythmiques, avec Yerri-Gaspar Hummel à l'électronique et aux claviers et Armand Angster à la clarientte basse et au saxophone, saxophone dont s'empare également Yerri-Gaspar pour un duo. Françoise Kubler, elle, glisse de chansons traditionnelles en airs exotiques, en onomatopées dialoguant avec la clarinette ou en vocalises virevoltantes et en langues indigènes (on croit y reconnaitre de l'irlandais, de l'italien, des langues de tribus nordiques,..) avec une facilité déconcertante. 


KL4NG - Accroche Note - Françoise Kubler - Photo: lfdd

KL4NG - Accroche Note - Pablo Valentino - Armand Angster - Françoise Kubler - Photo: lfdd

Elle incarne tout autant les textes qu'elle dit, par exemple "Cage" "John Cage - mots pour la musique et la danse" ou un très émouvant texte en italien de la grande poétesse Alda Merini. Le tout est varié, enjoué et ne manque pas d'humour, comme le laissent penser certains titres: Le fou saxophonisant, Ribouldingues, Firmin,...  On sent l'excellente cohésion et la symbiose entre les différents interprètes, qui ont réussi à faire passer une émotion certaine dans ce concert exceptionnel.


KL4NG - Accroche Note - Pablo Valentino - Armand Angster - Françoise Kubler - Photo: lfdd

KL4NG - Accroche Note - Yerry Gaspar Hummel - Photo: lfdd

Accroche Note -  Armand Angster - Françoise Kubler - Jean Michel Collet - Barre Pillips - Photo: lfdd


La Fleur du Dimanche

mardi 5 juillet 2022

Accroche Note voyage en été au frais à Strasbourg: Vienne, l'Amérique du Sud et Venise

 22 les v'là ! Les Rencontres d'été de l'ensemble Accroche Note qui au début de l'été nous fait voyager en musique du XIXème au XXIème siècle avec un savant mélange de musiques d'hier et d'aujourd'hui. Cette année pour la vingt-deuxième édition de l'ensemble qui va fêter ses 40 ans lors du Festival Musica en septembre, le programme est "conceptuel": une première soirée viennoise qui va de Strauss à la sauce Schönberg à Berg en passant par Schubert et Webern le 5 juillet. Suit une soirée dédiée aux musiques d'Amériquedu Sud - Brésil, Argentine, Mexique, Cuba et un français,Yves Prin et, pour couronner le voyage, un détour par Venise où l'ensemble, avec Françoise Kubler à la voix et Armand Angster aux clarinettes et au saxophone se frottent au duo décapant Yerri-Gaspar Hummel à l'électronique en live et Pablo Valentino aux platines et sampler. L'occasion de se décrasser les oreilles (sans bouchons) avec la création KL4NG. De quoi aller "au-delà des frontières" comme annoncé dans le programme.

La première soirée, assez sage, voyage entre 1905 et 1935, sauf un Schubert de 1820, et égrène une suite de pièces toutes relativement courtes en un collier de petites perles, petits bijoux sonores ou pierres précieuses encore à polir ,mais dont l'écoute est plaisante et enrichissante. 


Accroche-Note - Saskia Lethiec - Wilhem Latchoumia - Armand Angster - Photo: lfdd


Elle débute avec l'Adagio d'une transcription en 1935 d'un concerto de chambre Kammerkonzert (1935) d'Alban Berg  pour violon clarinette et piano écrit en 1925. Le début est calme, suivi d'une belle envolée lyrique, puis tout redevient calme dans un dialogue violon clarinette que rejoint le piano et qui se termine presque dans un soupir.


Accroche-Note - Wilhem Latchoumia - Françoise Kubler - Photo: lfdd

Suivent Vier Lieder Op.12 (1915) pour voix et piano d'Anton Webern, quatre mélodies assez légères, mais dont les deux dernières sont , pour la voix, puissantes et scandées. La dernière est presque un haïku.


Accroche-Note - Marie Nathanaelle - Saskia Lethiec - Laurent Camatte - Christophe Beau - Photo: lfdd

Accroche-Note - Christophe Beau - Photo: lfdd

Accroche-Note - Marie Nathanaelle - Saskia Lethiec - Photo: lfdd

Accroche-Note - Saskia Lethiec - Laurent Camatte - Photo: lfdd


Le  Quartettsatz en Ut Mineur (1820)  pour quatuor à cordes de Franz Schubert, oeuvre inachevée est une oeuvre très enjouée.


Accroche-Note - Saskia Lethiec - Wilhem Latchoumia - Armand Angster - Photo: lfdd

Les 4 pièces opus 5 (1919) pour clarinette et piano d'Alban Berg sont des pièces très courtes, basées sur la clarientte, avec un beau dialogue clarinette piano dans la troisième pièce. Elles ont une belle intensité dramatique et la dernière a une tonalité un peu plus sombre.


Accroche-Note - Wilhem Latchoumia - Christophe Beau - Photo: lfdd

Suit l'Intégrale (1899 et 1914) pour violoncelle et piano d'Anton Webern qui consiste en deux pièces de jeunesse (qu'il a écrites encore étudiant à 16 ans) puis deux oeuvres qui se complètent (la deuxième avec une sourdine sur le violoncelle) quinze ans après. Les deux premières sont bien évidemment un peu plus mélodiques.


Accroche-Note - Wilhem Latchoumia - Françoise Kubler - Photo: lfdd

Accroche-Note - Wilhem Latchoumia - Françoise Kubler - Photo: lfdd

Autres oeuvres de jeunesse, les Sieben frühe Lieder (1905-1908) pour voix et piano d'Alban Berg, composées entre 20 et 23 ans qui premettent à Françoise Kubler de démontrer si cela était encore nécessaire la magnifique qualité de sa voix de soprano et son talent d'interprétation. Les textes étant de sept auteurs différents, dont un de Rainer MAria Rilke (Traumgekrönt) restent dans la tradition du Lied allemand et ces pièces courtes vont d'un style romantique à une composition plus atonale.


Marie Nathanaelle -Wilhem Latchoumia - Saskia Lethiec - Laurent Camatte - Lisa Meignin - Armand Angster - Christophe Beau - Photo: lfdd

Pour clore le concert, un dessert musical, plaisir offert, la réécriture par Schönberg en 1925 de la  valse de l'Empereur de Strauss Kaiserwalzer pour flûte, clarinette, quatuor à cordes et piano, un beau morceau de bravoure avec chapelet de valses, et codas avec rappels thématiques, nous suspendant en équilibre et nous entraînant dans un tourbillon virevoltant et grisant. La cerise sur le gâteau Forêt-Noire cependant bien digeste. 

 

La Fleur du Dimanche


Ensemble Accroche Note: 

Françoise Kubler (soprano), Lisa Meignin (flûte), Armand Angster (clarinette), Saskia Lethiec (violon), Nathanaelle Marie (violon), Laurent Camatte (alto), Christophe Beau (violoncelle), Wilhem Latchoumia (piano)


dimanche 3 juillet 2022

Isadora Duncan de Jérôme Bel aux Scènes Sauvages: La danse au sommet de la nature

 Le Festival des Scènes Sauvages qui irrigue depuis quelques années les hautes vallées de la Bruche avec une théâtre contemporain dans la proximité et la découverte. L'humain et la nature étant au programme de leur philosophie, le programme de cette année avec sept pièces ne pouvait que culminer avec la pièce de Jérôme Bel consacré à Isadora Duncan, une danseuse qui a mis la nature et l'homme au centre de ses préoccupations. Et c'est au Chenot, un site situé en pleine nature, après une petite marche d'approche hors du village de Wildersbach sur fond de ligne d'horizon de montagne que s'est déroulé la représentation. 


Scènes Sauvages - Isadora Duncan - Jérôme Bel - Elisabeth Schwartz - Photo: lfdd

Le spectacle est en fait la réactivation de cette danseuse du début du XXème siècle qui révolutionna la danse moderne par son portrait tracé par Jérôme Bel et interprété par Elisabeth Schwarz qui a appris les différentes chorégraphies (une quarantaine sur la centaine qu'a créées Isadora) auprès de sa fille adoptive Marie-Thérèse Duncan à New-York, qui avait alors 82 ans... La démarche de Jérôme Bel éminemment politique (et écologique aussi, il ne distribue pas de fiche de salle et, pour ce spectacle qu'il a créé avec le Festival d'Automne à Paris a vu la version américaine dansée par Catherine Gallant, créée à New-York en visioconférence) interroge la production, en particulier la confrontation d'une création passée dont il ne reste pas de trace - Isadora Duncan a refusé de voir filmé ses chorégraphies - avec la recréation et la transmission de ce geste artistique. Ainsi, le spectacle est-il à la fois une sorte de parcours biographique de sa vie familiale, personnelle, amoureuse et de création. Tout cela relié et intimement lié aux pièces présentées, elles aussi sous un aspect didactique, avec même une chorégraphie transmise aux spectateurs volontaires (et demandeurs) dans une répétition publique de leçon joyeuses et engageante. 


Scènes Sauvages - Isadora Duncan - Jérôme Bel - Elisabeth Schwartz - Photo: lfdd 

Ce va-et-vient entre la danse et ses explications sont un excellent moyen d'apprécier et de comprendre pleinement ce que l'on voit. Ainsi, la mode de la Grèce antique qui revient à la mode au début du XXème Siècle aux Etats-Unis explique à la fois le retour à nature de la danse d'Isadora, justifie les costumes qu'elle crée (des tuniques de soies courtes qui feront scandale à l'époque) et certains gestes inspirés des vases grecs vus dans les musées. Son amour de la nature et son attirance de l'Océan justifie son ballet Water Study, sur une valse de Schubert. L'inspiration est encore plus évidente lorsque Jérôme Bel nous révèle les "impressions" ou indications d'interprétation que  Marie-Thérèse Ducan utilisait pour transmettre la chorégraphie à Elisabeth Schwartz, à savoir les temes "ondulation, vague, ressac, suspension, éclaboussure, frappe contre les rochers, moutonne, flots,..". Le prélude N°1 de Chopin lui inspire une chorégraphie plus romantique où les indications sont plutôt de l'ordre du sentiment et de l'intériorité: "désirer, tendre vers, chercher, abandonner, le monde, accepter". Nous suivons le parcours de vie d'Isadora des Etats-Unis, avec une enfance artistique auprès de sa mère, que le père a abandonné, puis en Europe, Londres et Paris, où elle rencontre deux hommes (Gordon Craig, et Paris Singer, l'héritier des machines à coudre) qui lui donneront un enfant chacun. 


Scènes Sauvages - Isadora Duncan - Jérôme Bel - Elisabeth Schwartz - Photo: lfdd

Scènes Sauvages - Isadora Duncan - Jérôme Bel - Elisabeth Schwartz - Photo: lfdd

Scènes Sauvages - Isadora Duncan - Jérôme Bel - Elisabeth Schwartz - Photo: lfdd

Scènes Sauvages - Isadora Duncan - Jérôme Bel - Elisabeth Schwartz - Photo: lfdd

Scènes Sauvages - Isadora Duncan - Jérôme Bel - Elisabeth Schwartz - Photo: lfdd

Scènes Sauvages - Isadora Duncan - Jérôme Bel - Elisabeth Schwartz - Photo: lfdd

Ses amours sont la source de "Moment Musical" sur une pièce de Frantz Schubert, une danse joyeuse et pleine d'énergie guillerette qui lui vaut de la représenter plusieurs fois jusqu'à cinq ou six fois, lors de ses spectacles. Et nous, nous ne nous en lassons pas. La preuve, c'est celle que le public va pouvoir apprendre vers la fin du spectacle. La mort de ses deux enfants morts accidentellement noyés dans la Seine est sûrement à l'origine de la pièce "Mother" sur la 1ère étude de Scriabine. La Marseillaise (pièce dont il ne reste plus de trace) puis Revolutionary, sur l'étude 12 de Scriabine où elle montre l'exploitation des ouvriers et leur soulèvement, rendent compte de son engagement politique. Elle décide de s'installer à Moscou en 1922 et s'y marie avec le poète Sergueï Essénine mais leur relation houleuse se termine assez rapidement. Elle décède accidentellement le 17 septembre 1927 à Nice quand son foulard se prend dans la roue de la voiture de sport et la projette sur la chaussée. Mais ici, dans ce décor idyllique sur fond de montagne, la vie ne s'arrête pas et nous continuons de communier avec la danse et la pleine nature, grâce au talent et à la capacité d'incarnation d'Elisabeth Schwartz de cette danse qui en devient intemporelle tellement elle est intériorisée et intimement vécue. Isadora n'est pas morte, elle vit avec nous... et les Isadorables..


Le Fleur du Dimanche


Isadora

Concept, Jérôme Bel
Chorégraphie, Isadora Duncan
Avec Elisabeth Schwartz et, en alternance, Sheila Atala, Chiara Gallerani, Jérôme Bel
Conseil artistique et direction exécutive de R.B. Jérôme Bel, Rebecca Lasselin
Administration, Sandro Grando
Le Festival d’Automne à Paris est coproducteur de ce spectacle et le présente en coréalisation avec les Musées d’Orsay et de l’Orangerie, dans le cadre du cycle Danse dans les Nymphéas.
Production R.B. Jérôme Bel
Coproduction La Commune centre dramatique national d’Aubervilliers ; Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; R.B. Jérôme Bel (Paris) ; Tanz im August – HAU Hebbel am Ufer (Berlin) ; BIT Teatergarasjen (Bergen) ; Festival d’Automne à Paris
Coréalisation Musées d’Orsay et de l’Orangerie (Paris) ; Festival d’Automne à Paris
Avec l’aide du CND Centre national de la danse (Pantin) dans le cadre de l’accueil en résidence, MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis (Bobigny), Ménagerie de Verre (Paris) dans le cadre de Studiolab, pour la mise à disposition de leurs espaces de répétitions
R.B. Jérôme Bel reçoit le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles d'Île-de-France - Ministère de la Culture, de l'Institut Français - Ministère des Affaires Etrangères - pour ses tournées à l’étranger et de l'ONDA - Office National de Diffusion Artistique - pour ses tournées en France.

samedi 2 juillet 2022

Le Retable d'Issenheim tout en beauté à Unterlinden: La danse en éclairage

 Le Retable d'Issenheim, véritable chef-d'oeuvre de la sculpture et de la peinture du début du XVIème siècle, était en restauration depuis 2018. Les travaux sont terminés et cette pièce maîtresse de l'art religieux, célèbre dans le monde entier, est non seulement à nouveau visible, mais elle a retrouvé un éclat inimaginable, avec des couleurs impressionnantes. La partie sculptée a été réalisée par Nicolas de Haguenau, qui avait aussi sculpté le maître-autel de la Cathédrale de Strasbourg, et Mathias Grünewald qui a peint les différents panneaux (9) retraçant la vie du Christ et deux pour la vie de Saint Antoine, le patron du couvent des Antonins à Issenheim, où il a installé à l'origine.  Pour célébrer d'une manière unique cette "résurrection" le Musée Unterlinden à Colmar, où cette oeuvre est désormais présentée organise une série de manifestations qui dialoguent avec elle et la mettent en lumière. 


Musée d'Unterlinden - Le retable de Grünenwald - La tentation de Saint Antoine - Photo: lfdd

Musée d'Unterlinden - Le retable de Grünenwald - La tentation de Saint Antoine - Photo: lfdd

Musée d'Unterlinden - Le retable de Grünenwald - La tentation de Saint Antoine - Photo: lfdd

Une des manifestations est une chorégraphie pour douze danseurs du Ballet de l'Opéra National du Rhin, adaptation de la pièce Bless, ainsi soit-il créée en 2010 en écho à la peinture murale de Delacroix dans l'église Saint Sulpice à Paris, La lutte de Jacob avec l'Ange. Bruno Bouché y voit "une allégorie du combat de l'homme face aux forces qui le dépassent". La peinture de Grünewald dépeint, elle le Christ devenu homme pour sauver l'humanité, et le combat de Saint Antoine contre le diable et ses tentations dans le but d'aider les malades venus se soigner au couvent des Antonins à Issenheim pour lutter contre le feu de Saint Antoine, ou l'ergotisme. Les douze danseuses et danseurs (Audrey Becker, Suzie Buisson, Christina Cecchini, Pierre Doncq, Ana Enriquez Gonzalez, Caué Frias, Rio Minami, Avery Reiners, Ryo Shimizu, Marwik Schmitt, Hénoc Wayenson et Dongting Xing) se positionent en trois fois deux couples entre les différents éléments du retable pour des duos alternants, à la fois fluides et dynamique, dans la proximité du toucher, entre attraction et repoussement. Dans une dynamique à la fois douce et vigoureuse, nous assitions à une simulation de corps à corps qui s'inscrit dans une relation très physique pour aboutir dans une position d'opposition à l'image de la peinture de Delacroix. Maxime Georges interprète en direct la transcription pour piano de la Chaconne de la Partita N°2 en ré mineur de Bach par Ferrucio Busoni, un vrai bonheur.


Musée d'Unterlinden - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Photo: lfdd

Musée d'Unterlinden - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Photo: lfdd


La  deuxième manifestations est une "visite dansée" du retable par Aurélie Gandit, danseuse, chorégraphe et historienne de l'art. L'artiste s'est imprégné du retable pendant plusieurs semaines et nous propose son éclairage à la fois commenté et dansé. Vêtue en guide de musée dans un uniforme sobre et sombre, elle nous ammène à travers le cloître dans la chapelle et commence par une présentation très "visite guidée" qui repositionne le retable dans son histoire: origine, création, auteurs, techniques, contexte historique, différents lieux d'accueil, caractéristiques, etc.,... Puis les explications se mettent à hocqueter. La disposition des éléments du polyptique du retable et les épaisseur du bois lui permettent de prendre possession de l'espace et de passer de la parole au geste, minuscule (3 et 4 centimètre d'épaisseur) et à d'autres qui la dépassent (des mètres en hauteur et en largeur,...).


Musée d'Unterlinden - Aurélie Gandit - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Photo: lfdd
 
Musée d'Unterlinden - Aurélie Gandit - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Photo: lfdd

Les panneaux consacrés à Saint Antoine apportent du feu et de la violence dans les gestes, avec le mal des ardents - ou ergotisme gangreneux  - également appelé la danse de Saint Guy, puis s'apaise avec la visite de Saint Antoine à Saut Paul dans un paysage fantastique mais avec, aux pieds de Saint Paul toute une botanique de soin..
La visite continue avec la série de panneaux consacrés au Christ, l'Annonciation, la Nativité et le Concert des Anges, toute en sérénité, en joie et en bonheur; plein de lumière et de couleurs.


Musée d'Unterlinden - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Crucifixion - Photo: lfdd


Puis, beaucoup plus sombre et tragique, la séquence de la crucifixion et de la déposition, encadrée par les Saints Sébastien et Antoine, le Christ en croix, énorme qui, comme l'a décrit Huysmans: "vous abasourdit aussitôt avec l’effroyable cauchemar d’un calvaire (…) avec ses buccins de couleurs et ses cris tragiques, avec ses violences d’apothéoses et ses frénésies de charniers, il vous accapare et vous subjugue...". Nous restons sans voix et Aurélie Gandit ne peut que nous présenter, en toute intériorité l'incarnation de l'ensemble des personnages et figures qui entourent ce Christ en croix et au tombeau, dans un profond silence et un recueillement obligé. 


Musée d'Unterlinden - Retable de Grünewald - Résurrection - Photo: lfdd


Et on le quitte à jamais, passant de l'autre côté, là où, triomphant, il ressucite dans un cercle de lumière,  seul éclairage qui baigne la scène. Cette visuite nous aura permis de ressentir au plus près, à la fois par les mots mais aussi par les mouvements et les gestes, la force qui émane de cette magnifique oeuvre d'art qui est parvenue jusqu'à nous à travers les siècle. Le passage de la parole au geste, le rythme de la présentation et l'intériorité qu'Aurélie Gandit a réussi à faire passer dans nos sensations nous ont fait toucher du doigt à l'indicible et voir l'invisible caché dans ce polytpique exceptionnel qui a rétrouvé toute sa jeunesse et son éclat.

    

La Fleur du Dimanche