Nous avions gardé de Dorothée Munzyaneza un très bon souvenir de chorégraphe lors de son passage à Pôle Sud pour le Focus Carte Noire avec le Maillon et sa pièce Mailles consacrée à la parole de femmes d'Afrique. Avec Inconditionnelles elle s'intéresse à Kae Tempest, poète anglais.e non binaire dont elle met en scène la pièce Hopelessly Devoted qu'elle a traduit et qu'elle a eu envie de mettre en scène.
Inconditionnelles - Dorothée Munyaneza - Photo: Christophe Raynaud de Lage |
Cela commence par un beau poème dans une langue imagée et riche. Nous sommes dans un décor sobre et symbolique que Camille Duchemin a réduit à l'essentiel de son sens: des quadrillages faisant penser à des grilles de fenêtres qui marquent le sol. L'espace se divise en deux et l'on passe de l'un à l'autre par des sas qui s'ouvrent sur le mur noir du fond.
Inconditionnelles - Dorothée Munyaneza - Photo: Christophe Raynaud de Lage |
Le premier, une cellule dans laquelle se fera l'essentiel de la rencontre, le rapprochement des deux femmes, Serena et Chess, et le deuxième, l'espace de "récupération" où Chess va se retrouver elle-même, découvrir sa vérité profonde et sa part créative, son expression vitale grâce à l'accompagnement de Silver. Ces deux espaces, tout comme les personnages sont appelés à changer. Le premier, dévoilant au fur et à mesure le message sous-terrain, l'écriture de Chess qui jaillit littéralement de dessous les barreaux pour s'étendre au fur et à mesure sur le sol de la cellule et même débordant sur le deuxième espace.
Inconditionnelles - Dorothée Munyaneza - Photo: Christophe Raynaud de Lage |
Que ce soit par la scénographie (intéressant travail sur ces espaces de Camille Duchemin) ou la mise en scène - et par les raccourcis des passages d'un espace à l'autre, d'un état à l'autre, le récit garde une bonne dynamique. De même la dynamique des corps, que ce soit par leurs chorégraphies (où transparait le savoir-faire de Dorothée Munzyaneza) et la qualité gestuelle de Bwanga Pilipili mais surtout de Grace Seri qui interprète Chess, et également ses attitudes et gestes plus proches du dérèglement, de la déraison, peut-être un peu moins convaincants, nous rend ces personnages crédibles et l'on arrive bien à suivre leurs trajectoires vers une dépossession et un repli presque funeste qui atteint son summum chez Chess dans cette position catatonique et éprouvante pour le spectateur après sa tentative de suicide.
Inconditionnelles - Dorothée Munyaneza - Photo: Christophe Raynaud de Lage |
Le récit nous présente ainsi les rêves et les espoirs que crée d'une part cet amour naissant et la découverte pour Chess d'une expression poétique et musicale grâce aux séances avec Silver, qui ne manquent pas de rebondissements. Et il ne nous cache rien des déceptions liés à la douleur de la séparation, aux doutes et au désespoir qui en résultent dans des scènes intelligemment mises en espace. Un espace qui change et se dévoile au fil du récit dans une beauté formelle tout en couleurs franche et fortes, de même que les costumes (superbes de Lila John) qui nous font presque croire à un défilé de mode dans une prison - surtout pour les vêtements de Silver (Sondos Belhassen). Mais nous sommes presque dans un conte de fée, pour preuve la fin éblouissante et puissante qui nous transporte ailleurs. Un rêve que le public semble totalement apprécier. Tout comme la musique composée par Dan Carey et Ben LaMar Gay.
La Fleur du Dimanche
Au TNS Strasbourg du 5 au 15 novembre 2024
Aux Théâtre des Bouffes du Nord à Paris du 20 novembre au 1er décembre 2024
Musique Dan Carey
Traduction et mise en scène Dorothée Munyaneza
Arrangements et création sonore Ben LaMar Gay
Scénographie et lumières Camille Duchemin
Costumes Lila John
Assistanat à la mise en scène Lisa Como
Avec
Sondos Belhassen Silver
Bwanga Pilipili Serena
Davide-Christelle Sanvee La gardienne
Grace Seri Chess
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