jeudi 21 novembre 2024

Antigone in the Amazon de Milo Rau: un paysage dévasté au Maillon et une famille qui s'entretue

 La Maillon a l'habitude de proposer dans sa programmation des Paysages. Ces plongées dans l'univers d'une personnalité du théâtre est cette année consacrée à Milo Rau, ancien directeur du NTGent et actuellement directeur des Wiener Festwochen. Cette quatrième édition se focalise sur le rapport que le dramaturge et metteur en scène suisse, qui a l'habitude de se frotter à des faits de société contemporains, entretient avec les mythes antiques. Ainsi le 30 novembre et 1er décembre ce sera un fait divers - une mère qui assassine ses cinq enfants en Belgique - en regard avec le mythe de Médée.


Antigone in Amazon - Milo Rau - Photo: Christophe Raynaud de Lage


Et avec Antigone in the Amazon, la question soulevée dans la pièce de Sophocle servira de socle à un travail théâtral avec des habitants de la région de Parà dans le Nord du Brésil, en relation avec le massacre d’Eldorado de Carajás le 17 avril 1996 lors de la manifestation des paysans du MST - Mouvement des Sans Terre et dont la commémoration sert de toile de fond à la pièce. En l'occurrence c'est la mise en scène de cette manifestation repréparée et réalisée pour la pièce qui est projetée sur grand écran. Il y a un dialogue constant, une mise en abyme du théâtre d'un bout à l'autre du monde, ici dans la salle de théâtre et là-bas, en Amazonie qui se joue devant nous. En particulier, cette répression sanglante qui a causé 19 morts et dont se souviennent les rescapés et qui est comme ils le disent, le meurtre des frères par leurs frères. Ces ouvriers agricoles tués par la police militaire.


Antigone in Amazon - Milo Rau - Photo: Christophe Raynaud de Lage


Sur la scène, couverte de terre, quatre comédiens, deux qui viennent du Brésil, à jardin, dont Pablo Casella qui nous accueille à la guitare et Frederico Araujo, qui va, avec lui, en introduction nous chanter la malédiction contemporaine, la folie destructrice de l'homme envers la Mère Nature avec, en écho le choeur antique d'aujourd'hui par dessus les océans par le truchement de la vidéo. A cour, à une table avec chaises faisant office de loge, Sara De Bosschere et Arne De Tremerie, les comédiens du Théâtre de Gand ( NTGent) qui étaient partis en Amérique du Sud pour travailler avec les personnes du MST pour justement jouer Antigone chez eux. 


Antigone in Amazon - Milo Rau - Photo: Christophe Raynaud de Lage


C'était avant 2020 et le Covid est passé par là. Ce qui donne cette forme hybride où nous passons du passé et de ces documents filmés, à ce présent qui fait écho ici sur scène. Et encore aux diverses reconstitutions et reportages, intriquant les répétitions ou les représentation de la pièce au Brésil, les versions jouées pour le film. Tout cela projeté de temps en temps sur grand écran et commenté ou doublé en direct. Il y a aussi les reconstitutions des massacres et, pour finir, summum de la pièce, le reportage sur la commémoration de cet événement avec la tension qu'amène l'interdiction de cette dernière, et le côté cathartique de la simulation du massacre.


Antigone in Amazon - Milo Rau - Photo: Christophe Raynaud de Lage


Les niveaux de lecture sont multiples. Nous avons, par les deux comédiens belges, les explications de l'histoire de la pièce qui éclaire à la fois le contexte de la production et les imprévus qui ont déterminé la forme que prend le spectacle actuel, à la fois pour des raisons pratiques, financières et écologiques. Il y a le parallèle entre le mythe ancien et son surgissement contemporain. Il y a aussi cette problématique de la dépossession de la terre et des réponses politiques et policières violentes et il y a en final également toute l'interrogation sur le rapport de l'homme à la terre, la nature et de l'avenir de la planète. Toutes ces questions, qui dans cette pièce multiforme et multilingue, où nous ne comprenons pas toujours tout (et les paysans du Brésil non plus d'ailleurs, comme c'est dit dans la pièce), mais qui n'empêchent que nos pouvons, ensemble trouver des réponse communes, ne serait-ce que de vivre ensemble la vie des autres - comme les comédiens l'ont aussi expérimenté et vécu - pour faire humanité. 


Antigone in Amazon - Milo Rau - Photo: Christophe Raynaud de Lage


Une leçon simple et directe de cohabitation et de considération de chacun et chacune dans une vie partagée avec humilité.


La Fleur du Dimanche


Antigone in the Amazon


Conception, mise en scène et texte : Milo Rau
Avec sur scène : Frederico Araujo, Pablo Casella, Sara De Bosschere, Arne De Tremerie
Et sur écran : Kay Sara, Gracinha Donato, Célia Maracajà, le Chœur des militant·es du Movimento dos Trabalhadores Rurais sem Terra (MST), et en tant que Tiresias, Ailton Krenak
Dramaturgie : Giacomo Bisordi
Collaboration à la dramaturgie : Douglas Estevam, Martha Kiss Perrone
Assistantes dramaturgie : Kaatje De Geest, Carmen Hornbostel
Création musicale : Elia Rediger, Pablo Casella
Scénographie : Anton Lukas
Création costumes : Gabriela Cherubini, Jo De Visscher, Anton Lukas
Création lumière : Dennis Diels
Création vidéo : Moritz von Dungern
Making of vidéo : Fernando Nogari
Montage vidéo : Joris Vertenten
Collaboration au concept, recherche et dramaturgie : Eva-Maria Bertschy
Production : NTGent
Coproduction : The International Institute of Political Murder (IIPM) / Festival d'Avignon / Romaeuropa Festival / Factory International / La Villette / Tandem scène nationale / Künstlerhaus Mousonturm / Equinoxe, Scène nationale de Châteauroux / Wiener Festwochen
En collaboration avec : Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST)
Avec le soutien de : Goethe Institut Saõ Paulo / Pro Helvetia – programme Coincidencia, Echange culturel Suisse – Amérique du sud / The Belgian Tax Shelter Remerciements à Carolina Bufolin



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