vendredi 18 février 2022

Le Festival Everybody au Carreau du Temple: tous les corps sont permis

 Le Carreau du Temple, un lieu, un bâtiment à l'architecture industrielle, rénové en 2014 et qui,depuis, accueille des manifestations culturelles, artistiques  et sportives prouve sa grande ouverture par la diversité de sa programmation ou la gamme des manifestations hébergées. Le Festival Everybody qui s'y tient du 18 au 23 février est de cet ordre-là. L'on pourrait d'ailleurs le traduire par "tous les corps" en se basant sur le contenu de la programmation. Ce festival qui interroge la place du corps dans la société contemporaine propose donc autant un bal voguing, des ateliers de danse, des rencontres, des projections de films, des rencontres, des installations d'art contemporain, des lectures et un certain nombre de spectacles qui questionnent le corps avec les chorégraphes européens Chiara Bersani, Rébecca Chaillon, Annabel Guérédrat, Cherish Menzo, Mickaël Phelippeau et Trân Tran.

La soirée du 18 février était particulièrement riche, comme il se doit pour un festival, avec trois propositions diverses et complémentaires en termes d'angle d'approche des problématiques soulevées et de leur mise en oeuvre.


Festival Everybody - de Francoise à Alice - Mickaël Phelippeau - Photo: Philippe Savoir

C'est Mickaël Felippeau avec "De Francoise à Alice" qui ouvrait le bal, à la fois un portrait et une dédicace de l'une, Françoise (Davazaglou) à Alice (Davazaglou) et en même temps une carte blanche à cette dernière qui avait annoncé à Mickaël Phelippeau "Je veux le faire pour que les gens sachent qui on est." Nous assisterons donc à une lente et progressive occupation du plateau par les deux femmes, tout en tendresse et en relation, le toucher, la caresse, le contact étant important entre elles. Quelques airs rock de Patti Smith et diverses versions de la chanson Perfect Day seront l'occasion de chorégraphies en dialogue entre celle qui se révèlera être la mère et  sa fille, avant qu'elle ne raconte avec à la fois avec pudeur et émotion son "perfect day", le jour où Alice est né, avec son handicap et le bouleversement que l'évènement a induit dans sa vie. Alice de son côté va pouvoir occuper la scène en paillettes et habit de lumière, libérant son corps après avoir également justifié son envie de reconnaissance, pas seulement individuelle, mais pour l'ensemble des personnes touchées par la trisomie 21. Et puis on va ranger les paillettes et on essaie de vivre dans le monde réel, pleinement assumé, tout en pensant aussi au futur.


Festival Everybody - Jezebel- Cherish Menzo - Photo: Bas de Brouwer

Dans une toute autre ambiance, dans la salle de spectacle, Cherish Menzo, la danseuse et chorégraphe d’Amsterdam présente la performance Jezebel, titre en référence à l’un des trois archétypes de la femme noire dans l’histoire de l’esclavage: son côté hyper-sexualisé. Dans une ambiance de boite de nuit branchée, elle arrive dans un ralenti somnambulique, enveloppée dans un grand manteau de fourrure blanc qui la fait ressembler à un ours blanc. Sur une bicyclette surbaissée tout en longueur elle fait un long tour de plateau. La musique de Michael Nunes faite de battements, de pulsations de basses, enveloppées de nappes sonores qui s’étirent, et l’éclairage bleuté avec quelques rayons mauves de Niels Runderkamp participent à installer une ambiance intime. Cherish Menzo se positionnant près des spectateurs devant une caméra nous gratifie d’une danse assez impressionnante de la langue et de la luette projetée en gros plan sur l’écran en fond de scène. Puis, avec ses faux ongles extra-longs, déconstruisant les schémas dominants de l’image de la femme dans les clips, surtout dans le rap ou le R&B, et s’inspirant des vidéos "Vixen", elle nous entraîne dans quelques danses de séduction. Elle continue avec des chansons qu’elle interprète d’une voix magnifique pour finir en ours bidendum qui déambule sur la scène avec son rythme toujours aussi ralenti. Une performance qui plait au public d’afficionados présent ce soir.


Festival Everybody - Anabel Guérédrat - I’m a Bruja - Photo: DR

Pour clore la soirée, la martiniquaise Anabel Guérédrat nous fait participer avec I’m a Bruja à une performance en cinq tableaux. Elle arrive du fond de la salle sur ses hauts talons et dans son manteau pour s’arrêter à deux pas du public. Elle ôte son manteau et se retrouve ainsi nue face à nous. Elle chante en play-back une chanson de Nina Hagen, première sorcière de la soirée dont elle endosse la première peau. Puis, quittant ses chaussures à talon, elle se place dans un cercle de lumière et de bougies. Elle fait sa cérémonie psychopompe et se fait un masque de ses cheveux. La troisième sorcière sera l’urbaine, en short et maillot, masquée d’une cagoule. Sur un air de Vivaldi, coiffée d’un casque qui diffuse une autre musique, elle danse un krump énergique et habité. Pour le tableau suivant, elle se retrouve nue sur talons et arrange et réarrange des lignes de néons. Pour le dernier tableau, elle va s’oindre le corps d’huile pour ensuite s’arroser de paillettes dorées, noires et multicolores dans le cercle de lumières pour réincarner la somme des sorcières. Il faut préciser que la sorcière doit être entendue à la fois comme celle qui connait et exerce les rituels, mais également celle qui invente, crée des liens, prend soin d’elle-même et des autres et aussi de la nature.

Cette riche soirée aura permis de traverser différentes approches et engagements vis-à-vis du corps, surtout féminin et surtout de donner voix à ces corps souvent brimés, exclus ou cachés.

La fleur du Dimanche

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