Jean-Luc Godard, après avoir oeuvré à mettre le cinéma dans la rue avec la Nouvelle Vague puis à le rendre éminemment politique, déjà avant mai 68 (sa participation au film du film Loin du Vietnam avec l'épisode Caméra-œil), et encore plus avec le groupe Dziga Vertov a annoncé la mort du cinéma. Eddy D’aranjo travaillant sur le projet de pièce Après Jean-Luc Godard ne pouvait que se poser la question de savoir si le théâtre lui-même n'était pas mort, et alors, comment rendre à la fois hommage au vieux Godard et la réflexion qu'il porte dans ses films. Ce n'est donc pas en rejouant en copier-coller de certaines scènes emblématiques et ultra-culte de ses premiers films avec Jean Seberg, Anna Karina, Jean-Paul Belmondo, Brigitte Bardot, et le moins connu Bernard Noël, piste qui a été vite abandonnée par l'équipe de production, ni de faire un "balayage" résumé en couches multiples de l'évolution artistique et politique de ce que l'on peut considérer comme un "maitre", sauf bien sûr pour ses détracteurs.
Après Jean-Luc Godard - Eddy D'aranjo - TNS - Photo: Willy Vaiqueur |
L'idée serait donc plus de déconstruire, entre Brecht et Beckett et de reconstruire un semblant de "représentation" pour com-prendre, partager des idées, des sensations, des réflexions et avancer ensemble dans cette construction-déconstruction. Et il y aura donc un texte, pas forcément de Godard, même s'il y en a, aussi de ses films, textes qu'il utilise mais qui ne sont pas forcément de lui (un texte sur la beauté, par exemple de Hermann Broch) mais on le sait bien, Godard est auteur en dévorant les oeuvres des autres, en se les appropriant. C'est aussi le cas dans cette pièce. Des textes que l'on ne comprend "pas forcément, c'est aussi cela le plus beaux" disent les deux "actrices" Clémence Delille, scénographe et créatrice des costumes et Edith Biscaro qui introduisent la pièce face à nous, assises sur des chaises rouges devant un écran de la largeur de la scène sur laquelle Edith va filmer sa consoeur puis l'arrivée de Jeannot dans une double mise en abyme.
Après Jean-Luc Godard - Eddy D'aranjo - TNS - Photo: Willy Vaiqueur |
La pièce se déroule en deux parties
La première partie Pleurer Jeannot commence par un appartement avec fantôme - qui pourrait ressembler à l'intérieur d'un photographe ou d'un cinéaste - et joue sur à la fois sur des retrouvailles et des souvenirs, mais aussi à la fois sur l'intime et la mise à distance. Au fur et à mesure d'un certain effacement, la déconstruction, le dé-rangement et le vide qui s'installe distille une angoisse sourde et une mélancolie certaine. Un interlude expérimentant avec force l'empathie va nous mettre en face la fragilité de notre avenir d'humain (Godard a 91 ans). Et la déconstruction du théâtre, au sens propre par le retournement du décor agit en force, tandis que les textes deviennent plus poétiques (réflexions sur le temps, la beauté,..) jusqu'à la disparition volontaire du protagoniste qui s'enferme dans une armoire jaune.
Après Jean-Luc Godard - Eddy D'aranjo - TNS - Photo: Willy Vaiqueur |
La deuxième partie, Un spectacle en train de disparaître reprenant par la mécanique brechtienne de l'apostrophe au public, la présentation de soi et l'exposition des pistes non retenues, ainsi que des point de vues opposés entre l'acteur et le metteur en scène nous valent un "digest" de la vie et de l'oeuvre du cinéaste et des étapes importantes de son parcours (selon ces deux protagonistes) pour aboutir à un questionnement, plutôt que l'engagement politique (de Godard, mais aussi en général, sur la Guerre du Vietnam, justement noeud de cette explication) vers l'imprégnation d'un état d'esprit, ou plutôt d'un sentiment, un cheminement vers la tristesse. Et la pièce s'achève par une nouvelle mise en abyme avec la "révélation" commentée et documentée des rares photos de l'horreur ultime, des quatre images prises clandestinement au crématoire V d'Auschwitz en août 1944 par un des membres du Sonderkommando un juif grec dont on ne connaît que le prénom, Alex. Photos dont parle Georges Didi-Hubermann dans son livre "Images malgré tout" et qui font dire à Maurice Blanchot, "l'invisible s'est à jamais rendu visible" et à Georges Bataille : "L'image de l'homme est inséparable, désormais, d'une chambre à gaz.". Ce "montage" signifierait la "mort" du cinéma, la mort "ultime" et ce récit met fin à la pièce de théâtre.
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