Le bistrot, le restaurant est un théâtre: théâtre de la vie, théâtre de l'intime, théâtre public. On s'y joue sa comédie ou sa tragédie, ses histoires d'amour et ses séparations (quelquefois). On y est les figurants de la grande scène du Monde, ou alors on y est spectateurs de ces petites riens qui s'y déroulent, de ces destinées qui s'y exposent, de ces défilés de figures originales, pittoresques, sensibles, grossières qui s'y tiennent. Quelques-uns s'y réfugient dans le silence du vacarme qui s'y installe, à l'abri de cet oxymore qui les protège de la solitude et du vide, pour y écrire, entre autres.
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| Barmanes - Marion Bouquet - Photo: Robert Becker |
Cependant tous ces acteurs ne sont en fait que des figurants bénévoles - et encore, ils payent leurs consommations - de ce film qui raconte un peu d'humanité. En fait, la seule personne qui est payée sur ce plateau, c'est la serveuse ou la barmaid, qui, elle, porte le plateau. Mais en réalité elle ne fait pas que de porter des plateaux de quatre kilos avec bières et autres boissons ou entrée, plat ou dessert…, elle fait beaucoup plus qu'on peut imaginer. Et quand on demande à Marion Bouquet - quand elle dit qu'elle est comédienne - "Dans quel restaurant ?" , on n'a pas tout à fait tort.
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| Barmanes - Marion Bouquet - Photo: Vincent Muller |
Parce que la comédienne de la pièce Barmanes - dont elle est également l'autrice et la metteuse en scène - a effectivement passé dix ans dans le métier dont elle décrit avec précision et justesse les aspects ignorés. Elle fait le tour avec un extraordinaire sens de l'observation - et de la restitution - de toutes les tâches qui incombent à la personne en plus de dire "Qu'est-ce que je vous sers?". Mais son regard est à la fois observateur, impliqué, sensible, bienveillant et critique. Et elle saupoudre tout cela avec beaucoup d'humour - sinon elle ne tiendrait pas.
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| Barmanes - Marion Bouquet - Photo: Robert Becker |
Sur un rythme soutenu, tel que le métier, on imagine, l'exige, nous allons passer une journée dans la peau d'une serveuse, de ses tâches de ménage, sa lecture de l'horoscope quotidien (qu'elle partage avec le public), ses transports de barils de bières - il faut aussi être costaude physiquement en plus de la force de caractère dont il faut faire preuve lorsqu'un client abuse ou exagère - et ses courses entre les tables pour être au service de la clientèle (Sachez d'ailleurs que dans les "courses de garçon de café", il y a aussi des femmes qui gagnent) et ses pauses (bousculées).
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| Barmanes - Marion Bouquet - Cie Le Veilleur |
Les coups de sonnettes du passe-plat rythment les enchaînements dans un défilé tonitruant d'expressions typiques et pittoresque du métier auxquelles nous ne faisons plus attention, les moment de management ou de formation, toute une série de situations vues avec distance et ironie, des échanges dont nous-même avons pu être été témoins ou acteur, les attitudes d'attente, d'incompréhension ou certaines franchement méprisantes ou offensantes. Sans oublier dans un autre registre, les moments émouvants, bouleversants, qui se sont produits dans ces lieux de rencontre et de partage.
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| Barmanes - Marion Bouquet - Photo: Robert Becker |
Par exemple, cette envie de rencontrer l'amour à la table numéro 4. Ou encore, à l'opposé dans la gamme des sentiments, de se retrouver au 32ème dessous, à douter de tout.
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| Barmanes - Marion Bouquet - Photo: Robert Becker |
La petite troupe de la compagnie Le Veilleur, avec à la dramaturgie complice de Giuseppina Comito, la scénographie bien ciblée pour la cité des brasseurs d'Alice Girardet, Nawel Bounar à la chorégraphie - parce que bien sûr, un bistrot et un bar sans musique (création sonore d'Oceya) ne se conçoit pas, de même qu'une déclaration d'amour sans karaoké ni paillettes, non plus! Et, il y a l'inventif travail de Mathias Moritz aux lumières, qui transforme ce plateau en des dizaines d'univers et d'ambiances, en véritable créateur d'atmosphères et magicien des sentiments.
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| Barmanes - Marion Bouquet - Cie Le Veilleur - Photo: Robert Becker |
Il ne faut pas oublier les dizaines d'ex-collègues de Marion Bouquet qui ont "étoffé" le récit de Barmanes de leurs témoignages et les différentes équipes, dont en particulier les services culturels et de la Salle du Cercle de Bischheim où elle a mûri et construit cette création. Et il faut surtout féliciter Marion Bouquet d'avoir pu passer de la salle du restaurant, avec l'écriture, à la scène avec ce magnifique texte très bien construit et superbement interprété. Elle parvient à nous emporter dans un univers qu'elle maîtrise totalement et dont elle nous fait les acteurs (les vrais cette fois-ci et pas les figurants) avec une très forte empathie. Nous aurons une pensée pour elle lorsque nous irons au café ("café, café allongé, double,... service au bar le matin,...) ou au restaurant. Nous lui devrons de nous avoir ouvert les yeux sur un métier où, en tant que femme, serveuse ou barmaid, il faut être "strong" - Barmane ! Et nous la remercierons de nous avoir fait passer toutes les émotions, les sentiments, la poésie qui peuvent se cacher derrière le nom d'un métier.
La Fleur du Dimanche
06 novembre 2025 - Salle du Cercle - Bischheim - Création
25 novembre 2025 - Salle Europe - Colmar
27 novembre 2025 - Ville de Mulhouse
16 janvier 2026 - Espace 110 - scène conventionnée d'Illzach
29 janvier 2026 - La Coupole - Saint-Louis
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il est vrai que l'on ne décrit et relate bien que ce que l'on a sois même vécu. Bravo !
RépondreSupprimerMerci pour le commentaire
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