Quand on va voir Prendre Soin d'Alexander Zeldin au TNS, on s'attend à voir un hôpital ou un EHPAD ou une institution équivalente. Mais ce qui s'offre à notre vue, ce sont les murs bien sales et défraichis de ce qui ressemble à un hall d'usine, les carreaux aux murs n'étant plus vraiment blancs. Et on s'interroge un peu sur le sens du titre. On constate la disproportion de l'espace par rapport aux humains qui vont s'y retrouver avec la table et les chaises qui y sont presque collées au mur du fond.
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Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Et le ballet des humains qui rentrent, et éventuellement ressortent dans ce hall esquissent, sans aucune parole, les personnages que l'on va suivre: l'un, un peu enveloppé entre par les deux grands battants du fond, il prend un livre mais ne reste pas, il sort par une petite porte à gauche. Une femme entre par le rideau de rubans à droite et, semblant découvrir le lieu, le traverse et commence à l'occuper, une autre ose à peine rentrer. Ce ballet parfaitement millimétré construit les personnages sans qu'aucun mot ne soit au départ prononcé.
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Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Et quand la parole advient avec l'arrivée de Nassim, le chef d'équipe, on se rend tout de suite compte que ces personnes sont des numéros de dossiers, des invisibles, des intérimaires de la nuit, échangeables et jetables, des "technicien.ne.s de surface". Mais tout l'art d'Alexander Zeldin sera de peindre, ou de construire de manière, à l'image des sculptures de Duane Hanson, ces "figures hyperréaliste du travail" avec, grâce au mouvement et au langage (réduit à l'essentiel), des êtres de chair et de sang, avec des histoires et des trajectoires personnelles, habitées par des sentiments et une fierté d'âme. Quelque soit le personnage.
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Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez |
On y voit à l'oeuvre, observés avec lucidité les mécanismes d'assujettissement et de contrainte dans cette micro communauté, dans le métier d'intérimaires de nuit du nettoyage. C'est acerbe, quelquefois tendre, quelquefois humoristique, ou drolatique (le test de la balayeuse mécanique démesurée, elle aussi), carrément surréaliste (l'entretien d'évaluation), mais plein d'attention et d'humanité, avec tous ces travers. Les comédiens sont impeccable, Nabil Berrehil en Nassim, le chef d'équipe faussement empathique et autosuffisant, Patrick d'Assumçao (dont on avait apprécié le personnage duel et intrigant dans le film l'Inconnu du Lac) qui navigue entre sympathie, fragilité et concupiscence, Charline Paul en Suzanne, discrète et effacée dont on se demande si elle cache son jeu, mais qui est capable de fulgurances (étonnantes), Lamya Regragui en Louisa qui se carapace et se protège mais craque quand même et Juliette Speck en Esther, le maillon faible du groupe mais qui ne manque pas de courage.
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Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Et, fantôme de ces fantômes, Bilal Slimani, incarnant celui qui à priori n'existe pas et qui tient pourtant désespérément à exister. Les situations sont très justement décrites, Alexander Zeldin ayant déjà fait tout un travail d'enquête pour la pièce qu'il avait créée dans la cadre de sa trilogie Les inégalités, Beyond Caring. Et il a, pour l'adapter au contexte français, complété le travail auprès des entreprises en France, plongeant les comédiens et comédiennes dans la réalité du métier du nettoyage. Le ballet des hommes (et des femmes) et des machines ou leur chorégraphie des sentiments humains avec essais de rencontres, tergiversations, esquives ou évitements est magnifiquement observé - et transposé - par l'assistante d'Alexander Zeldin, Kenza Berrada, qui a travaillé avec Elsa Wolliaston.
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Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Ce petit monde prend corps - et fait corps - au fur et à mesure, alors que la tension croît, que les stratagèmes se montent et les faiblesses affleurent, mais également les solidarités, avec de beaux moments d'entraide. C'est observé au scalpel, comme l'autopsie d'un désastre, cet univers qui broie l'homme et la femme, symboliquement dans cette boucherie industrielle qui finit par exposer ses boyaux et son sang qui recouvre tout, dévorant, tel un ogre insensible, ceux qui y travaillent.
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Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez |
La pièce fait penser, en plus clinique, au livre de Joseph Pontus A la Ligne - Feuillets d’usine. Et la représentation, dans un réalisme cru (à l'image de la lumière crue de Marc William qui baigne d'une même froideur de néon la scène et la salle pour nous y inclure) nous fait aussi penser au cinéma social anglais de Ken Loach, la proximité des corps en plus.
La Fleur du Dimanche
Au TNS du 7 au 17 octobre 2025
Les représentations du 16 et du 17 octobres sont surtitrées en Anglais et en Géorgien.
23–26 octobre 2025 : Teatro Metastasio, Prato [Italie]
30–31 octobre 2025 : Teatro Due, Parme [Italie]
12–13 novembre 2025 : Le Volcan — Scène Nationale du Havre
23–24 novembre 2025 : Crossroads Festival, Prague [Tchéquie]
5–6 décembre 2025 : De Singel, Anvers [Belgique]
11–12 décembre 2025 : Théâtre Populaire Romand, La Chaux de Fonds [Suisse]
26–28 février 2026 : Culturgest, Lisbonne [Portugal]
18–22 mars 2026 : Les Célestins, Lyon
4–12 juin 2026 : : Théâtre de la Ville – Les Abbesses, Paris, dans le cadre de Chantiers
d’Europe
[Avec] Patrick d’Assumçao - Philippe, Nabil Berrehil - Nassim, Charline Paul - Susanne, Lamya Regragui - Louisa, Bilal Slimani - Mahir, Juliette Speck - Esther
[Collaboration à la mise en scène] Kenza Berrada
[Scénographie et costumes] Natasha Jenkins
[Assistanat aux costumes] Gaïssiry Sall
[Lumière] Marc Williams
[Son] Josh Grigg
[Assistanat au son] Antoine Reibre
[Mouvements] Marcin Rudy
[Coach vocal] Hippolyte Broud
[Coordination d’intimité] Claire Chauchat
[Régie générale] Léo Garnier
[Régie lumière] Léo Garnier et Erwan Emeury
[Régie son] Victor Koeppel
[Régie plateau] Vincent Rousselle
[Régie costumes] Noémie Reymond
[Direction de production] Marko Rankov
[Administration de production] Émilie Oudet (Cyclorama)
Et l’équipe technique du TnS
[Régie générale] Antoine Guilloux, Marie-Lou Poulain
[Régie plateau] Alain Meilhac, Abdelkarim Rochdi, Denis Schlotter
[Machinistes] Jean De Luca, Margaux Fabre
[Régie lumière] Christophe Leflo de Kerlau, Lou Paquis, Sophie Prietz
[Électricien] Justin Timmel
[Régie vidéo] Ludovic Rivalan, Xing Wei
[Régie son] Maxime Daumas, Sébastien Lefèvre
[Accessoires] Anne Joyaux, Clothilde Valette
[Habilleuses] Camille Fuchs, Selma Kalt
[Régie des titres] Jean-Christophe Bardeaux
Le décor est réalisé par les ateliers du TnS.
Production Compagnie A Zeldin
Coproduction Théâtre national de Strasbourg ; Fondazione Teatro Metastasio, Prato ; Théâtre des Célestins ; Le Volcan - Scène Nationale du Havre
L’administration de la Compagnie A Zeldin et la production exécutive de ses spectacles sont assurées par Cyclorama.
Alexander Zeldin est artiste associé aux Théâtres de la Ville de Luxembourg.
La compagnie A Zeldin est conventionnée par le Ministère de la Culture / Direction régionale des affaires culturelles Ile de France.
Avec le soutien de la Fondation Crédit Mutuel Alliance Fédérale pour les représentations surtitrées dans ta langue.
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