On a tendance à considérer le théâtre comme un art "vivant", un spectacle dans lequel nous assistons à une représentation où, sur la scène, des acteurs racontent (diégesis) une histoire ou la jouent, la représentant (mimesis) pour nous émouvoir, nous instruire ou nous faire réagir. Au fil du temps ces formes ont évolué et les modalités ont changé et les technologies aidant, des artifices et des médias autres s'y sont intégrés. Le contenus et les formes ont aussi évolué. Bien sûr on va toujours au théâtre pour voir ce qu'on appelle les "Classiques" (Molière, Shakespeare, Tchekov,...) ou les "Modernes", tous ces auteurs du XXème et du XXIème siècle, mais les formes se sont aussi diversifiées et pour les classiques, les artifices de mise en scène et de jeu ont dépoussiéré les alexandrins. Et l'éventail de styles est une richesse. A ces "textes" se sont aussi adjoint d'autres formes de théâtre qui ont pris un essor en dehors des lieux classiques, entre autre par le biais des spectacles d'humoristes, souvent des solos, et en particulier, en parallèle avec l'arrivée en littérature du récit autobiographique ou de l'autofiction, des seul(e)s en scène ou des Stand-up, dont l'improvisation devient partie intégrante du spectacle. Au TNS, il y a déjà eu récemment les deux spectacles de Laurène Marx Pour un temps sois peu et Je vis dans une maison qui n'existe pas.
Avec Cécile, une "Mise en scène" Marion Duval, avec une "performance" de Cécile Laporte, avec une "conception" de Marion Duval et Luca Depietri et une "dramaturgie" d'Adina Secretan, nous nous trouvons dans une forme limite du spectacle et de l'autofiction. D'ailleurs, pour commencer, c'est Marion la metteuse en scène qui prend la parole pour expliciter les "règles du jeu" de la pièce, également pour les spectateurs, en particulier de "se recentrer" et de se "rapprocher" de la scène, les règles pour "sortir" de la salle : au moment des changements de chapitre (la pièce étant chapitrée par la metteuse en scène pour rythmer et structurer la performance) et surtout ne pas sortir quand il y a des "moments de théâtre".
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Cécile - Cécile Laporte - Photo: Mathilda Olmi |
Elle présente aussi Cécile Laporte en précisant que "les gens s'épanouissent à son contact". Ce qui n'est pas faux. Effectivement, Cécile est non seulement un "personnage", mais en plus elle a une capacité contagieuse de détendre l'atmosphère, de récolter de l'empathie et de conter avec rythme et suspense, avec des ruptures, des rebondissement, de l'humour et une franche autodérision qui nous permet de réagir à toutes les aventures surprenantes, saugrenues, insolites, imprévisibles, presqu'impossibles qu'elle a vécues et qu'elle nous raconte avec une fraicheur à toute épreuve.
Ainsi dès le premier chapitre intitulé Animation handicapé, elle raconte son premier vrai job où, pour foncer sur les routes sinueuses des Pyrénées, il lui fallait comme passeport un diplôme du BAFA, un permis de conduire (reçu par dépit) et un RIB. Et ainsi convoyer une folle équipe (c'est bien le cas de le dire) au fin fond du pays avec la charge d'âmes qu'elle arrive à maintenir en survie sans formation spéciale. Et c'est parti pour presqu'une demi-heure d'aventures picaresques toutes plus délirantes les unes que les autres. Parce que, quand on a l'impression que c'est fini, ça recommence de plus belle. C'est le cas aussi de l'épisode des Clowns à l'hôpital, de Fuck for Forest, de La ZAD ou de la Comédie Musicale à l'asile, dans des tonalités et sur des thématiques différentes. Ces récits permettent de découvrir la générosité, l'ouverture et l'engagement de Cécile sur tous les plans (même les plans cul) dans la vie et envers les autres, de saisir aussi sa fragilité et les difficultés qu'elle a dû surmonter.
Lorsqu'elle raconte ces histoires, assises sur une chaise face à nous, mais aussi marchant d'un bord à l'autre de la scène ou parmi les spectateurs (prenant même un bain de foule dans un vol plané au-dessus des spectateurs porteurs), des photos (de son séjour dans les Pyrénées) ou des extraits vidéo témoins - de Notre-Dame-des-Landes ou de la Réincarnation de Bob Marley - sur l'écran derrière elle témoignent de la réalité de son histoire.
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Cécile - Marion Duval - Cécile Laporte - Photo: Mathilda Olmi |
Et en contrepoint, respiration dramatique, des scènes sont jouées, rideau de projection levé pour la partie mimésis d'elle. Avec des figures et des marionettes (Séverine Besson) et comme un cadeau avec la concrétisation du rêve de la Comédie Musicale, un très beau cadeau que lui offre en retour Marion Duval comme catharsis d'un épisode douloureux. Toute l'intelligence de ce spectacle qui navigue sur le fil, et dont nous-mêmes sommes en train de suivre, en équilibre entre plaisir, voyeurisme, émotion et engagement, les rebondissements est dans cette franchise et cette simplicité qu'incarne Cécile Laporte. Et aussi dans son engagement et sa générosité. Un coeur grand -et gros - comme ça.
La Fleur du Dimanche
[Mise en scène] Marion Duval
[Conception] Marion Duval et Luca Depietri (KKuK)
[Dramaturgie] Adina Secretan
[Collaboration artistique, chant, jeu et régie plateau] Louis Bonard
[Costumes et marionnettes] Severine Besson
[Son et musique] Olivier Gabus
[Scénographie et lumières] Florian Leduc
[Sculptures et dessins] Djonam Saltani, Iommy Sanchez
[Vidéo] Diane Blondeau
[Jeu et régie plateau (en alternance)] Louis Bonard, Diane Blondeau, Marion Duval, Maxime Gorbatchevsky, Sophie Lebrun, Atakan Tan
[Régie lumière] Lula, Redwan Reys
[Animation 3D] Iommy Sanchez, Lauren Sanchez Calero
[Diffusion] Anthony Revillard
[Administration] Laure Chapel – Pâquis et Marie Lacoux
[Collaboration production] Anna Ladeira – Le Voisin
[Production] Chris Cadillac
[Coproduction] Arsenic – Centre d’art scénique contemporain, Théâtre Saint-Gervais
[Soutiens] Pro Helvetia – Fondation suisse pour la culture, Loterie romande, Pour-cent culturel Migros, Fondation Ernst Göhner, Fondation Engelberts
[Aide à la recherche] Manufacture – HES-SO
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