mardi 21 janvier 2025

Avec Elles à Pôle Sud: Chloé Zamboni et Lara Barsacq - Variation sur le duo et trios

 Troisième soirée du Festival L'Année commence avec elles à Pôle Sud (Voir les billets sur la première et sur la deuxième soirée sous les liens). Et toujours un programme exclusivement féminin dont la ligne directrice serait le duo (avec variantes).


MAGDALENA - Chloé Zamboni - La Ronde    


Avec Chloé Zamboni - et Marie Vienot ("en étroite collaboration" comme il est dit dans le générique), nous nous trouvons dans un triangle, en fait, dont nous spectateurs sommes les observateurs privilégiés. Bien sûr le spectateur est toujours la personne à qui s'adresse le spectacle et l'action qui se déroule sur scène. 


Magdaléna - Chloé Zamboni - Photo: Laurent Philippe


Mais dans le dispositif que mettent en oeuvre les deux danseuses face à nous,  dans Magdaléna, c'est une relation très forte, intime, ce que surligne cette bougie posée dans le coin droit du tapis de danse blanc en partie déroulé, posé sur la surface noire du plateau du studio. Et les deux danseuses sont aussi vêtues de noir, ne laissant apparaître que les extrémités nues de leur corps: les jambes, les bras et la tête. Installées dans le silence, elles sont assises, imbriquées l'une à l'autre, ne faisant presque qu'un seul corps. Et nous incluent dans cette construction. Qui ne bouge presque pas. 


Magdaléna - Chloé Zamboni - Photo: Laurent Philippe

C'est par des gestes lents, de glissements, de décalage, d'apparition de mains de derrière les corps ou de rotation lente de la tête, synchronisée et désynchronisée, avec des mouvement discrets des yeux également qui nous ignorent ou nous cherchent. S'ensuit une géométrie corporelle du mouvement par lents glissements, déconstruction et réadaptation des corps l'un avec l'autre, où les pieds aussi forment des images singulières. Le silence nos plonge dans un univers hors du temps et quand surgit une musique à la Monte Young, nous somme portés par ces nappes ondulantes qui se transmettent également aux danseuses. Elles bougent en ondulations, saccades souples et interrompues, quelquefois rembobinées, sous les pulsations de la musique. 


Magdaléna - Chloé Zamboni - Photo: Mathilde Guiho

Elles sont aussi debout, formant également des géométries verticales, toujours avec ce lien avec nous public, que ce soit au niveau du regard, tenu ou occulté, mobile et complice. Dans cette maîtrise de la lenteur, les gestes produisent des images, surprenantes quelquefois, le corps devient ligne ou forme, les membres font apparaître de surprenantes figures. En une sorte d'animation muybridgienne au ralenti. Quelquefois l'une ou l'autre quitte le plateau pour se reconnecter plus tard et pour finir, une animation à quatre pieds nous emmène vers un apaisement définitif.


La Grande Nymphe - Lara Barsacq


Avec Lara Barsacq, la forme du duo est un peu "bousculée" tout comme sa lecture du Prélude à l’après-midi d’un Faune où elle déconstruit puis fait revivre le célèbre ballet de Valslav Nijisnski qui a fait scandale à son époque. Elle s’approche et contourne le ballet créé en 1912 par ce dernier avec les Ballets Russes dans une mise en scène originale: Le spectacle a été joué sur l’avant-scène par le duo de la Grande Nymphe et du Faune (interprété par Nijinski) et six nymphes devant un rideau peint par Léon Bakst. Ce spectacle nous amène à la question du titre, duo – trio et qui se joue dans le trio des artistes à l’origine du Ballet: Nijinski pour la chorégraphie, Debussy pour la musique et Mallarmé pour le poème ayant inspiré Debussy, L’après-midi d’un Faune


Lara Barsacq - La Grande Nymphe - Photo: Sybille Cornet


Du côté de Lara Barsacq et des origines, il y a aussi un duo qui devient trio qui flotte en l’air, à savoir le peintre Léon Bakst, son arrière-grand-oncle, qui a beaucoup travaillé en tant que scénographe et costumier avec les Ballets Russes et en particulier Ida Rubinstein et Bronislava Nijinska, deux danseuses auxquelles elle a rendu hommage à travers ses deux précédentes pièces IDA don’t cry me love (2019) et Fruit Tree (2021). t puis, au niveau de La Grande Nymphe il y a aussi ce duo de danseuses, Lara et Marta Capaccioli qui dédoublent cette Grande Nymphe avec des corporalités différentes, une séduction qui se transmet aussi de l’une à l’autre, chacune avec son charme et sa présence propre. 


Lara Barsacq - La Grande Nymphe - Photo: Sybille Cornet


Et le troisième larron, larronne aussi, la musicienne Cate Hortl qui arrive en premier sur le plateau et lance la musique - des effets électroniques qui revisitent Debussy - et y mêle des chansons glamour, qui se fait aussi la maîtresse du micro introspectif sur les sentiments de chacune vis-à vis de la pièce. C’est le début d’un long et complet encerclement pour ainsi dire du sujet, à l’image du roller derby, que Lara Barsacq apprend autour de la Pyramide (de Pei au Louvre à Paris) dans le film inaugural et qui débouche sur une vraie partie de roller sur scène où l’on ne peut que constater la prédiction de Lara: Marta est vraiment à l’aise sur ses rollers…. 


Lara Barsacq - La Grande Nymphe - Photo: Sybille Cornet


Par cercles concentriques et échappées documentaires dans les réserves de costumes de l’Opéra de Paris, une série de poses (dans un premier temps immobiles, puis qui jouent du mouvement) qui caractérisent et définissent les qualités de jeunesse, de sensualité et de séduction des nymphes, amènent à l’acmé de la représentation jusqu'au moment où, pour clore, la pièce musicale est interprétée par un trio de musiciennes (flûte, violoncelle et harpe) tandis que nous pouvons admirer toute la grâce et l’ambiguïté séductrice double de Marta Capaccioli.  


Lara Barsacq - La Grande Nymphe - Photo: Sybille Cornet


Ce mix de niveaux de narrations, de points de vues, d’éléments de contenus ou de commentaires, plus les éléments du décor qui présentent eux aussi deux versions picturales de ce mythe de la nymphe séduite, rejouées et réinterprétées sous nos yeux par les deux danseuses apportent une lecture en mille-feuille de ballet mythique, un des monuments de l’histoire de la danse qui nous apparait ici bien désacralisé et au goût du jour. Un sacré coup de balai dans le ballet sacré.


La Fleur du Dimanche

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