dimanche 26 mai 2024

Le Chant du Père et Koudour de Hatice Özer au TNS - La musique parle au coeur

 Hatice Özer est une conteuse. C'est une comédienne, bien sûr, elle a suivi les cours du Conservatoire de Toulouse et elle est même passée au TNS dans le cadre du programme 1er Acte lancé par Stanislas Nordey en 2017. Elle faisait partie de l'équipe de jeunes de la saison 3 en 2017 de ce programme qui permettait d'amener une plus grande diversité sur le plateau. Rien ne la destinait à faire du théâtre, mais elle a découvert très jeune cet univers qui l'a fascinée et elle ne l'a plus lâché, pour notre plus grand plaisir.


Le chant du père - Hatice Özer  - Photo: Arnaud Bertereau


Ainsi, tout au début de sa pièce Le Chant du père, elle se plante devant nous et nous raconte son rêve, presqu'un cauchemar - récurent et fondateur: "Ca commence toujours comme ça: je suis dans l'eau..... entourée de corps qui flottent..." Et c'est parti... pour ses souvenirs d'enfance, de bistrot de quartier, mais de quartier turc dans la France profonde, au fin fond du Périgord où son père puis sa mère et les enfants sont arrivés quand le pays avait besoin d'une nouvelle main d'oeuvre; les Turcs, après les Italiens, puis les Algériens. Pour ne pas oublier ses racines, racines qu'elle n'a pas vraiment mais qu'elle essaie de cultiver via son père, elle imagine cet asik, amant, amoureux, sorte de poète, troubadour qui chantait l'amour de village en village et qui, lui aussi raconte des histoires. 


Le chant du père - Hatice Özer - Photo: Arnaud Bertereau


Elle va ainsi, après avoir préparé le terrain, mis de la terre sur la scène, préparé le thé - "du noir, le thé à la menthe, ça n'existe pas" - qu'elle offre à quelques privilégiés qui parlent la langue du père, le convier sur scène et lui offrir le beau rôle: celui qui charme par les histoires que lui aussi raconte - mais toujours avec une part de mystère. Mais il va surtout nous charmer en chantant des poèmes en s'accompagnant de son saz qui fait monter les pensées au ciel. Il soigne ainsi les coeurs et nous installe dans cette nostalgie du pays, transportant par la pensée cet espace dans son Anatolie natale. Une douce ambiance, une sérénité contagieuse, on en oublie le travail. Les liens se (re)tissent entre père et fille, une complicité, dans une dualité de langue, celle du père, le turc et celle de la fille, de l'exil et du pays adoptif, le Français, chacun gardant sa langue, n'osant pas parler celle de l'autre - ils en sont restés au niveau d'expression des six ans. 


 Le chant du père - Hatice Özer - Photo: Arnaud Bertereau


Et, comme il se doit, au bout de la nuit, quand la magie a fleuri le décor, la transmission se fait, la fille reprend le chant du père, qui lui, placide, sourit avec bienveillance. "Et, sur son visage, il garde le sourire des étrangers". Il n'est plus là, il est dans ses montagnes.

Avec KoudourKoudour, nous passons sur l'autre versant de cette tradition, cette culture dans laquelle la musique est fortement intriquée. Ainsi d'une fête ou célébration plutôt de l'ordre du quotidien et du social, le bistrot du quartier ou du village, un peu cabaret et divertissement avec Le Chant du père, nous arrivons à quelques chose de plus cérémoniel, presqu'une célébration avec pompe et solennité, tout en restant très festif, avec la fête de mariage traditionnels  de Koudour. Mais Hatice Özer ne perdant pas sa verve, son ironie et son esprit libre, autant elle jouait sur l'espièglerie et la malice dans la première pièce, autant elle casse les règles et devient frondeuse et rebelle dans cette cérémonie-là.


Koudour - Hatice Özer - Photo: Arnaud Bertereau


Elle élargit le champ, quittant le cocon du bistrot et embrassant le quartier (turc), s'installant dans un gymnase détourné qui devient salle de fête et, après avoir planté et le décor et le contexte - des mariages (les cérémonies et les fêtes surtout) à la chaine, elle invite le public à partager cette expérience. C'est à la fois une immersion dans la fête et une expérience sociologique, comme une excursion anthropologique dans une culture autre. Les spectatrices et les spectateurs deviennent les invités, les convives d'une méga-fête, participant des célébrations, dansant parmi tous ces figurants acteurs et spectateurs de la cérémonie.


 Koudour - Hatice Özer - Photo: Arnaud Bertereau


Cette cérémonie étant un faux mariage sans marié, mais presqu'un concert où Hatice Özer balaye le répertoire des chansons traditionnelles du bassin méditerranéen avec une belle maîtrise, accompagnée de ses trois musiciens, Matteo Bortone à la contrebasse, Benjamin Colin aux percussions, et Antonin-Tri Hoang aux claviers, saxophone, clarinette. Elle pousse son esprit contestataire, voire révolutionnaire - un mariage rien que pour elle ne lui suffit pas - jusqu'à jouer elle-même du davul, ce tambour qui mène la danse, que l'on suit en procession et que donne le rythme de toute la soirée, jusqu'au petit matin. Elle en profite aussi pour pousser son esprit facétieux jusqu'au comique (de répétition) dans la scène de la leçon de davul en banlieue parisienne. 


Koudour - Hatice Özer - Photo: Arnaud Bertereau

Prouvant ainsi, mais nous le savions déjà qu'elle a gardé son esprit d'enfant - esprit qui d'ailleurs ne quitte jamais le corps, même après quand le corps de l'enfant prend une allure d'adulte. Et tout comme elle prêche l'esprit mutin, elle prône l'amour, le désir (koudour) pour ne pas se retrouver perdu dans l'autre monde. Koudour porte en lui beaucoup moins de nostalgie et transpire la joie de vivre, l'humour et la musique vivante, qu'elle soit traditionnelle, adaptée à notre culture moderne ou jazz dans une parenthèse plus calme et sereine nous portent et nous transportent dans cet élan de joie et de plaisir.


La Fleur du Dimanche

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