Le sous-titre de la pièce de Bruno Meyssat Biface présentée au TNS jusqu'au 3 février précise "Expériences au sujet de la Conquête du Mexique 1519-1521". Vous êtes prévenus, à moins que vous n'ayez déjà vu des pièces de Bruno Meyssat (celles et ceux qui ont vu "Observer" ou "20 mSv" en 2012 ou 2019, ou d'autres pièces ailleurs). Bruno Meyssat est un fabricant d'images mentales à partir d'une source documentaire.
Biface - Bruno Meyssat - TNS Strabourg |
Mais ce n'est pas du reportage, du documentaire "brut", il nous fait vivre ce dont il parle, il nous englobe dans une histoire, dans des séquences qui nous mettent en situation, dans l'ambiance par la magie du théâtre avec tous ses moyens,... la lumière, le décor et les objets, les costumes et accessoires et le jeu des acteurs, les textes sous toutes les formes, tout cela nous invite à nous immerger dans une narration à ne pas prendre au pied de la lettre. Il y a une certaine proximité avec le Théâtre du Radeau de François Tanguy - les répétitions ont eu lieu à la Fonderie au Mans chez eux - mais la démarche de Bruno Meyssat va plus vers à la fois la charge "historique" ou symbolique des objets qui vont se retrouver sur scène et le travail de documentation très poussé qu'il demande aux acteurs avant le travail de création-improvisation - ils ont lu chacun(e) les textes sur ces événemetns traités (les rapports envoyés à Charles Quint par Hernán Cortés "La conquête du Mexique" et les récits de cette campagne par un militaire de cette armée, Bernal Díaz del Castillo "Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne", mais aussi les Récits aztèques de la Conquête [choix de récits effectués par Georges Baudot et Tzvetan Todorov, ou des témoignages de survivants dans Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne avec entre autre un poème du Roi Nezahualcoyotl des textes traditionnels dans "Témoignages de l’ancienne parole" traduits du nahuatl par Jacqueline de Durand-Forest. Ce travail ne porte pas sur les textes mais, en partant d'eux, sur des états mentaux, des "remontées de préoccupations, de rêveries, de hantises nées à l’occasion de la découverte des faits exposés par les textes, ... convocations de mémoires, de sensations et d’émotions,.." dont le résultat va être organisé par le metteur en scène avec tous les éléments scénique.
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Et, alors qu'il disait dans "20 mSv" "La réponse est dans la question", pour "Biface", Bruno Meyssat nous prévient en disant "Il ne faut pas occulter la complexité puisqu'elle est toujours là". A ce sujet, nous pouvons déjà essayer de lire le titre non pas seulement comme ce qui a deux faces et qui peut s'opposer, mais aussi, comme le dit le substantif comme un outil préhistorique, une arme ancienne, un coup-de-poing. Donc que ce qui pourrait s'opposer à l'autre peut aussi s'opposer en soi, telles les actions des conquistadors qui après avoir célébré la superbe ville de Mexico, vont la mettre à terre, la brûlant et la démolissant un peu plus tard. De même, les relations des envahisseurs et des autochtones, se congratulant et se haïssant tout à tour, l'extermination succéde à la fascination. A ce propos, Bruno Meyssat fait un parallèle contemporain à cet "exterminisme" avec les exactions nazies, en convoquant Peter Sloterdijk et Hugh Thomas, un historien britannique.
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Nous aurons donc sur scène, avec les quatre comédiens, des séquences qui vont nous faire ressentir au plus intime des situations nous impliquant, nous immergeant dans des états proche de ce qui est convoqué, l'écriture graphique des Aztèques, les combats, les tortures, les combats, la soumission, la douleur et la mort, la découverte de l'autre, du monde, les marches conquérantes, les destructions, les cérémonies et les prières, les face-à-face, l'évangélisation,... Et ce seront toute une série d'objets-symboles ou rituels qui serviront de support à l'imaginaire (tapis, tronc calciné, poutre, épée, masque, fer à cheval ou queue de cheval, clochettes, cloche, globe, échelle, armure, casque, fauteuil roulant, croix, coiffe de procession, os, étau, matelas,...). Cet "assemblage" crée une atmosphère subtilement soutenue par un très judicieux choix musical mêlant la musique classique et contemporaine (Manuel De Falla, Scelsi, Webern, Ohana, Webern, Hindemith,..) ou jazz (Keith Jarrett, Morton Feldman, ...) que des airs traditionnels ou d'époque.
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Tout cela faisant un beau mille-feuille dans lequel nous pouvons creuser avec notre mémoire archéologique pour essayer de mieux comprendre ce qui a pu se jouer à l'époque et quels en sont les échos et traces encore aujourd'hui.
La Fleur du Dimanche
au TNS du 26 janvier au 3 février 2022
Assistanat à la mise en scène Élisabeth Doll
Scénographie Pierre-Yves Boutrand, Bruno Meyssat
Son Étienne Martinez
Lumière Romain de Lagarde
Costumes Robin Chemin
Régie générale Romain de Lagarde
Production Théâtres du Shaman
Avec le soutien de l’Institut français de Paris
Avec le soutien en résidence de la Fonderie au Mans, du Cube-Studio Théâtre d’Hérisson
Avec la participation artistique de l’ENSATT
Avec le soutien du dispositif d’insertion de l’école du TNB, de la SPEDIDAM
Avec des extraits d’œuvres musicales de Giacinto Scelsi, Anton Webern, Keith Jarrett, Maurice Ohana, Lucas Ruiz de Ribayraz, Paul Hindemith, Salvatore Sciarrino, Morton Feldman, Manuel De Falla.
Spectacle créé le 9 juin 2021 à la MC2: Grenoble
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