Non, ce n'est pas Maurizio Cattelan qui a inventé la "Banane". Longtemps avant lui (déjà en 2017), Magali Ehlinger en a fait un fruit mythique. Le fruit de Circé qui l'empêcherait de pleurer son ile d'Aiaía - αἰάζειν (pleurer) en voyant Ulysse s'en aller? Un peu comme le Moly qui permet à Ulysse de ne pas subir le charme et l'envoûtement de la déesse?
Mais foin d'Antiquité et de mythes, Magalie Ehlinger dans la performance qu'elle réactive dans le cadre du Festival INACT (23 et 24 octobre et 13 et 14 novembre) se projette totalement dans le XXIe siècle avec les réseaux sociaux, les parcs de loisir et Pôle Emploi qui veille au bonheur des amis des arts.
Festival INACT - La Banane - Magalie Ehlinger - Photo: lfdd |
Elle démarre cette performance "La Banane et le complot des gens qui pleurent " - collant noir, tutu jaune et bustier idem, même un noeud jaune banane dans les cheveux - comme un facebook live dans lequel sans prononcer un mot, elle maintient le suspense des spectateurs en effeuillant son scénario qui marie prosaïsme - "je m'appelle Denise" - tout en tenant en haleine le spectateur dans ce "tourne-page" haletant - "J'ai un lourd secret". Elle joue sur l'humour et la distanciation tout en égratignant avec autodérision le procédé des vidéos de témoignages, gouffres de vacuité et de "néant" et énormes ogres temporels qui noient le poisson dans l'eau des pleurs.
Festival INACT - La Banane - Magalie Ehlinger - Photo: lfdd |
Même pour les bananes, il y en a des tonnes, de vidéos, à toutes les sauces et sous toutes les formes, pour la forme ou pour le visage, en dessert ou en cataplasme. Mais Magalie la préfère pure, originale - appellation contrôlée - plutôt que frelatée et déguisée. Car, comme elle se révolte contre le "complot des gens qui pleurent" en appelant la salle au soulèvement, elle va se révolter contre la dissimulation "artistique" d'un travail "alimentaire" - "il faut bien manger" - donc: "distribuez des bonbons jaune haribo" à l'entrée d'un Parc de Loisir (c'est un peu "de l'Art", non?) déguisée en banane. Et cela en deux temps, un premier où elle rejoint ses amis les loups et les lions dans leur enclos (on retrouve le mythe) après s'être rendue compte de l'ineptie de son rôle et de la violence (pour ne pas dire la bêtise) de ses semblables, puis ne se vengeant symboliquement de son conseiller emploi, en lui plantant un coupe-papier dans la main pour l'empêcher de s'envoler vers un ciel de vacuité et en lui offrant en définitive sa "banane".
Festival INACT - La Banane - Magalie Ehlinger - Photo: lfdd |
Car elle a de la banane à revendre, de l'énergie qu'elle déploie pendant toute cette performance, autant physiquement, en changeant de rythme, en sautant de droite à gauche, en jouant ces différentes situations avec entrain et en "embarquant" le public comme les marins d'Ulysse en leur temps comme un seul homme avec elle. Sans oublier bien sûr sa capacité à inventer et faire tenir ensemble ce récit à la fois critique et humoristique. Belle performance et belle énergie, contagieuse...
La Fleur du Dimanche
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