jeudi 18 octobre 2018

Verklärte Nacht d'Anne Teresa de Keersmaeker: Et souffrir de plaisir

Dans le cadre du Festival d'Automne, le portrait consacré à Anne Teresa de Keersmaeker en douze stations - douze spectacles tout au long d'une carrière qui se continue depuis plus de trente-cinq ans - marque la fidélité au Théâtre de la Ville et montre également le talent de découvreur que Gérard Violette a prouvé en l'inscrivant au programme en 1983 pour sa troisième pièce, la très connue "Rosas danst Rosas" de sa troupe Rosas créée deux ans plus tôt et les nombreuses fois où elle est repassée avec ses nouvelles créations. 
C'est donc l'occasion de voir - ou revoir - cette énergie de la danse qui passe dans tous ces spectacles, que ce soit sur un air minimaliste ou plus classique, ou version jazz ("A love supreme" de John Coltrane, nouvelle version - version masculine - chorégraphiée avec Salva Sanchis).


Anne Teresa De Keersmaeker - Verklärte Nacht - Photo: Anne van Aerchot

Au Théâtre de la Ville - Espace Cardin, c'est la version "double duo" de "Verklärte Nacht" qui est présentée avec Samantha van Wissen, débordante d'énergie et de sensualité, dans sa danse alternée entre Mark Lorimer puis Bostjan Antoncic. Le sextuor à cordes d'Arnold Schönberg enregistré par l'Orchestre Philharmonique et New-York sous la direction de Pierre Boulez, tout en variations entre des débordements passionnés et de fines et discrètes variations expriment à merveille l'état d'esprit encore romantique du jeune compositeur qui a écrit cette pièce pour son amour Mathilde von Zemlinski - dont le destin sera tout aussi romantique, et même tragique.


Anne Teresa De Keersmaeker - Verklärte Nacht - Photo: Anne van Aerchot

Cette histoire d'un amour coupable (la femme est enceinte d'un autre homme avant d'aimer son amour) est traduite avec tension - la première rencontre - et séparation - se fait dans le silence et la deuxième rencontre n'en est que plus poignante. Les interprètes, surtout Samantha van Wissen toute en balance entre passion, souffrance et désir (en Allemand la passion "Leidenschaft" est construit avec le mot "Leiden" et signifie littéralement "qui procure de la souffrance") et  totalement incarnée par les interprètes. 

"Sie geht mit ungelenkem Schritt.
Sie schaut empor; der Mond läuft mit.
Ihr dunkler Blick ertrinkt in Licht.

Elle va d'un pas incertain.
Elle relève le regard, la lune la suit.
Son regard sombre se noie dans la lumière."

La Femme et le monde (Weib und Welt) de Richard Dehmel


Anne Teresa De Keersmaeker - Verklärte Nacht - Photo: Anne van Aerchot

Nous assistons, nous aussi, souffrant en empathie avec le couple dans cette danse, à la fois de séduction, de désir, de rupture, d'acceptation qui passe d'un corps à l'autre et bascule de la proximité la plus sensuelle à l'inquiétude ou la folie presque. La danse se fait sur le fil, en déséquilibre et en symbioses violentes.
Le plateau de l'Espace Cardin qui favorise la proximité renforce cette union avec les protagonistes qui nous impliquent à merveille dans leur élan. La lumière, en clair-obscur qui révèle, cache ou met entre parenthèse l'un ou l'autre des deux protagosiste contribue à cette belle atmosphère de tension "éclairée" et transfigurée... 
Et, bien que la pièce soit courte, elle nous laisse exténués et hors d'haleine, mais avec le sentiment d'avoir vécu une très belle histoire d'amour.


 


La Fleur du Dimanche  

Verklärte Nacht
Théâtre de la Ville
Jusqu'au 24 octobre - 20h00

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