jeudi 25 octobre 2018

Pelléas et Mélisande de Debussy à l'Opéra National du Rhin: La mélodie de l'amer

Depuis Tristan et Yseult, et même avant, on sait que les histoires d'amour finissent mal, en général.
Mais on continue d'en inventer de nouvelles et Maeterlinck, avec sa pièce Pelléas et Mélisande (1893) qui a inspiré Debussy pour son opéra (drame lyrique) en 1902 ou Schoenberg avec son poème symphonique (1905) nous en propose une pièce symboliste et atemporelle.


Pelléas et Mélisande - Photo: Klara Beck

L'histoire est simple. Mélisande, arrivée de nulle part, rencontre Golaud, veuf, qui demande via une lettre envoyée à son frère Pelléas, à sa mère, Geneviève et son grand-père, Arkel, si leur couple peut revenir au château familial. Et ce qui devait arriver arriva, le jeune frère de Golaud rencontre Mélisande et ils couvent un amour inavoué jusqu'à un soir où, enfermés dehors, ils se l'avouent. Mais, Golaud, qui les soupçonnait depuis longtemps, les surprend et tue son frère. Mélisande, enceinte accouchera du deuxième fils de Golaud mais la fin est proche....

L'orchestration de ce drame par Debussy est originale - "... après Wagner  dit-il, et non d'après Wagner". La musique est totalement nouvelle pour l'époque, pleine d'invention et discrète mais exprime clairement les sentiments et les ambiances, les décors, les symboles et les élans des personnages. C'est d'ailleurs le premier et seul "Opéra" de Debussy achevé.  Et son choix d'interprétation du chant, non des grands airs mélodiques - la mélodie, il la réserve à l'orchestre - mais des textes mis en avant par un phrasé avec un détachement clair de l'expression apporte à la pièce une vision limpide de l'histoire, et également une empathie et une immersion totale dans le déroulement de l'action. Il faut saluer le remarquable jeu, plutôt le chant sans fioritures des chanteurs, avec une mention "excellente" à Anne-Catherine Gillet. 


Pelléas et Mélisande - Photo: Klara Beck

Grâce à eux, nous sommes conquis et embarqués dans cette passionnante histoire.  Le mystérieux bateau qui nous amène ces personnages nous fait traverser toutes sortes d'éléments liquides, mer, lacs souterrains, fontaine aux aveugles, étangs, et brouillent nos repères, tandis que l'obscurité semble mener cette barque, sous les forêts qui cachent le soleil jusque dans le château et ses hautes tours. A croire que tout cela doit rester secret et qu'en même temps la brûlure de la passion se focalise sur les regards (la scène de l'enfant voyeur Yniold - Gregor Hoffman du Tölzer Knabenchor lors de la représentation du 25 octobre - est emblématique sur ce sujet dans sa violence sous-jacente - elle avait d'ailleurs été censurée à la première représentation. 
Le noir est aussi un choix de scénographie de Barrie Kosky, avec son complément le hors-champ, puisque l'action sur scène se passe dans des "cadres" qui jamais ne s'ouvrent et contre lesquels les personnages se cognent ou essaient de se soutenir, si tout simplement ils ne disparaissent pas purement et simplement dans un glissement irréel hors champ. Ce parti-pris de déplacement semble à la fois signifier que ces personnages ne sont pas maîtres de leur destin, de leur chemin, même qu'ils vont dans la direction opposée à celle que l'on attendrait d'eux, mais aussi qu'ils sont "portés" par ce destin et n'ont plus qu'à se laisser aller et exprimer ce que le destin leur ordonne.


Pelléas et Mélisande - Photo: Klara Beck

Cette histoire d'amour est effectivement une histoire emblématique dont on ne peut pas changer le sens, pleine de passion et de souffrance. Pleine de sensualité souterraine également. Et elle est racontée à la fois d'une manière symbolique, mais aussi fantastique, onirique et même un brin surréaliste avant l'heure du moins dans cette mise en scène qui mixe cinéma muet et expressionniste et symboles oniriques. La pièce en suspension et en tension, et dont même les silences sont poignants, surtout après une sonnerie de trompettes en fa, arrive à nous faire amener de l'effroi à la beauté, de l'obscur à la clarté sans oublier l'érotisme dans une belle construction. La direction limpide de Franck Ollu avec l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg nous offre une très belle  lecture de ces magnifiques pages d'un Debussy unique.




La Fleur du Dimanche


Plus d'information sur la pièce:


Peléas et Mélisande 

Jusqu'au 27 octobre à l'Opéra National du Rhin à Strasbourg
Le 9 et 11 novembre à La Filature de Mulhouse


Pelléas et Mélisande
Drame lyrique en cinq actes
Claude Debussy, musique
Maurice Maeterlinck, livret
Créé le 30 avril 1902 à l'Opéra Comique

Franck Ollu, direction Musicale
Barrie Kosky , mise en scène
Julia Huebner, responsable de la reprise de la production
Klaus Gründberg, décors et lumières
Anne Kuhn, collaboratrice aux décors
Dinah Ehm, costumes
Chloé Lechat, assistante à la mise en scène
Marco Philipp, assistant aux lumières

Jacques Imbrailo, Pelléas
Anne-Catherine Gillet, Mélisande
Jean-François Lapointe, Golaud
Marie-Ange Todorovitch, Geneviève
Vincent Le Texier, Arkel
Cajetan Dessloch, Yniold
Dionysos Inis, médecin, berger

Choeur de l'opéra national du Rhin
Alessandro Zuppardo, chef de choeur
Orchestre Philharmonique de Strasbourg

Coproduction du Komische Oper Berlin et du Nationaltheater Mannheim

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