vendredi 5 octobre 2018

Partage de Midi au TNS: Coupés en deux, entre l'amour et la mort

La pièce "Partage de Midi" de Paul Claudel, mise en scène par Eric Vigner et jouée actuellement au TNS est à la fois du théâtre, de la peinture et de la poésie. Mais c'est avant tout un mythe, même si c'est une part d'histoire vécue par Claudel et qu'il a sublimée en pièce de théâtre. Il en a d'ailleurs fait deux versions, celle, "cachée" qu'il avait écrite en 1906 et sur laquelle s'est basé Eric Vigner pour cette pièce, et celle de 1948 réécrite pour Jean-Louis Barrault.


Le partage de midi - Eric Vigner - Photo: Jean-Louis Hernandez

MESA. -"Et maintenant pourquoi est-ce que vous venez me déranger ? pourquoi est-ce que vous venez me rechercher ? Cela est cruel.
Pourquoi est-ce que je vous ai rencontrée ? Et voici que, faisant attention à moi,
Vous tournez vers moi votre aimable visage. Il est trop tard !
Vous savez bien que c'est impossible ! Et je sais que vous ne m'aimez pas.
D'une part, vous êtes mariée, et d'autre part, je sais que vous avez goût
Pour cet autre homme, Amalric.
Mais pourquoi est-ce que je dis cela et qu'est-ce que cela me fait ?
Faites ce qu'il vous plaira. Bientôt nous serons séparés. Ce que j'ai du moins est à moi. Ce que j'ai du moins est à moi."

YSÉ. — Que craignez-vous de moi puisque je suis l'impossible ?
Avez-vous peur de moi ? Je suis l'impossible. Levez les yeux,
Et regardez-moi qui vous regarde avec mon visage pour que vous me regardiez !

MESA. — Je sais que je ne vous plais point.

YSÉ. — Ce n'est point cela, mais je ne vous comprends pas.
Qui vous êtes, ni ce que vous voulez, ni
Ce qu'il faut être, comment il faut que je me fasse avec vous.

Comme vous pouvez le comprendre, Claudel a vraiment sublimé dans une langue poétique cet épisode de sa vie de jeune homme qu'il a vécu, cette rencontre coup de foudre, à 32 ans, alors qu'il vient de se faire refuser la vie monacale dans laquelle il voulait s'engager, sur le bateau qui le  ramène en Chine pour continuer sa carrière de diplomate, avec Rosalie Vatch, une femme mariée avec qui il aura une fille.


Le partage de midi - Eric Vigner - Photo: Jean-Louis Hernandez

La pièce va nous conter cet épisode de la rencontre, la bascule vers un autre monde après le canal de Suez, et cet étrange ballet d'un trio non moins étrange, le mari, l'amant et l'amoureux autour de cette femme Isé, les multiples rebondissements, tous plus intéressants les uns que les autres, sur fond d'exotisme. 
Au niveau mise en scène, il y un moment magique de séduction de Mesa par Isé, tous les deux de noir vêtus, elle dans une magnifique crinoline, dans un ballet au ralenti gorgé de sensualité, autant au niveau du texte que du jeu. Cela se passe au début du deuxième acte et cela bascule au moment où le rideau de bambou tangue comme une vague qui submerge. 


Le partage de midi - Eric Vigner - Photo: Jean-Louis Hernandez

Jutta Johanna Weis incarne magnifiquement Ysé, cette maîtresse-femme qui à la fois mène tout ce monde, mais en même temps est désespérée. Sa diction et son léger accent allemand lui donnent encore plus de charme et de séduction dans cette langue de Claudel, polie comme un diamant. Mathurin Voltz joue avec une forte incarnation De Ciz, le mari totalement absent et Alexandre Ruby incarne toute la sensualité et la puissance d'Amalric, l'amant stratège qui attend son heure. Et Stanislas Nordey, dans le rôle de Mesa arrive à exprimer toute la folie, la passion et le désespoir, le désenchantement de Mesa, sans exagération, ni caricature.
La scénographie et les lumières, comme des tableaux en clair-obscur concourent à créer une ambiance mortifère, le plateau de bougies en particulier ou la scène de la mort de l'enfant, tout en suggestion, la dernière scène est un peu moins convaincante. Mais la performance de ces quatre grands comédiens sur un texte d'une écriture sublime vaut bien ce voyage de deux heures et demie ou l'on passe de l'amour, la passion au désespoir et à la mort, comme dans une épopée antique.


Le Fleur du Dimanche

LE PARTAGE DE MIDI

Création le 5 octobre 2018 au Théâtre National de Strasbourg
Strasbourg: jusqu'au 19 octobre au TNS - Strasbourg

Reims: du 13 au 15 novembre 2018 à La Comédie de Reims – Centre dramatique national
Rennes: du 12 au 19 décembre 2018 au Théâtre National de Bretagne
Paris: du 29 janvier au 16 février 2019 au Théâtre de la Ville – Paris

Texte Paul Claudel
Scénographie et mise en scène Éric Vigner
Avec Stanislas Nordey, Alexandre Ruby, Mathurin Voltz, Jutta Johanna Weiss
Lumière Kelig Le Bars
Son John Kaced
Costumes Anne-Céline Hardouin
Maquillage Anne Binois
Assistanat à la mise en scène Tünde Deak
Assistanat à la scénographie Robin Husband

Production Compagnie Suzanne M

Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Théâtre National de Bretagne / Rennes, Théâtre de la Ville – Paris

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