vendredi 6 juin 2025

Au TNS Une Ville ... en état d'urgence

La saison 2024-2025 du TNS se clôt avec le spectacle de sortie du Groupe 48 des élèves qui ont travaillé avec Noëmie Ksicova, Une Ville. La pièce est basée sur le roman La Mélancolie de la résistance de l'écrivain hongrois László Krasznahorkai paru en 1989 et qui décrit l'ambiance de malaise qui plane sur un petite ville du sud-est de la Hongrie où la venue d'un cirque et la présentation d'une baleine sèment le trouble et plonge la ville dans la violence. La comédienne, écrivaine et metteuse en scène Noëmie Ksicova a travaillé à partir de ce texte en étroite relation avec les comédiennes et comédiens mais aussi toutes les sections techniques de l'école - lumière, son, vidéo, scénographie, costumes et maquillages, cadre vidéo et régie générale. Son intervention a été un challenge, devant répondre (d'urgence) au pied levé à l'abandon du précédent projet qui était inscrit dans le programme. 


Une Ville - Noëmie Ksicova - Groupe 48 TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Ainsi tout prend forme et avance en même temps, le choix des séquences, des textes, l'adaptation, le jeu, la mise en scène et le dispositif scénique, dans une  certaine urgence qui est en phase avec le fond de ce roman qui est imprégné de l'atmosphère de fin de l'ère communiste juste avant la chute du mur. 
Cette ambiance se retrouve dans le choix de la scénographie où de nombreuses séquences se déroulent dans des lieux clos, plus ou moins cachés à notre vue mais dont les images sont projetées sur deux écrans à droite et à gauche de la scène. Et souvent le cadre de ces images reste fixe, donnant aux acteurs une pose figée, un peu distante et un jeu détaché. Les épisodes installent la violence ordinaire qui sourd des situations, que ce soit dans le wagon brinquebalant où, même entourée, Madame Pflaum (convaincante Maria Sandoval) n'est pas à l'abri de la violence et peut ainsi cultiver son pessimisme qu'elle soigne dans son petit appartement. 


Une Ville - Noëmie Ksicova - Groupe 48 TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Appartement qui de retraite défensive devient lieu de négociation pour Mme Etzer (agile Blanche Plagnol) qui porte l'idéologie "ordre et propreté" et contribue au chaos, la manigance avec son ex-époux ne marchant pas. Ce dernier essaie de retrouver de l'ordre (naturel) via la musique en opposition entre autre à la théorie de Werckmeister*. Mais le chaos, l'apocalypse guette. Il est d'ailleurs beaucoup question de regards et de manières de voir dans cette pièce. A l'image de ces personnages, silhouettes sombres qui attendent dans le noir de voir cette fameuse baleine, ou de ces militaires qui sont en faction et surveillent le théâtre des opérations. 


Une Ville - Noëmie Ksicova - Groupe 48 TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


A se poser la question de ce que l'on voit - même nous spectateurs à qui on occulte ce qui se passe, ne laissant visibles que les images choisies et cadrées - ou ne voit pas (ce qui se passe aussi dans le noir, cette violence-là). Et la scène entre le Capitaine (Martial Ömer Alparslan Koçak) et Janos (bien campé par Aurélie Debuire) qui pose bien la différentes perceptions - et finalités - de la vision, en particulier entre "surveiller" (pour le policier et "observer" pour l'âme curieuse et un peu naïve de Janos, celui qui voit la "beauté". 


Une Ville - Noëmie Ksicova - Groupe 48 TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Ce dernier incarne à la fois l'âme pure et poétique, portant l'optimisme, voir entre autres sa démonstration de l'éclipse - sorte de fin du monde, mais avec l'espoir d'un retour à la lumière et la vie - ou sa relation avec les "enfants" dont on imagine qu'il les envoie sur le bon chemin. Cela semble être le point de vue de cette pièce où, alors que l'on passe "imperceptiblement" à la guerre - qui, un moment, éclate et c'est violence et carnage - mais il est temps de faire le ménage et une nouvelle page semble s'écrire, un espoir semble luire. Et qui annonce l'immortalité.
Un sujet en pleine résonnance avec l'actualité.


La Fleur du Dimanche

* Les harmonies Werckmeister est le deuxième chapitre - le plus important (2/3) du livre La Mélancolie de la résistance - et c'est aussi le titre d'un film de Béla Tarr (2000) qui adapte ce chapitre - Je vous mets le lien vers le début du film, un plan-séquence de 10 minutes avec la présentation de l'éclipse par Janos :






An TnS du 4 au 7 et du 10 au 11 juin 2025

[Adaptation de La Mélancolie de la résistance de Laszlo Krasznahorkai] Noëmie Ksicova avec les acteur·rices et créateur·rices du Groupe 48
[Mise en scène] Noëmie Ksicova
[Collaboration artistique] Sarah Cohen, Elsa Revcolevschi
[Dramaturgie] Louison Ryser, Tristan Schinz

Avec
Miléna Arvois - La Postière / La Femme du train  
Aurélie Debuire - Janos 
Mamadou Judy Diallo - Monsieur Etzer 
Ömer Alparslan Koçak - Le Capitaine 
Thomas Lelo - Le Militaire / Le Prince / Notable  
Steve Mégé - Enfant 
Gwendal Normand - Directeur du cirque / L'Homme au long manteau / Notable 
Blanche Plagnol - Tünde Etzer 
Nemo Schiffman - L'Homme du train / Le Factotum / Szabo 
Bilal Slimani - Karsci /  Notable 
Maria Sandoval - Madame Pflaum 
Ambre Sola Shimizu - Enfant 
Apolline Taillieu - Madame Harrer 

[Lumière] Corentin Nagler 
[Son] Paul Bertrand, Macha Menu 
[Vidéo] Mathis Berezoutzky-Brimeur 
[Scénographie] Mathilde Foch, Salomé Vandendriessche
[Costumes et maquillage] Nina Bonnin, Noa Gimenez 
[Cadre Vidéo et Plateau] Marie-Lou Poulain 
[Régie générale] Clément Balcon

Remerciements à Nicolas Doremus, Marie-Christine Soma, Frédéric Minière, Simon Drouard, Elwir Poli, Benjamin Moreau, Laurence Magnée, Hélène Wisse, Linda Souakria pour leurs regards précieux.

Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TnS

Production Théâtre national de Strasbourg
Création le 4 juin 2025 à l’Espace Grüber, TnS

mercredi 4 juin 2025

Préparation pour un miracle au Maillon: Sans issue possible pour Marc Oosterhoff sauf à disparaitre, ou bien ?

 Il ne faut pas essayer de vouloir définir Marc Oosterhoff, et son travail. Il le dit lui-même: "Si on me demande si je suis danseur ou si je suis circassien ou si je suis comédien ou si je suis performeur... Le plus vague je peux rester, le mieux je me porte." Et il a totalement raison, car il est à la fois tout cela et en plus il est totalement vague et indéfinissable. Dans la pièce Préparation pour un miracle au Maillon, il porte son personnage, presque transparent, enfin il le veut ainsi, vague au point de disparaître, avec une désinvolture surprenante, mais en même temps il est partout, au point que l'on se demande s'il est bien seul en scène pendant une bonne heure de bonheur.


Préparation pour un miracle - Marc Oosterhoff - Photo: Grégoire Chollet

D'ailleurs, au début du spectacle, c'est bien son double qui est là, dans une benne. Et quand il apparaît lui, ce ne n'est pas pour occuper le plateau, c'est plutôt pour essayer de le vider de sa présence et de disparaître. Non pas disparaître comme par miracle, mais ne pas être vu du public, partir, s'enfuir ostensiblement. Et quand il est là, se fondre avec le décor, le fond de la scène. 

Et c'est là à la fois tout l'intérêt et la tension de la pièce qui se construit et se tend tout au long. Mais en réalité, c'est l'espace scénique, et les accessoires - rares mais efficaces - qui instillent cette atmosphère de tension dramatique et de suspense. Marc Oosterhoff a cette capacité à vider l'espace et à concentrer l'attention, comme avec une lorgnette, sur d'infimes détails et de nous faire perdre les repères.  Il faut noter le remarquable travail sur les lumières qui sont un élément dramatique à elles toutes seules.

Par ailleurs, et c'est toute la magie de cette performance, Marc Oosterhoff a un don d'ubiquité phénoménal - ou peut-être est-ce le plateau du Maillon qui est magique avec des tunnels d'espace-temps que nous ignorions. Parce que le plateau - et certains accessoires sont vraiment "hantés". Les portes, les couloirs, les rideaux et les cintres nous font faire l'expérience de la quatrième dimension - qui va quelquefois chercher du côté de Kafka  ou de la tour de Babel ou du chateau de cartes.


Préparation pour un miracle - Marc Oosterhoff - Photo: Grégoire Chollet

Marc Oosterhoff, oscillant entre Chaplin et Buster Keaton nous surprend par cette attitude détachée et timide et ses exploits physiques et ses surprises visuelles en totale rupture nous font balancer en équilibre instable et nous font douter de nos sens et de nos perceptions. Il s'appuie sur la base du théâtre - une "servante" rétive qui devient un véritable personnage pour échafauder une construction théâtrale spectaculaire dont je vous laisse la surprise jusqu'à un envol lyrique:

"Je veux vivre
Dans le rêve qui m'enivre."

Et nous aussi, nous avons vécu le rêve.

La Fleur du Dimanche



La Fleur du Dimanche