L'on pourrait dire que And Here I Am s'inscrit dans la lignée des pièces "témoignage" programmées ces derniers temps au TNS (voir Cécile, Eric Feldman avec "On ne jouait pas à la pétanque", Laurène Marx et même Hatice Özer). D'une certaine manière oui, puisque ces différentes pièces racontent la vie de leur protagoniste plus ou moins mise en scène par un regard extérieur. Cependant avec cette pièce, le propos est plus politique, comme témoignage d'un combat qui fait d'un parcours individuel une revendication métaphoriquement étendue à une population en lutte et le dispositif même joue plus avec les artifices du théâtre.
And here I am - Ahmed Tobasi - (c) Freedom Theatre
Le texte, l'histoire de la vie d'Ahmed Tobasi qui va nous être présenté en une heure et quart a été écrit par l'irakien Hassan Abdulrazzak, auteur entre autre de Bagdad Weddind, et qui se base bien sûr sur la vie d'Ahmed Tobasi. Mais le récit met en scène le personnage dans de multiples situations où il est totalement impliqué et où, en plus il interagit avec des interlocuteurs dont il endosse également les rôles.
D'ailleurs, Ahmed Tobasi excelle dans ce jeu et dès le début, il transforme le plateau de théâtre qui pourrait sembler sans décor en un magnifique terrain de jeu, sautant à gauche et à droite, s'accaparant des objets qui semblaient trainer pour les intégrer dans son épopée: là des sacs poubelle, ici des bidons qui deviennent siège ou support d'une poutre d'équilibriste ou encore instrument de musique, ou encore un énorme tapis rouge qui prend toute la scène.
And here I am - Ahmed Tobasi - Photo: Jeff Pachoud
Ou encore des chemises ou des coiffes qui apparaissent soudain et le transforment selon les périodes et les rôles qu'il nous rejoue avec une célérité et une agilité incroyable. Les accessoires sont là au bon moment, ils disparaissent sans crier gare et le plateau se transforme sans cesse pour que nous puissions suivre les épisodes successifs qu'il nous raconte. Il débute par sa rencontre avec Juliano Mer-Khamis, citoyen israélien militant pour les droits des Palestiniens, et créateur du Freedom Theatre. Il continue dans un flash-back à son enfance dans les années 90, et sa vie à Jenine, un camp palestinien et les déboires avec l'occupation israélienne, la démolition de sa maison et la vie avec les résistants dont il a fait partie (racontée quelquefois avec une distance humoristique). Des épisodes de son amour d'enfance qui a rythmé et qui continue de rythmer sa vie saupoudrent le fil dans un contrepoint lumineux face aux amitiés qui, elles, sont beaucoup plus sombres et tragiques et qui lui feront côtoyer la mort - et dont les photos vont tapisser le mur du fond.
And here I am - Ahmed Tobasi - (c) Freedom Theatre
Il va également goûter si l'on ose dire de la prison entre ses 17 et ses 21 ans, expérience qui n'est pas bégnine et l'a amené dans une profonde dépression jusqu'à la rencontre salvatrice du théâtre. Théâtre qui va à la fois lui montrer la voie de sa vie, justifier et armer son combat et le libérer de sa condition de réfugié ayant fait de la prison en lui permettant de passer les frontières, de découvrir sa destinée, de lui donner un métier et de prendre le relais, et le flambeau de celui qui lui avait indiqué le chemin, Juliano Mer-Khamis, lorsque ce dernier est assassiné au pays alors qu'Ahmed Tobasi lui est installé en Norvège où il avait fait sa formation théâtrale et obtenu un passeport norvégien.
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And here I am - Ahmed Tobasi - (c) Jft Festival |
Et ainsi il continue de porter son combat avec cette arme-là, le théâtre: "La seule chose qui fait que je suis encore vivant, c’est le théâtre. Alors je m’en sers pour offrir un autre destin aux Palestiniens." Et ce théâtre ne tue pas, mais rend attentif à ces destins et ces vies que l'on imagine difficilement. Mais grâce à ce texte, à la mise en scène de Zoe Lafferty et au magnifique jeu et gestes au millimètre d'Ahmed Tobasi (et à la chorégraphie de Larne Malaolu) ce qui ne pourrait être que complaintes et lamentations devient une épopée vivante, engageante et convaincante, une arme qui fait mouche tout en nous surprenant par sa sagesse et sa modération. Mais peut-être est-ce cela la seule issue possible.
La Fleur du Dimanche
A Strasbourg au TNS du 25 février au 7 mars 2025
Hassan Abdulrazzak
[Inspiré de la vie et avec]
Ahmed Tobasi
[Traduction en arabe]
Eyas Younis
[Traduction en français]
Juman Al-Yasiri
[Mise en scène]
Zoe Lafferty
[Scénographie et costumes] Sarah Beaton [Son] Max Pappenheim [Lumière] Jess Bernberg, Andy Purve [Chorégraphie] Lanre Malaolu [Régie] Robyn Cross [Coach vocal] Amiee Leonard [Technicien Moody Kablawi[Production] Oliver King for Developing Artists
Production déléguée Sens Interdits with Artists On The Frontline
Avec le soutien de Qattan Foundation, AFAC, ONDA – Office National de Diffusion Artistique
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