lundi 24 février 2025

La Chasse des Anges au TNS: Le pouvoir de représentation avec ou sans légende

 Pendant une semaine, les élèves du groupe 48 du TNS qui sortent de l'école nous présentent deux spectacles différents, La Forteresse et La Chasse aux Anges, et ces  spectacles sont gratuits, sur inscription.

Et il reste des places, alors n'hésitez pas, allez au théâtre. Cela se passe à l'Espace Klaus Michael Grüber, dans la grande salle, après une déambulation pour le premier et au Studio Jean-Pierre Vincent pour le second.


La Chasse des Anges - Sarah Cohen - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


La chasse des anges, le spectacle de Sarah Cohen qu'elle a conçu avec des écrits de Susan Sontag, Robert Capa, Hervé Guibert, Julie Héraclès et basé sur des entretiens avec Henri Cartier-Bresson, Inge Morath et George Rodger interroge la photo, son statut et notre rapport à elle. Le titre s'inspire d'une phrase de Chris Marker, cinéaste et photographe pour qui "La photo, c'est la chasse, c'est l'instinct de chasse sans l'envie de tuer. C'est la chasse des anges... On traque, on vise, on tire, et clac ! Au lieu d'un mort, on fait un éternel." Mais ce n'est pas aussi simple que cela, et on le verra bien dans cette pièce où, suivant une réflexion sur cette image qui, comme le dit Barthes "Ce que la photo reproduit à l’infini n’a lieu qu’une fois." est quand même quelque chose de mystérieux et dont on va essayer de faire le tour, laissant la parole à celles et ceux qui la font, et aussi qui réfléchissent à sa fabrication, son sens, ses implications. On va tourner autour, fréquenter celles et ceux qui vivent de - et pour - cela, apprendre sur leurs vies et leurs manies et vices, essayer de comprendre comment ils et elles travaillent et comment ils pensent ce travail et cet "objet", pas forcément artistique comme le dit Henri Cartier-Bresson: "Je pense que les photographies sont faites pour être prises et reproduites pour les masses, pas pour les collectionneurs. Cette possibilité de reproduction fait partie de la force comme de la valeur de la science de la photographie."


La Chasse des Anges - Sarah Cohen - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


On y suit des réflexions sur le rapport de la photographie à la mort (pas forcément dans la veine de Chris Marker), du statut de la photo, qui se suffit à elle-même ou qui nécessite une "légende"  - comme la légende de cette lettre à Roland Barthes, annonciatrice de la mort de sa mère (?), moment suspendu dans le spectacle. A propos de légende aussi, voir comment Inge Morath a été embauchée par Robert Capa pour faire les légendes des photos de l'agence Magnum avant de gagner son statut de photographe.


La Chasse des Anges - Sarah Cohen - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Dans une mise en scène fluide et variée (Sarah Cohen assistée à la dramaturgie par Luison Ryser et une scénographie de Nina Bonin), nous passons d'un studio radio, où Susan Sontag (très empathique et convaincante Miléna Arvois) nous fait un intéressant parallèle entre le cancer du sein et la photographie (via le choc de la première fois),  au bureau de l'agence Magnum avec l'annonce de la mort de Robert Capa. Cette agence créée sous forme de coopérative par Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, George Rodger, William Vandivert et David Seymour, nous allons fréquenter les bureaux et les membres à travers différents épisodes et découvrir des réalités ou des légendes de ces photographes. Par exemple le débarquement et la libération de Paris ou la (fausse) fin de la guerre de 1945, ou le célèbre (et controversé) cliché du "républicain espagnol" de Robert Capa. Nous découvrirons aussi son train de vie et sa vie de joueur. 


La Chasse des Anges - Sarah Cohen - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Nous apprendrons à connaître David Seymour dit Chim, plutôt taiseux, incarné par Bilal Slimani, la tout aussi discrète mais présente Inge Morath (Aurélie Debure). Un passage assez fantasmatique avec Ambre Shimizu derrière un écran et l'épisode de pluie qui se passe également à l'arrière scène sont des séquences qui prouvent l'inventivité scénographique. Les deux personnages de George Rodger (Ömer Alparslan et Henri Cartier-Bresson (Steve Mégé) étant les personnages les plus prolixes et les deux comédiens s'en sortent très bien, de même que Nemo Schiffman qui incarne avec brio Robert Capa.


La Chasse des Anges - Sarah Cohen - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Dans cette pièce qui tente de ne pas forcément montrer ce dont on parle et qui convoque d'une certaine manière des fantômes, à la fois ces photographes, mais aussi ceux qui ont été photographiés, nous voyageons dans un entre-deux dans limbes et alors que, comme le dit encore Roland Barthes, avec la "photographie le pouvoir d’authentification prime le pouvoir de représentation", ici, la représentation qui se joue de l'authentique nous emmène dans une histoire qui construit sa propre légende et qui devient récit de ceux qui ont disparu. Mais qui, pour un moment se sont retrouvés devant nous, comme des fantômes.


La Fleur du Dimanche 


La chasse des anges


au TNS à Strasbourg, du 24 février au 1er mars 2025


[Texte] Librement adapté des écrits de Susan Sontag, Robert Capa, Hervé Guibert, Julie Héraclès et des entretiens d'Henri Cartier-Bresson et George Rodger
[Mise en scène] Sarah Cohen
[Dramaturgie et collaboration artistique] Louison Ryser
[Scénographie] Nina Bonnin
[Costumes] Noa Gimenez
[Lumière] Marie-Lou Poulain
[Son] Macha Menu
[Régie générale, plateau et vidéo] Corentin Nagler
Avec 
Miléna Arvois - Susan Sontag
Aurélie Debuire - Inge Morath
Ömer Alparslan Koçak - George Rodger 
Steve Mégé - Henri Cartier-Bresson 
Nemo Schiffman - Robert Capa 
Ambre Shimizu - Eve Arnold et Une femme 
Bilal Slimani – David Seymour, dit «  Chim  » et Ernest Hemingway
Costumes et décors réalisés dans les ateliers du TnS.
Sarah Cohen et l'équipe tiennent à remercier Clarisse Bourgeois et l'Agence Magnum pour leur confiance, et Clara Bouveresse.

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