Il arrive en tenue classique, pantalon gris et blouson bleu, un énorme sac à dos kaki sur le dos et se pose sur l’avant de la scène en explorant du regard le public. Le regard est précis, sérieux. Il demande s’il y a un paléontologue dans la salle et, rassuré nous annonce un exposé scientifique en seize point dont le premier nous rend attentif à la proportion d’eau sur la terre, un autre au nombre de levers et de couchers de soleils auxquels un astronaute dans une station orbitale peut assister en une journée (16) ou encore l’histoire d’un énorme astéroïde qui a chuté dans le golfe du Yucatan il y a très longtemps, il y a 66 millions d’années.
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Pôle Sud - Marco D'Agostin - Astéroïde - Photo: Alice Brazzit |
Astéroïde est le titre du spectacle que nous présente Marco d’Agostin ce soir à Pôle Sud. Marco d’Agostin est danseur, chorégraphe, mais aussi performeur, et - on pourra le constater au fur et à mesure du spectacle - chanteur et beaucoup plus que cela. Parce qu’il est aussi manipulateur, comédien et perturbateur. Et donc, alors que l’on s’attendait à assister à une très intéressante et passionnante conférence (mais nous sommes venus voir un spectacle de danse), il va subrepticement miter sa présentation de gestes, au départ presqu’imperceptible, qui ressemblent à des positions de danse, ou encore des dérapages textuels. Et tout cela dans un sérieux imperturbable. Et, à partir du point 5 qui nous révèle que le prix Nobel de physique de 1968, Luis Walter Alvarez, est le père de Walter Alvarez qui a conçu la théorie de l’extinction de masse des dinosaures, il va intégrer dans son récit les relations amoureuses entre ce dernier et Hélène Michel qui vont conforter cette hypothèse en explorant la faille de Bottaccio près de Gubbio en Italie.
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Pôle Sud - Marco D'Agostin - Astéroïde - Photo: Alice Brazzit |
Ainsi, tel un millefeuille varié - comme les roches sédimentées du limite Crétacé-Paléogène, prises entre les couches du quaternaire et celles du tertiaire contenant un forte concentration d’ammonites, cette mince couche d'argile contenant d'iridium (métal qui n’est pas présent sur la terre mais qui nous est arrivé via cet astéroïde de l’espace) - le récit invraisemblable qu’il fait de l’extinction de masse des dinosaures non aviens, confronté à une histoire d’amour, bien sûr en relation avec cette découverte et avec, évidemment, un voyage en Italie, en passant par un musée de paléontologie aux Etats-Unis, voit poindre en sandwich des apparitions de poses figées, puis de danses, puis de chansons en relation avec la comédie musicale, en flashs brefs puis de plus en plus conséquents, pour aboutir in fine à de véritables compositions de chansons écrites avec Luca Scapolleto que Marco d’Agostino nous interprète avec brio et une voix de stentor.
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Pôle Sud - Marco D'Agostin - Astéroïde - Photo: Alice Brazzit |
Ces séquences s’épaississent, enflent, alors que la question de l’amour et de sa fin tout comme celle de la fin des dinosaures interroge le temps profond. Et que l’artiste interroge sa réalité et ses sentiments, jusqu’à s’interroger sur son récit et ses divagations, au point que l'on se demande de qui est la femme, Hélène Michel, la collègue scientifique, un une invention de son esprit. Et tout cela finit dans une explosion de paillettes et un éblouissement équivalent à l'éclair d'un coup de foudre. Et une apocalypse dont le dernier survivant ne nous ressemble pas vraiment – ni à un dinosaure – mais dont la démarche hésitante nous rappelle nos propres origines et nous laisse nous questionner sur notre destinée.
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Pôle Sud - Marco D'Agostin - Astéroïde - Photo: Alice Brazzit |
Ce spectacle, tiré au cordeau et impeccable à tous les points de vues, nous emporte dans un extraordinaire voyage, à la fois dans les mystères de l’évolution et les méandres et circonvolutions de la pensée que des tours et détours de l’amour. Tout cela dans une mise en scène aussi précise que surprenante et un jeu d’acteur, de danseur et de chanteur dont rien ne laissait présager l’extraordinaire capacité de l’artiste Marco d’Agostin. Non seulement il cache bien son jeu mais en plus il sait ménager ses effets pour nous surprendre, nous convaincre, nous séduire et nous dérouter (du droit chemin). Un magnifique performance dans tous les sens du terme.
La Fleur du Dimanche