samedi 30 août 2025

A Bussang, Le Roi Nu d'Evgueni Schwartz, un conte noir et bariolé, la guimauve qui vire au poil à gratter et à la révolte

Le "spectacle de l'après-midi" du Théâtre du Peuple de Bussang cette année, avec le Roi Nu d'Evgueni Schwartz, mis en scène par Sylvain Maurice, coche bien les cases du spectacle populaire avec les comédiens amateurs. Mais il trompe son monde au point d'en désorienter quelques-uns en première partie. Il est vrai que la pièce d'Evgueni Schwartz qui s'est inspiré de trois contes d'Andersen - Le Porcher et la Princesse, La Princesse au petit pois, Les Habits neufs de l’Empereur - pour en faire une fable critique, écrite en 1934, et qui cible le personnage d'Hitler, et dans lequel les autorités soviétiques ont cru reconnaitre des trait de Staline, au point que la pièce fut interdite de publication - et donc de représentation en URSS du vivant de l'auteur - cache discrètement son jeu dans le premier acte. 


Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler


Nous y assistons sous une forme légère - mais néanmoins caustique - aux déboires et rebondissements des amours contrariées de la princesse Henriette (dont l'interprétation allègre d'Hélène Rinemaid nous met en jubilation) et de Christian, un porcher qui ne convient pas, mais pas du tout au Roi père (interprété par Eric Hanicotte, un des onze comédiens amateurs de la troupe participant à ce spectacle). Ce dernier décide d'envoyer sa fille au royaume voisin pour la marier au roi qui a (très) mauvaise réputation. Elle refuse cela bien sûr avec détermination (le féminisme ne date pas d'hier) mais elle est obligée de se soumettre quand même (la révolution ne se fait pas en un jour). 


Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler


Christian et son ami Henri vont essayer de déjouer ce projet et cela nous donne de belles scènes de duo comique à la Laurel et Hardy ou à la Charlot, où Henri (Maël Besnard) et Christian (Mickaël-Don Giancarli) font preuve d'un humour décalé et d'une admirable capacité de travestissement. Il faut remarquer que côté travestissement, pour les personnages secondaires, nombreux (une bonne soixantaine), les comédiens et comédiennes amateur de la troupe endossent facilement cinq à six rôles pendant la pièce. Les très belles lumières et les magnifiques costumes de Fanny Brousse apportent une grande part de joie et d'émerveillement pour nous emmener dans ce voyage merveilleux - un véritable conte de fée, même si cela grince et que la révolte gronde dès le départ (la jeune princesse n'est pas aussi obéissante qu'il sied à un personnage de conte de fée). 


Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler


Ainsi, nous glissons discrètement de ce qui pourrait être au départ une histoire bucolique et sucrée de romance champêtre, vers un univers un peu plus kafkaïen lorsque nous passons dans le royaume voisin et que les échos terribles du caractère du monarque arrivent par vagues successives sur le plateau via les différents personnages qui l'entourent. Le fonctionnement de ce royaume apparaît plus inquiétant qu'il n'en a l'air, avec, par exemple, un "ministre des tendres sentiments" un peu machiavélique et d'autres personnages bien duels. Tout cela va se révéler de plus belle dans le deuxième acte où nous assistons d'abord à une succession de scènes empilées les unes sur les autres et qui dénoncent dans un comique intense la duplicité et le mensonge, la dissimulation et la fausseté par soumission. Et pour finir, dans un magistral renversement de situation très bien décrit, la révolte contre l'ordre établi et la chute du tyran. 


Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler

La traduction du texte d'Evgueni Schwartz par André Markowicz est d'une contemporanéité admirable et l'on rêve à la chute des tyrans d'aujourd'hui. Le choix de la pièce est totalement d'actualité et la mise en scène et la scénographie de Sylvain Maurice nous emmènent à fond dans cette histoire sans temps mort. Nous cavalons sans arrière pensée dans son récit. Il faut saluer la performance d'acteur de Manuel Le Lièvre, arrivant comme un Deus Ex Machina et dont la performance à la fois en tyran suprême orgueilleux, vaniteux et fanfaron et en roi déchu - et nu - est exceptionnelle. 


Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler

Et l'ensemble de la troupe, professionnels et amateurs choisis, interprètent de manière impeccable les multiples personnages de cette mise en scène à la fois précise et sobre mais qui dépote bien et nous emporte dans des tourbillons fulgurants, soutenus, entre autres par la musique jouée en direct dans la salle par Laurent Grais à la batterie et Dayan Korolic à la basse. 

Du grand théâtre ! 


La Fleur du Dimanche


Générique
texte Evgueni Schwartz 
traduction André Markowicz
mise en scène et scénographie Sylvain Maurice 

avec Nadine Berland, Maël Besnard, Mikaël-Don Giancarli, Manuel Le Lièvre, Hélène Rimenaid, 

les comédien·nes amateurices de la troupe 2025 du Théâtre du Peuple : Michèle Adam, Flavie Aubert, Astrid Beltzung, Jacques Courtot, Hugues Dutrannois, Betül Eksi, Éric Hanicotte, Igor Igrok, Fabien Médina, Denis Vemclefs, Vincent Konik

et les musiciens Laurent Grais et Dayan Korolic
composition originale Laurent Grais et Dayan Korolic
lumières Rodolphe Martin
costumes Fanny Brouste 
assistante à la mise en scène Constance Larrieu
assistante à la scénographie Margot Clavières
assistante aux costumes Peggy Sturm
régie générale Alain Deroo
administration / production Delphine Teypaz
texte publié aux Solitaires Intempestifs
production Théâtre du Peuple - Maurice Pottecher et Compagnie [Titre Provisoire] / avec le soutien artistique du Jeune Théâtre National 
production déléguée Compagnie [Titre Provisoire]
la Compagnie [Titre Provisoire] est conventionnée par la DRAC Bretagne / Ministère de la Culture.

Depuis 130 ans à Bussang, la forêt vibre de théâtre et d'invisible et Julie Delille jubile avec toustes

Fondé en 1895 par Maurice Pottecher, fils d'un industriel bussenet fabricant d'étrilles pour chevaux et de couverts, avec sa femme, jeune comédienne parisienne, Camille de Saint Maurice,  le Théâtre du Peuple de Bussang a été crée dans une idée d'utopie humaniste. Sa devise "Par l'Art, Pour l'Humanité" est inscrite sur les murs du théâtre dans lequel les pièces jouées étaient principalement écrites par Maurice Pottecher lui-même, auteur, metteur en scène, comédien et moteur de cette aventure qui perdure à travers les ans. 
Le récit de cette histoire fait l'objet d'une pièce fleuve Hériter des brumes, résultat d'un travail de documentation et d'écriture d'Alix Fournier-Pittaluga et Paul Francesconi, artistes associés au Théâtre du Peuple (Alix a été dramaturge sur le Conte d'Hiver présenté l'an dernier). C'est une fable épique en six étapes Naître (1880-1895), Grandir (1896-1918), Survivre (1921-1939), Transmettre (1940-1960) Muer (1961-1985) et Hériter (1986-2025) conte cette histoire d'hommes et de femmes ancré(e)s dans le territoire, en lien avec l'économie locale: les industriels mécènes Pottecher et la famille Hans (ceux qui ont construit le théâtre en bois), ainsi que les habitants de la vallée, ouvriers.ères de ces usines entre autres, et les acteurs et actrices professionnel.le.s et bénévoles qui se sont mêlé.e.s pour faire vivre ce rêve de culture enraciné à l'ombre du chêne qui grandit en fond de scène. 


Théâtre du Peuple Bussang - Hériter des brumes - Les comédiens en pleine action - Photo: Robert Becker

La vie du théâtre, principalement à travers ses protagonistes, les deux familles Pottecher et Hans, pères, fils, oncles, comédiens et villageois, incarnés au fur et à mesure par une dynamique équipe de neuf jeunes comédiens amateurs, toutes et tous excellents dans leur rôles multiples - Monique Cordelle, Inaya Didierjean, Quentin Dupetit, Charlotte Gérard, Jennifer Halter, Benjamin Pourcher - et professionnels - Rafaelle de la Bouillerie, Axel Godard et Antoine Sastre - se déroule en scènes choisies, réflexions plus philosophiques, digressions poétiques, sorties de chemin, carambolages temporels, apartés entre comédiens ou adresses au public dans une belle vivacité. Même les résumés des épisodes précédents sont des petits morceaux de bravoures, originaux et qui apportent chaque fois un autre éclairage sur le passé. Les grandes étapes de la vie de ce projet se suivent: d'abord Maurice et Camille (Tante Cam) et leur fille Marie-Anne, leur fils Jean qui va mourir à la guerre. L'entre deux guerres avec l'arrivée de Pierre Richard-Willm, grand ami de Jean, qui prend la relève de Maurice pour la direction artistique et devient également une grande star du cinéma parlant. Et puis, après-guerre, la reconstruction et la transmission de cet esprit de la "Ruche" sous la gouvernance d'un conseil d'administration structuré et d'administratrices, Germaine Kiener et Marguerite Vannson, entre autres. 


Théâtre du Peuple - Hériter des brumes - Le conseil d'administration en pleine action - Photo: Robert Becker

L'épisode 5 - Muer - qui est présenté en particulier le samedi 30 août (des journées fleuves, les 20, 24 et 27 août présentaient l'intégrale) nous emmène à la fois dans le coeur de la machine, ces conseils d'administrations qui nous font toucher au plus près les difficultés rencontrées pour faire vivre cette utopie avec les besoins financiers qui existent même quand les comédiens sont bénévoles. Les scènes sont épiques et croustillantes, bien enlevées. Nous assistons aussi à la double mutation de la gestion - artistique et financière - du théâtre, confronté à l'évolution de la société, à l'adaptation aux problématiques contemporaines et aux changements sociétaux (mai 68, émancipation des femmes, professionnalisation des équipes, nouveaux statuts de la profession,...). Et nous suivons également le passage de relais à la direction, en 1972, entre Pierre Richard-Willm et son successeur, Tibor Egervary qui était déjà passé ici en 1960, à 22 ans, en sortant du TNS. Ces deux personnage sont superbement interprétés par Axel Godard et Antoine Sastre. Le premier arrivant à représenter magnifiquementce presque fantôme avec toute son aura avec une force d'incarnation impeccable dans le détail de la gestuelle et des attitudes bien observées. Les autres comédien.ne.s alternent la galerie de personnages successifs avec une virtuosité remarquable. Et nous suivons l'histoire vivante de ce théâtre, son fonctionnement, sa vie cachée, ses pièces iconiques, celles de Pottecher et la bascule vers des propositions plus "classiques" se tournant vers l'exemplaire Shakespeare, référent du projet. Et toutes ces mutations, à différents niveaux sont montrées avec une très belle sensibilité, relayée par l'équipe de comédien.nes, qui nous touchent au coeur. Pour ne citer que deux scènes emblématiques, celle où Tibor Egervary apprend la nuance d'expression au comédien habitué à "donner de la voix" au risque de la casser et la "révolution" dans la mise en scène et le décor pour Ruy Blas de Victor Hugo.


Théâtre du Peuple Bussang - Hériter des brumes - La nature en décor - Photo: Robert Becker


Pour clore le cycle, l'épisode 6 - Hériter, qui va de 1985 jusqu'à aujourd'hui change brutalement de rythme. Obligatoire, vu que les trois premiers directeurs ont tenu 93 ans - et encore Tibor n'en compte que pour 13 là-dedans - alors que pour la période récente, ce ne sont pas moins de dix directeur qui se sont succédés en 40 ans - Julie Delille, il faut le noter, est la première femme à diriger, en fonction, ce théâtre - Mais le traitement trouvé, le rythme effréné et les portraits brossés à larges traits - et presqu'à couteaux tirés - empêchent le public de s'ennuyer ou de s'endormir. Cela saute, fuse, cabriole, bondit, rebondit ou s'alanguit, c'est selon. Les "personnages" et leurs oeuvres - ou mode de fonctionnement - sont passés à charge de mitraillette. On s'y retrouve, et pour les spectateurs fidèles de ces dernières années (il y en a plus que pour les périodes précédentes) cela permet de se refaire un parcours rapide dans les souvenirs qui resurgissent et de remettre en perspective les différents choix et orientations qui se sont succédés. Cela donne un beau feu d'artifice et les comédiens y excellent avec de belles trouvailles. Et en guise de conclusion, une ballade philosophico-poétique dans les bois remet à l'honneur la pensée du fondateur que Julie Delille remet au goût du jour en célébrant l'union de l'homme avec la nature et son esprit, invisible qui dirige d'une certaine manière et dont nous ne sommes pas tous vraiment conscient, et qu'il faut néanmoins à la fois prendre en compte et essayer de mieux l'apprécier. 


Théâtre du Peuple - Hériter des brumes - L'union des comédiens avec la nature - Photo: Robert Becker


Cet énorme travail de mémoire (un - gros - livre avec les texte de la pièce a été édité) sur le seul théâtre populaire créé au tournant du XIXème siècle et qui est arrivé jusqu'à nous, documenté à la fois sur les aspects artistiques et ceux, concrets, d'organisation, est une très belle initiative, judicieusement finalisée à l'occasion de ce jubilée. Le résultat rend hommage à ses acteurs et soutiens et démontre concrètement et sous une forme très attractive les raisons de sa longévité et les obstacles, économiques, sociaux et artistiques qui guettent les protagonistes. Il témoigne de l'esprit de solidarité et d'inclusion sociale, autant vis-à-vis du public que des personnes impliquées sur la partie de création mais également les nombreux bénévoles qui au fil du temps ont oeuvré pour permettre la pérennité de cette utopie qui a traversé les âges tout en s'adaptant. 

Saluons fort leur engagement. 


Théâtre du Peuple - Hériter des brumes - Saluts à la nature, la culture et la technique - Photo: Robert Becker

La Fleur du Dimanche


Générique

texte Alix Fournier-Pittaluga et Paul Francesconi
mise en scène Julie Delille
dramaturgie Alix Fournier-Pittaluga
scénographie et costumes Clémence Delille
création musicale Julien Lepreux
création lumière Elsa Revol
assistanat mise en scène Sandrine Pirès
assistanat scénographie et costumes Élise Villatte
régie générale Fernando Rodrigues-Millos

avec Raphaëlle de La Bouillerie, Axel Godard, Antoine Sastre, 
et 6 comédien·nes amateurices : Monique Cordella, Inaya Didierjean, Quentin Dupetit, Charlotte Gérard, Jennifer Halter, Benjamin Pourchet

vendredi 1 août 2025

Midnight Souls à Avignon - L'Art d'Othoniel s'installe dans la ville et Carlson met l'Amour en mouvement au Palais des Papes

 Avignon est connue comme ville du Théâtre et comme Cité des Papes. Mais elle n'est pas que cela, elle est aussi une ville de culture. Inscrite depuis 30 ans au Patrimoine Mondial de l'Unesco et Capitale de la Culture il y a 25 ans, elle possède de nombreux lieux de patrimoine ou d'exposition dont le Palais des Papes ou le Petit Palais - devenu Musée du Petit Palais-Louvre en Avignon et pour les aspects contemporains la Fondation Lambert en Avignon entre autres. Et, du temps où la ville hébergeait la papauté au XIVème siècle, elle accueillait aussi le poète Pétrarque, fondateur de la Renaissance et dont l'amour pour Laure a été à l'origine du Canzoniere, son chef-d'oeuvre de la littérature lyrique amoureuse en Europe. 


Carolyn Carlson - Photo: Laurent Paillier

Ce sont ces deux axes, la célébration de la culture et celle de l'amour qui ont été l'occasion de donner une carte blanche à l'artiste Jean-Michel Othoniel. Ainsi, il sème plus de 130 oeuvres dans plus de dix lieux, des plus discrets aux plus connus. Ces oeuvres non seulement réenchantent les lieux, les bâtiments et les architectures, mais, avec l'installation qu'il a réalisée dans la cour du Palais des Papes, il va même plus loin en amenant le mouvement, la danse, la musique, la vie et les sentiments dans une installation monumentale - qui n'est bien sûr pas la seule. Et cette confrontation avec le temps, la musique, la lumière et le mouvement est une expérience totale. La danse n'est pas une idée neuve pour Jean-Michel Othoniel qui a déjà, en 2014, réalisé avec le paysagiste Louis Benech, une fontaine pour faire revivre à sa manière le Bosquet du Théâtre d'Eau de Versailles en transformant les écritures chorégraphiques de Louis XIV en sculpture d'eau vivante. 


Hugo Marchand - Photo: Joël Saget

Pour cette installation dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes, il a collaboré avec Carolyn Carlson et, ensemble, ils ont créé la pièce-performance Midnight Souls. Le style de la danse et l'expression chorégraphique de Carolyn Carlson est très graphique et inspiré de l'univers plastique de Mark Rothko et convient parfaitement à ce dialogue avec l'oeuvre de Jean-Michel Othoniel. 


Caroline-Osmont - Jean-Michel Othoniel - Hugo Marchand - Photo: Othoniel Studio

Dans cette collaboration, ils conjuguent leurs styles et leur art pour offrir une expérience unique, faisant ressurgir dans la Cour d'Honneur les fantômes de Pétrarque et de Laure, ces êtres que l'Amour relie de manière symbolique mais également totalement intériorisée. Cette intériorité, source de concentration et d'émotion est favorisée par des éclairages très focalisé, magnifiant les installations de sculptures (totems ou arbres de vie) et les passages, ponts et tunnels créés dans la cour. 


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Photo: Robert Becker


Ainsi, dès le début, avec le danseur étoile Hugo Marchand* qui arrive d'un pas d'abord hésitant puis variable sur la traversée en fond de scène, une inquiétude et une étrangeté s'installe, soulignée par la musique de René Aubry qui virevolte et nous emporte dans  ses tourbillons. Tourbillons que la danseur agile reprend de ses longs pieds agiles avant de repartir dans des mouvements plus calmes, plus mystérieux. Il n'est pas seul, une ombre en noir fait le même chemin que lui, traversant la scène comme un fantôme en l'ignorant, puis le pendant blanc et lumineux, qu'on imagine incarner toute la vitalité et la jeunesse de Laure. C'est Caroline Osmont, danseuse à l'Opéra de Paris qui l'incarne dans une merveilleuse agilité et une très belle expressivité. Elle illumine le plateau et nous éblouit par sa grâce. 


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Photo: Robert Becker


Et l'on imagine bien que son partenaire n'est pas insensible à cette éclat de beauté et de prestance. Fidèle à l'histoire vécue par Pétrarque et Laure, les rencontres se font fugitives, presqu'à distance, mais nous en sentons la tension, les éclats qui jaillissent. Souvent elles aboutissent à des détournements, des redites ou des superpositions de temporalités, tout comme la musique, qui semble se répéter, explorer de nouvelles pistes, quelquefois s'envoler de manière allègre et sautillante, ou hispanisante, quelques réminiscences de passages d'airs de Philip Glass ouvrent des pistes, un autre personnage, plus ou moins démiurge - le danseur Juha Marsalo de la compagnie de Carolyn Carlson semble vouloir favoriser la rencontre.


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Photo: Robert Becker


Une gestuelle précise et délicate des danseurs masculins tirant vers le pantomime tend à orienter le destin de l'histoire tandis que la femme éclabousse en virtuosité et liberté dans des gestuelles expansives et éblouissantes, ne se laissant pas encadrer, occupant l'entièreté de l'espace de cet immense plateau. 


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Photo: Robert Becker


Et, quelquefois, comme dans un univers parallèle, la dame en noir traverse cet espace temps en couches multiples, comme dans un espace temps parallèle. Ces couches temporelles faits de superpositions et de répétitions, soutenues par les variations et les boucles musicales presqu'hypnotiques nous font voyager dans un univers presque féérique et imaginaire, nous emportant dans un rêve éveillé dans la nuit étoilée qui nous enveloppe. Nous voyageons autant dans le sentiment que la perte, dans le charme et la sublimation, la sidération et la subjugation. Comme un rêve éveillé qui nous fait traverser les strates du temps et des sentiments, atteignant la plénitude et la sérénité, mais laissant en nous aussi la trace d'un manque et du sentiment d'une impossible union.  


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Hugo Marchand - Caroline Osmont - Juha Marsalo - Photo: R. Becker


La beauté fulgurante de la danse et de la magnifique installation des milliers de briques scintillante et presque vivantes nous éblouissant comme un miroir aux alouettes, nous prenant au piège de son illusion. Et nous nous retrouvons sur le pavé de la ville, regrettant d'être sorti de ce conte de fée et nous demandant comment nous en sortir dans la ville et la vie présente. Juste et salutaire question.


La Fleur du Dimanche


* Saluons cette initiative à la fois municipale et sa concrétisation par Jean-Michel Othoniel et Carolyn Carlson et ses interprètes et toutes les équipes et les soutiens qui ont permis cette réalisation et notons aussi que Hugo Marchand a fondé en 2022 l'association à but non lucratif Hugo Marchand pour la danse, dans le but de promouvoir la danse classique dans des lieux du patrimoine français auprès d'un large public : "j’ai à cœur de contribuer à la diversité de la vie culturelle locale, partout sur le territoire et de mettre en lumière les monuments historiques de nos régions en les associant à des danseurs et musiciens reconnus"

dimanche 20 juillet 2025

Hayet Ayad aux Sacrés Vendredis de la Klose: La Voix et la musique dans le berceau de l'âme

 Le festival Summerlied qui avait lieu dans la forêt à Ohlungen et qui reste dans la mémoire de nombreux Alsaciens a vécu. La manifestation, créée en 1997 par Jacques Schleef avec des centaines de bénévoles pour célébrer en été la culture et la chanson en Alsace mais aussi en proposant un programmation internationale, s'est terminé en beauté en 2018 avec, entre autres Grupo Compay Segundo et Thomas Dutronc en guest stars et une très belle programmation (voir mon billet Summerlied, la forêt alsacienne chante, danse et devient rock Gispy). 


Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker


Ne pouvant rester inactif, le créateur du festival, avec Les amis du festival Summerlied a relancé une animation en 2024: les Sacrés Vendredis de la Klose où, au lieu de la scène de 1500 places de la clairière, c'est l'intérieur presqu'intimiste de la chapelle de la Klose, dans les champs à l'entrée du village, avec sa centaine de places, qui accueille des concerts, conférences et visites théâtralisées. Outre des concerts de musique tzigane, klezmer et un savant mélange de musique de cour et de poésie, il y a eu le concert au chandelles de Rodolphe Burger dans la grande nef de la chapelle, concert bien entendu complet avec ses cent dix entrées. Et le concert de Hayet Ayad le dimanche après-midi a eu tout autant de succès. 


Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker


C'est sûr que depuis des années, cette musicienne née à Strasbourg à la voix magique a charmé, étonné et surpris de centaines voire des milliers d'auditeurs avec ses airs arabo-andalous et la musique sacrée qu'elle a découverts dans le Sud de l'Espagne. Le concert qu'elle nous offre ici dans cette chapelle suit une nouvelle direction qu'elle a développée depuis quelques années et qui est centrée sur la musique de l'âme.


Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker


Alors qu'au loin de gros nuages d'orage s'accumulent à l'horizon et que le tonnerre gronde, elle arrive avec une bougie dans le silence qui s'est installé dans la chapelle et nous promet quelques lueurs de douceur. Se servant très peu du seul micro posé dans le choeur, elle fait entendre sa voix prenante en des mélopées tournantes qu'elle accompagne du son d'un kalimba dont elle tire une mélodie légère et reposante. 


Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker


L'envoutement fait son effet et un calme serein s'installe dans la chapelle. La voix semble emplir tout l'espace de la chapelle et les improvisation vocales se suivent tout en harmonie. 


Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker

Quelquefois Hayet Ayad change d'instrument, que ce soit avec une version moderne de l'oud qu'elle joue toujours debout, l'instrument calé devant elle, avec toujours des mélodies calmes et lancinantes, ou encore du goni traditionnel. Les accompagnements sont toujours mesurés, calmes tout comme la voix dans ses multiples variations, graves et reposantes. Sauf à un moment lorsqu'elle émet ces cris de joie en faisant vibrer sa langue pour sortir ces sons de bouche aigus, ces tzaghârîd ou you-yous.


Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker


Elle abandonne aussi un moment sa position dans le choeur pour aller au fond de la chapelle et dialoguer avec les ancêtres et l'orage qui gronde et dont la pluie arrose bien l'extérieur de notre espace bien protégé. Elle nous rappelle le sens mystique et énergétique de ce concert, et le cheminement qui l'a mené jusque là dans sa vie, après un retour aux sources de sa culture kabyle et son travail sur les énergies de chacun.


Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker

Elle nous offre aussi une chanson qui semble être un air plus traditionnel en s'accompagnant d'un bendir dont elle frappe discrètement et le cadre en bois et la peau et continue sur ses mélopés dont on ne se lasse pas, l'acoustique de la chapelle nous mettant au plus proche du son de sa voix.


Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker

Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker


Dans le genre minimaliste, elle nous chante une autre mélodie ne s'accompagnant que d'une main avec un mini-harmonium tenant dans une sorte de valise dont un côté fait soufflet, ce qui lui permet de jouer une base continue comme soutien de ses mélopées. 


Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker

Hayet Ayad - Les Sacrés Vendredis de la Klose - Photo: Robert Becker

Et au bout d'une bonne heure de ce bonheur, alors que nous avons l'impression d'avoir fait un voyage hors du temps, et qu'il semble être temps de nous séparer - ce qui semble difficile pour tout le monde - deux dernières mélodies nous donnent l'énergie de refaire notre route chacun de notre côté, en gardant au fond du coeur un peu de lueur de cette douceur.


La Fleur du Dimanche


Note: Les Sacrés Vendredis de la Klose ne sont pas terminés, il reste le concert de Ispolin Trio le vendredi 25 juillet à 20h30 avec des chants d'inspiration et de tradition bulgares. 

vendredi 11 juillet 2025

Le souffle de l'Ill à Mulhouse: En apnée et en immersion dans un monde féérique

A l'occasion des festivités du 800ème anniversaire de la fondation de Mulhouse (la construction de ses remparts s'est faite à partir de 1224), de nombreuses manifestations animent la ville, en particulier l'été. Une des plus originale, sinon la plus surprenante est le spectacle son et lumière Le souffle de l'Ill dans l'ancienne piscine Pierre et Marie Curie fermée depuis 3 ans et qui va à la fois raviver des souvenirs à celles et ceux qui l'ont fréquentée mais aussi faire découvrir une fantastique architecture du début du XXème siècle et classée monument historique à celles et ceux qui ne l'auraient pas connue. D'ailleurs elle sera totalement transformée, tant le spectacle est total. Celui-ci fait appel à une multitude d'expressions artistiques. 


Le souffle de l'Ill - Damien Fontaine - Photo: Robert Becker

Le souffle de l'Ill - Damien Fontaine - Photo: Robert Becker

Le souffle de l'Ill - Damien Fontaine - Photo: Robert Becker


Le récit féérique d'un sortilège que subit un meunier et sa fille Wendélina démarre dans un univers projeté sur les murs de fond de scène. Et l'histoire va se continuer sur une surface d'eau sur scène et dans les airs, mais aussi parmi le public. Celui-ci est installé sur des gradin dans le grand bassin de la piscine. La piscine est "habillée" par de magnifiques décors rutilants et changeants qui nous font passer par de nombreux espaces dont le moulin du meunier, le vaisseau du capitaine qui nous mène tout au long de cette histoire et même une machine à remonter le temps. Parce que, festivités obligent, les Mulhousiens célèbres sont également convoqués, entre autres le cinéaste William Wyler, l'artiste Nusch Eluard, muse du poète, l'industriel du textile et développeur du chemin de fer Nicolas Koechlin et même Jean-Henri Lambert, le mathématicien et philosophe qui a démontré l'irrationalité du nombre π mais a aussi inventé la luminance qui a toute sa place ici car tout est lumière, couleurs et brillance. 


Le souffle de l'Ill - Damien Fontaine - Photo: Robert Becker

Le souffle de l'Ill - Damien Fontaine - Photo: Robert Becker

Le souffle de l'Ill - Damien Fontaine - Photo: Robert Becker

Hors les magnifiques projections sur les écrans, murs et plafonds qui nous transportent dans des mondes qui n'arrêtent pas de se transformer, nous avons droit à une recréation holographique fugace et vaporeuse de Wendélina dans un nuage de gouttelettes d'eau par la grâce des magiciens de l'eau d'Aquatique Show. L'eau et ses jets qui semblent obéir aux magnifiques mouvements dansés avec grâce par Charlotte Dambach sur le miroir d'eau dès le début du spectacle. Et c'est avec non moins de grâce qu'elle évolue dans l'élément liquide, en fait dans les airs, mais l'illusion est parfaite, grâce à l'assistance de son partenaire manipulateur aérien Thibaut Bastian en coulisse et la scénographie et les lumières de Loïc Marafini grâce à qui toute la piscine se transforme en un monde sous-marin dans lequel les spectateurs sont également immergés, mais sans risque de noyade, le seul risque étant de s'y croire vraiment, mais cela c'est aussi la magie du spectacle. 


Le souffle de l'Ill - Damien Fontaine - Photo: Robert Becker

La musique participe aussi à cette immersion dans le spectacle, que ce soient les créations originales de Damien Fontaine, les arrangements de morceaux plus ou moins connus par ce dernier et André Adjiba qui passe aussi son énergie sur ses tambours et percussions, ou les ambiances d'Alix Breinl. Le spectacle étant total, il y a bien sûr la magnificence des costumes des personnages qui occupent l'espace, dont le chevalier, le baron, le dragon, la prêtresse,... costumes tous plus beaux les uns que les autres, conçus et réalisés par Marie-Jo Gebel et magnifiquement valorisés sur terre et dans les airs par Serge Hélias et Charlotte Dambach dans une très juste chorégraphie aérienne de Brigitte Morel. 


Le souffle de l'Ill - Damien Fontaine - Photo: Robert Becker

Le souffle de l'Ill - Damien Fontaine - Photo: Robert Becker

Saluons aussi toutes les comédiennes et les comédiens qui se cachent derrière les personnages de cette saga qui jongle avec le temps, par la magie de l'animation. Nous sommes emportés dans l'espace et le temps de cette saga de la cité, ramassée dans l'écrin de ce bassin et de sa voûte. Une parenthèse ludique et magique où le feu et l'eau s'associent pour nous faire rêver comme des enfants, que nous sommes restés dans l'âme. Une belle réussite.


La Fleur du Dimanche




dimanche 6 juillet 2025

La Mouette de Tchekhov au Guensthal: L'envol du théâtre dans un écrin de faveur

 Il existe quelque part tout au Nord de l'Alsace, dans un  contrée que l'on appelle l'Outre-Forêt, dans une vallée entourée de bois et de montagnes qui se nomme Vallée de la Faveur - Guensthal - une ferme où habitent d'irréductibles artistes. C'est, à l'image du village gaulois des temps romains, une enclave climatique et artistique dans laquelle les occupants s'adonnent à l'agriculture, l'élevage et à la culture, les arts, en particulier la peinture, la sculpture et le théâtre. Ce coin de paradis est une endroit préservé (plus tant que cela*) de la civilisation et du réchauffement climatique. Bâti à la force de leurs mains sur des ruines datant de 1897, c'est devenu un lieu ouvert aux autres et à l'art et, après de nombreuses exposition d'art (France et Hugues Siptrott ont et sont exposés dans le monde entier - leurs sculptures sont visibles autant devant le PMC qu'au cimetière militaire de Cronenbourg ou à la station de métro de la Défense à Paris), et ils ont organisé de nombreuses expositions d'artistes invités, tout autour de leur vallée. Depuis 2019, ils accueillent  les création théâtrales (en plein air) de la Compagnie du Matamore que leur fils, Yann Siptrott comédien et chanteur à ses heures (Yann Cailasse), codirige avec Serge Lipszyc (qui a entre autres travaillé avec la Comédie de Genève et aussi en Haute-Corse avec Robin Renucci).


Tchekhov - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker


L'accueil dans ce lieu de partage et d'humanité, avec autant de simplicité et de fidélité, est rare et nous sentons une communauté et des liens de proximité de qualité qui s'y tissent. Preuve en est la formule d'accueil du spectacle où l'on nous offre à un verre à l'arrivée, une soupe inspirée par la talentueuse cuisine de chez Anthon à Obersteinbach et les délicieux fromages de chèvre de la Chèvrerie de Windstein, pour continuer. Et bien sûr il ya le spectacle, avec cet entr'acte "gourmand" qui relie les deux spectacles pour parfaire la parenthèse bucolique et artistique de cette expédition hors du temps. 


Les Siptrott's - Guensthal - Photo: Robert Becker


Cette année, retour à Tchékhov après un Shakespeare et des Molière (voir les précédentes programmations ici** - certaines vont être reprises à la rentrée dans la Vallée ou, à côté de Strasbourg, au Point d'Eau à Ostwald). Et avec plutôt trois Tchékhov que deux (La troupe du Matamore a l'habitude des pièces gigognes - voir York par exemple). Car, comme mise en bouche nous avons droit, sous le titre La demande de l'ours en mariage à une version finement entretissée des deux pièces en un acte - aussi présentées comme "farces" - La demande en mariage et L'ours. La subtilité tient ici à la mise en commun d'un acteur, ici Patrice Verdeil qui arrive à merveille à s'incarner dans le père de Nathalia (à marier) et dans le valet de chambre de la jeune veuve Elena Ivanovna Popova, Louka. 


Tchekhov - La demande de l'ours en mariage - Guensthal - Photo: Robert Becker


Tout cela dans la cour, sur une scène réduite à la surface minimale avec cinq chaises qui ne sont pas que musicales, mais c'est tout comme, pour rythmer sur un bon train les multiples péripéties et rebondissements, dialogues (de sourds aussi pour notre plus grand bonheur) et quiproquos qui se suivent et se recouvrent. Un vrai travail de haute couture du texte - ici ce sera une phrase insérée, là un silence ou un soupir, là encore carrément une longue scène d'affrontement où il est question d'argent ou de terres et qui se moque des travers des hommes - et des femmes - des gens près de leur argent ou de leur amour-propre, ou qui se complaisent dans leur chagrin. Les comédien.ne.s - Patrice Verdeil déjà cité, Sophie Thomann, Bruno Journée, Pauline Leurent et Yann Siptrott nous emportent dans cette folie en "carré" avec grimaces et chansons, clins d'oeils et contorsions pour notre plus grand plaisir.


Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker


Pour le "plat de résistance", en l'occurrence La Mouette, changement de décor et direction le jardin (plutôt le pré) où l'étang sur lequel fleurissent les nénuphars fait office de lac et la mouette semble plus vraie que nature. 


Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker


La mouette "symbolique" de la pièce, Nina Zaretchnaia qui veut devenir comédienne, à laquelle la jeune Léna Dia apporte une belle vivacité au début (et une vraie gravité à la fin) arrive à survoler la pièce de sa présence, même absente, et à perturber le fonctionnement de cette petite société de province avec ce médecin (Bruno Journée, plus docte que précédemment), cet homme qui en sait trop, et cet écrivain, Boris Trigorine, autour de qui tout - et le monde - tourne (Yann Siptrott, lui aussi plus souverain et solennel).


Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker

Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker


Il y a bien sûr "l'actrice" Irina Arkadina, Madame Trepleva, à la gloire passée (magistrale Isabelle Ruiz toute en beauté), amante du médecin et mère d'un écrivain en vain devenir, Konstantin Treplev, Charles Leckler tout à fait à l'aise autant dans sa fougue créatrice, sa passion amoureuse de la jeune comédienne, que dans son désespoir sans issue possible. 


Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker

Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker


Il y a bien sûr le frère de l'actrice, Piotr Nikolaevitch Sorine, homme usé et fatigué (dont Serge Lipszyc assume l'imposante présence) propriétaire du domaine (avec sa soeur) mais qui se fait gruger par l'intendant, le despotique et intransigeant Chamraïev (Patrice Verdeil qui en incarne toute la puissance. Il y a encore la femme de ce dernier (Sophie Thomann, bien dans son rôle d'amoureuse déçue), leur fille (Pauline Leurent, encore plus jeune que dans la pièce précédente) et Sémione Mendvenko (Sylvain Urban), l'instituteur pragmatique et économe, un peu résigné mais également revendicatif. 


Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker

Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker


Cette conscience de classe est plutôt malmenée bien que Tchékhov a eu des débuts difficiles dans la vie - ses parents n'ont pas eu une vie aisée et son père, commerçant a même fait banqueroute - lui-même a pu subvenir aux besoins de la famille avec ses nombreuses publications alors qu'il était étudiant en médecine. Mais, tout comme pour les deux farces précédentes, il est beaucoup question d'argent et de besoin. Il est bien sûr aussi beaucoup question d'amour et de ses errements - Il y a une véritable "ronde de l'amour" non réciproque et qui tourne en rond autour des personnages.

 

Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker

Les relations humaines, en famille, dans le couple ou avec les autres, sont disséquées au scalpel et les situations sont finement présentées, nous réservant des scènes émouvantes ou engageantes. Par ailleurs la question de la liberté, de ses entraves et de ses obstacles, à l'image de la mouette, censée la représenter - mais qui se fait tuer - et donc de sa perte - ou du sentiment de perte - interrogent la destinée humaine. Tchékhov questionne aussi le statut de l'écrivain avec le personnage de Trigorine, à la fois personnage fascinant et adulé mais aussi voleur de vies et d'histoires, artiste désabusé et fatigué, mais aussi attirant et critique - dont le jeune et bouillonnant Treplev est le reflet opposé. 


Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker

Tchekhov - La Mouette - Compagnie du Matamore - Guensthal - Photo: Robert Becker

Tchekhov donne une impression de détachement - avec quelques-uns de ses personnages - mais en même temps il y a une énorme sensibilité qui surgit. Et pour répondre à la question d'un spectateur après le représentation qui demandait "Avez-vous pleuré à la fin?", la réponse est "Oui".La force de Tchekhov - et de cette mise en scène de Serge Lipszyc, et des comédiens, et de je ne sais quoi d'autre - est de nous amener à une émotion qui nous submerge et nous emporte. Et c'est ça la magie du Théâtre - et du Guensthal.


La Fleur du Dimanche


* La forêt qui entoure le Guensthal appartenait à un groupement forestier et a été acquis début décembre 2023 par le Fonds de Révolution Environnementale et Solidaire du Crédit Mutuel Alliance Fédérale, afin de constituer un puits de carbone de 4 600 ha dans les Vosges du Nord (forêt de Dambach) - Suite à cela le chemin d'accès habituel du Guensthal a été interdit aux habitants obligés de faire un détour de plus de 26 km aller-retour. Un appel à soutien est là sur Change.org


** Les précédents spectacles de la compagnie au Guensthal ont été

2024 : Un songe, une nuit, l'été au Guensthal: jouir de la faveur magique de la vallée

2023 : Molière 401 : De Scapin au Jardin (des potes) au Misanthrope à la Cour (faire la): le plein d'énergie à la (vallée de la) Faveur

2022 : Un Platonov de Tchekhov à Windstein: Don Juan à l'école: Echec et Mat

2021 : York de Shakespeare au Théâtre Forestier de la Faveur: Crimes et bombardements


Et donc à noter sur vos plaquettes:

Reprise de La Mouette de Tchekhov au Guensthal le 27 et 28 septembre 2025

Un songe, une nuit l’été, du 7 au 11 novembre 2025 au Point d’Eau, Ostwald

La Mouette, du 13 au 18 janvier 2026, au Point d’Eau, Ostwald, le 3 février 2026 au relais culturel de Haguenau

Les Fourberies de Scapin, le 31 mars 2026 à la Nef de Wissembourg


Distribution:

LA MOUETTE 
d’Anton Tchekhov 

Mise en scène et Adaptation: Serge Lipszyc 
Scénographie / Accessoires: Sandrine Lamblin 
Lumières: Jean-Louis Martineau 
Costumes: Maya Thebault 

Avec 
Isabelle Ruiz – Arkadina, actrice, mère de Treplev 
Charles Leckler – Treplev, écrivain, fils d’Arkadina 
Yann Siptrott –  Trigorine, écrivain, amant d’Arkadina 
Serge Lipszyc – Sorine, propriétaire du domaine, frère d’Arkadina 
Pauline Leurent – Macha, fille de Paulina & Chamraiev 
Patrice Verdeil – Chamraiev , régisseur époux de Paulina 
Sophie Thoman – Paulina, épouse de Chamraiev, mère de Macha 
Léna Dia – Nina, actrice 
Bruno Journée – Dorn, médecin 
Sylvain Urban – Medvedenko, instituteur 
 
LA DEMANDE D’UN OURS EN MARIAGE 
d’Anton Tchekhov  

Mise en scène et Adaptation Serge Lipszyc 

Avec
Yann Siptrott – Sirmov 
Pauline Leurent – Madame Popova 
Patrice Verdeil – Louka dans l’ours et Stepan Stepanitch dans la demande en mariage 
Bruno Journée – Lomov 
Sophie Thomann – Natalia Stepanovna