Le "spectacle de l'après-midi" du Théâtre du Peuple de Bussang cette année, avec le Roi Nu d'Evgueni Schwartz, mis en scène par Sylvain Maurice, coche bien les cases du spectacle populaire avec les comédiens amateurs. Mais il trompe son monde au point d'en désorienter quelques-uns en première partie. Il est vrai que la pièce d'Evgueni Schwartz qui s'est inspiré de trois contes d'Andersen - Le Porcher et la Princesse, La Princesse au petit pois, Les Habits neufs de l’Empereur - pour en faire une fable critique, écrite en 1934, et qui cible le personnage d'Hitler, et dans lequel les autorités soviétiques ont cru reconnaitre des trait de Staline, au point que la pièce fut interdite de publication - et donc de représentation en URSS du vivant de l'auteur - cache discrètement son jeu dans le premier acte.
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Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler |
Nous y assistons sous une forme légère - mais néanmoins caustique - aux déboires et rebondissements des amours contrariées de la princesse Henriette (dont l'interprétation allègre d'Hélène Rinemaid nous met en jubilation) et de Christian, un porcher qui ne convient pas, mais pas du tout au Roi père (interprété par Eric Hanicotte, un des onze comédiens amateurs de la troupe participant à ce spectacle). Ce dernier décide d'envoyer sa fille au royaume voisin pour la marier au roi qui a (très) mauvaise réputation. Elle refuse cela bien sûr avec détermination (le féminisme ne date pas d'hier) mais elle est obligée de se soumettre quand même (la révolution ne se fait pas en un jour).
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Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler |
Christian et son ami Henri vont essayer de déjouer ce projet et cela nous donne de belles scènes de duo comique à la Laurel et Hardy ou à la Charlot, où Henri (Maël Besnard) et Christian (Mickaël-Don Giancarli) font preuve d'un humour décalé et d'une admirable capacité de travestissement. Il faut remarquer que côté travestissement, pour les personnages secondaires, nombreux (une bonne soixantaine), les comédiens et comédiennes amateur de la troupe endossent facilement cinq à six rôles pendant la pièce. Les très belles lumières et les magnifiques costumes de Fanny Brousse apportent une grande part de joie et d'émerveillement pour nous emmener dans ce voyage merveilleux - un véritable conte de fée, même si cela grince et que la révolte gronde dès le départ (la jeune princesse n'est pas aussi obéissante qu'il sied à un personnage de conte de fée).
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Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler |
Ainsi, nous glissons discrètement de ce qui pourrait être au départ une histoire bucolique et sucrée de romance champêtre, vers un univers un peu plus kafkaïen lorsque nous passons dans le royaume voisin et que les échos terribles du caractère du monarque arrivent par vagues successives sur le plateau via les différents personnages qui l'entourent. Le fonctionnement de ce royaume apparaît plus inquiétant qu'il n'en a l'air, avec, par exemple, un "ministre des tendres sentiments" un peu machiavélique et d'autres personnages bien duels. Tout cela va se révéler de plus belle dans le deuxième acte où nous assistons d'abord à une succession de scènes empilées les unes sur les autres et qui dénoncent dans un comique intense la duplicité et le mensonge, la dissimulation et la fausseté par soumission. Et pour finir, dans un magistral renversement de situation très bien décrit, la révolte contre l'ordre établi et la chute du tyran.
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Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler |
La traduction du texte d'Evgueni Schwartz par André Markowicz est d'une contemporanéité admirable et l'on rêve à la chute des tyrans d'aujourd'hui. Le choix de la pièce est totalement d'actualité et la mise en scène et la scénographie de Sylvain Maurice nous emmènent à fond dans cette histoire sans temps mort. Nous cavalons sans arrière pensée dans son récit. Il faut saluer la performance d'acteur de Manuel Le Lièvre, arrivant comme un Deus Ex Machina et dont la performance à la fois en tyran suprême orgueilleux, vaniteux et fanfaron et en roi déchu - et nu - est exceptionnelle.
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Théâtre du Peuple Bussang - Le Roi Nu - Evgueni Schwartz - Sylvain Maurice - Photo: Vincent Zobler |
Et l'ensemble de la troupe, professionnels et amateurs choisis, interprètent de manière impeccable les multiples personnages de cette mise en scène à la fois précise et sobre mais qui dépote bien et nous emporte dans des tourbillons fulgurants, soutenus, entre autres par la musique jouée en direct dans la salle par Laurent Grais à la batterie et Dayan Korolic à la basse.
Du grand théâtre !
La Fleur du Dimanche
texte Evgueni Schwartz
traduction André Markowicz
mise en scène et scénographie Sylvain Maurice
composition originale Laurent Grais et Dayan Korolic
lumières Rodolphe Martin
costumes Fanny Brouste
assistante à la mise en scène Constance Larrieu
assistante à la scénographie Margot Clavières
assistante aux costumes Peggy Sturm
régie générale Alain Deroo
administration / production Delphine Teypaz
texte publié aux Solitaires Intempestifs
production Théâtre du Peuple - Maurice Pottecher et Compagnie [Titre Provisoire] / avec le soutien artistique du Jeune Théâtre National
production déléguée Compagnie [Titre Provisoire]
la Compagnie [Titre Provisoire] est conventionnée par la DRAC Bretagne / Ministère de la Culture.