vendredi 6 décembre 2024

Grains de Simon Feltz à Pôle Sud ou comment germe et monte le désir

 Avec Grains présenté à Pôle Sud, Simon Feltz se confronte à problématique sensible: Comment montrer le désir sur scène? Et c'est à un vrai challenge auquel il doit faire front.

Montrer, cacher, dévoiler, faire sentir non seulement le désir, mais aussi arriver à le faire faire transparaître chez les interprètes qui, sur scène et pendant presqu'une heure vont incarner la montée du désir, montrer ce qui est en soi sans tomber dans le voyeurisme.


Simon Feltz - Grains - Photo: Martin Argyroglo


Dès le début, il réussit son pari en ne nous montrant rien ou presque, en laissant notre imagination, nos propres fantasmes remplir le peu de ce qui est dévoilé. Car chacun le sait, ce que l'érotisme apporte au mécanisme du désir et du plaisir est plus dans tout ce qui n'est pas montré, mais suggéré. Ainsi cette obscurité qui très très lentement s'éclaire et nous laisse deviner des corps assis sur la scène font beaucoup mieux travailler notre imagination, au point que ces six interprètes à peine discernés sur la scène nous apparaissent nus et offerts. Ce sentiment se confirme quand nous entendons quelques mots devinés dans ce texte qu'on commence par bribes et d'où l'on discerne "friction", "peau", "chaleur", "caresse" et pour couronner le tout un "encore" répété et un "arrête" que nous ne pouvons pas interpréter comme un appel à continuer en dépit du résultat d'"encore", sauf si un autre signal est donné.


Simon Feltz - Grains - Photo: Martin Argyroglo


La lumière qui monte très doucement fait apparaitre les six interprètes que nous découvrons habillés, et quand la lumière est plus puissante nous distinguons les couleurs bleues des hauts et le brun clair ou bleu jean des pantalons et short. Les trois danseuses et trois danseurs s'étant levés, ils vont au fur et à mesure se chercher, tourner l'un(e) autour de l'autre, se rapprocher, s'unir dans une masse formant un tout puis se reséparer. Les gestes d'abord caresses se font plus proches, des baisers puis des embrassades débouchent sur des gestes plus intimes, tout cela sur un rythme très lent, entrecoupés d'immobilités et quelquefois en gestes miroir dans une très belle disposition dans l'espace.


Simon Feltz - Grains - Photo: Martin Argyroglo

Le corps n’est pas seulement mouvement, il est langage. Les danseurs oscillent constamment entre contrainte et la liberté, comme si leurs gestes cherchaient à percer une frontière invisible. Ce jeu de tensions devient une quête, presque viscérale, du désir : désir de toucher, d’être touché, de comprendre l’autre et soi-même. Chaque mouvement, chaque pause, chaque souffle devient une pièce d’un puzzle où le spectateur est invité à projeter ses propres interrogations. Quels sont les gestes qui facilitent la relations? Quelles sont nos peurs, nos attentes, nos désirs inavoués ?


Simon Feltz - Grains - Photo: Martin Argyroglo

Les corps se rapprochent, les habits tombent, les peaux se frôlent, les poses se font plus suggestives, les corps s'unissent et les liens alternativement se défont, certains se font éjecter, sont à la fois unis et distants dans cette ronde du désir. La parole qui s'était faite plus audible et narrative se transforme en souffle, gémissements, râles et, curieusement en rires faussement libérateurs. De même les éclats de lumière rouge et la montée en puissance de l'éclairage installent une froideur et presqu'une culpabilité, en tout cas une distance dans ce qui devrait être un sommet du plaisir.

La recherche de Simon Feltz d'explorer l’intime dans un spectacle rare est réussie tant qu'il capte les nuances et les ombres des émotions en nous les transmettant dans une expérience sensorielle et introspective. Elle se heurte cependant à un écueil lorsque l'intime s'expose trop et devient spectaculaire, Mais peut-être est-ce l'effet de la dysphorie post-relationnelle.


La Fleur du Dimanche


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