jeudi 12 décembre 2024

Je crois que dehors c'est le printemps au TAPS: réparer le silence et les mots qui manquent

 L'évènement racontée dans cette pièce Je crois que dehors c'est le printemps présentée au TAPS peut paraître bizarre ou rare, mais il n'en est rien. Rien qu'en France, chaque année près de 40.000 enfants "disparaissent" chaque année. Et les enlèvements parentaux en sont un peu plus de 10 %  des cas. Mais ce n'est pas le plus important ou le coeur de cette pièce créée et jouée par Gaia Saitta. 


Je crois que dehors c'est le printemps - Gaia Saitta - Photo: Chiara Pasqualini


Ce qui se joue ici, structuré comme une enquête policière mais sans recherche du coupable, c'est d'abord la longue découverte d'une femme, la mère, Irina, qui subit ce drame, découverte de sa vie, de ses sentiment face à cet événement et des conséquence humaine que cela induit chez elle. Mais c'est surtout sous la forme d'un puzzle, de l'assemblage de morceaux de souvenirs qui pourraient être des bribes de réponses à un interrogatoire mais qui sont plutôt un essai de sa part de "recoller" les morceaux que cela se présente. Elle cherche à savoir où elle peux se positionner dans ce labyrinthe de souvenirs pour, d'abord essayer de comprendre ce qui lui arrive, comment et pourquoi cela lui est arrivé, et essayer de se reconstruire. Et de se réparer, à l'image de cette philosophie japonaise, le Kintsugi, qui avec de l'or répare et sublime les blessures d'une porcelaine cassée.


Je crois que dehors c'est le printemps - Gaia Saitta - Photo: Chiara Pasqualini


Ainsi Gaia Saitta, après avoir posé les bases du dispositif dans lequel elle embarque les spectateurs, quelques-un(e)s de manière totalement active en leur donnant le rôle d'interlocuteurs du personnage de la pièce Irina Lucidi,  va l'incarner, prendre sa place pour dérouler un récit lumineux et très sensible, avec douceur et bienveillance. Elle va reprendre le récit de cette femme et quelquefois représenter de manière plus ou moins réaliste, avec suffisamment de magie pour nous y faire croire, quelques scènes de la vie quotidienne. Elle va s'interroger sur le sens, l'évolution de leur relation. 


Je crois que dehors c'est le printemps - Gaia Saitta - Photo: Chiara Pasqualini


Tracer, pas forcément dans un ordre chronologique, l'histoire de leur couple, plutôt pour essayer de comprendre - et nous aussi puisque nous avons quelques clés au fur et à mesure - comment leur rencontre, la demande en mariage, l'annonce de la grossesse et des jumeaux et l'accouchement, mais aussi toute une série d'attitudes de ce mari, Mathias, ont pu aboutir à ce dénouement. Et à cette perte, cette douleur qu'elle devra porter seule, parce que, et la famille de Mathias, et les autorités policières et judiciaires vont l'enfermer dans un cercle de silence. Silence doublé par une douleur elle aussi forcément silencieuse qui, heureusement,  "seule ne tue pas". 


Je crois que dehors c'est le printemps - Gaia Saitta - Photo: Chiara Pasqualini


Ce parcours qui dans une accumulation d'événements et d'attitudes dans le couple de plus en plus oppressants, et d'une relation de plus en plus tendue et inquiétante, alternent avec des scènes de confrontation avec des interlocuteurs dans des contextes oppressants ou hostiles, fait monter une tension glaciale. Mais, petit à petit aussi se dévoile une autre histoire, une nouvelle vie qui semble se construire. C'est à travers le personnage de la grand'mère dont nous découvrirons le secret (de famille) bien plus tard, qu'un contrepoint émerge et qui va se dérouler dans une reconstruction et un bonheur possible - et pourtant interdit (par la société - une femme qui a perdu ses enfants ne peux pas être heureuse) - avec un autre homme. Sa douleur silencieuse qui n'a pas de nom dans nos langues latines ne devrait pas pouvoir s'exprimer et encore moins, par la parole se libérer. C'est pourtant ce qui arrive et c'est le miracle à la fois de cette pièce et surtout de l'histoire vraie sur laquelle elle s'appuie. 


Je crois que dehors c'est le printemps - Gaia Saitta - Photo: Chiara Pasqualini


Cette histoire a été vécue par Irina Lucidi dont elle a pu se libérer en la livrant à l'autrice Concita de Gregorio pour notre plus grand bonheur de spectateur. Car elle gagne par le magnifique jeu de Gaia Saitta et sa mise en scène, avec la collaboration du talentueux et inventif Giorgio Barbiero Corsetti, la force et la puissance d'une tragédie grecque dans laquelle les spectateurs d'aujourd'hui dans un dispositif multimédia original en deviennent un choeur antique très moderne.


La Fleur du Dimanche

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