Après le succès de sa précédente pièce Désobéir, présentée au TNS en 2019 dans le cadre de l'Autre Saison, Julie Berès s'est penchée sur le versant masculin de sa réflexion pointue d'observatrice de l'évolution des sentiments et des rôles dans la société actuelle. Et elle revient chez nous avec cette pièce, La Tendresse créée en 2021.
TNS - La Tendresse - Julie Berès - Photo: Axelle de Russé |
Pour y arriver, une longue réflexion avec ses collaborat.eur.rices de la pièce précédentes Kevin Keiss et Alice Zeniter, auxquels s'est rajoutée Lisa Guez, a permis de s'immerger dans l'air du temps, autant en réel que sur les aspects de réflexion et d'analyse dans des échanges avec des chercheurs, sociologues ou autre. Comme elle le dit dans le livret programme: "De fait, nous avons beaucoup questionné les héritages, les millénaires de modèles, d'archétypes, de stéréotypes qui construisent le masculin aujourd'hui: le rapport au courage, à la force physique, les injonctions qui concernent la violence." Et bien sûr, tout ce matériau qui a infusé pendant deux ans pour donner une série de textes sur des thématiques diverses (violence, séduction, homophobie, viol, #meeTo,...) a été confronté sur le terrain aussi avec des rencontres avec des jeunes pour, en final, se retrouver dans une adaptation finale avec comédiens qui allaient être sélectionnés pour incarner les personnages construits à partir de tout ce processus.
TNS - La Tendresse - Julie Berès - Photo: Axelle de Russé |
Mais rassurez-vous, La Tendresse n'est ni un pensum, ni une leçon de sociologue, ni une conférence. La pièce à la jeunesse et le dynamisme de ses héros du quotidien. Ceux-ci déboulent sur scène plein d'énergie et taguent à la craie le bout de décor qui leur sert de lieu de rencontre, cet espace à la marge, lieu de passage transformable, à la fois tunnel et pont, entrée d'espaces intime et place publique où le groupe se rassemble. Un groupe constitué dont nous allons découvrir les individualités, les destins particuliers, les parcours personnels variés. A la fois tribu et espace d'expression collectif, juge et noyau d'amis, microcosme de la société et miroir de soi et de l'autre. Le groupe a quelquefois son unité, dans la parole mais aussi dans les séquences de chorégraphies de groupe dans lesquelles Jessica Noita donne une image d'ensemble dynamique à cette assemblage de corps très divers. Ces corps qui dans leur diversité d'expérience, de parcours et d'appréhension ont également leur propre rythme ou représentation. On a ainsi le sportif, le coureur, l'athlète, l'ex-danseur classique, le timide en surpoids, la fille cachée, le beau mec, toute une diversité d'attitudes qu'elle arrive aussi à faire bouger chacun à sa manière.
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Cette diversité au niveau des corps se retrouve aussi dans la diversité des expériences. L'intelligence de la mise en scène - bien sûr permise par cette écriture qui donne à chaque personnage sa propre parole et ses propres expériences - fait que l'on est sollicité, impliqué, apostrophé par tous ces individus qui se racontent, à nous directement ou au groupe dans ce besoin d'être écoutés, de se confronter à une certaine "normalité" en train de se construire, soit pour se faire accepter - ou arriver à s'accepter soi-même - soit pour essayer d'avancer dans cette construction de soi.
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Et l'on va ainsi passer dans une belle dynamique alterner des séquences variées, certaine plus visuelles, ou dansées, ou chantées, des moments choraux, de parole collective qui se construit, à des introspections plus intimes ou des confessions. Quelquefois aussi, le spectateur se retrouve impliqué, apostrophé, sollicité même, car l'empathie et la compréhension fonctionne mieux quand on est partie prenante. Demandez aux filles qui ont été l'objet de travaux pratiques de "dragues". Les angles d'attaque sont variés, l'humour n'est pas loin et les rires fusent facilement à l'écoute de certaines confidences, d'autres sont un peu plus délicates mais interrogent tout autant (l'addiction au porno) bien que cette révélation soit faite dans une séquence originale de distanciation que l'on ne nommerait pas "brechtienne".
TNS - La Tendresse - Julie Berès - Photo: Axelle de Russé |
Les sujets très actuels et sensibles (la drague, la première fois, les parents, les relations homme-femme, le consentement, la violence, l'échec,..) sont passés en revue, non pas comme dans un catalogue mais reliés à du vécu et de la relation, une expérience unique qui fait réfléchir. Quelques constantes émergent aussi, par exemple le manque de communication avec les parents, surtout le père qui lui semble avoir beaucoup souffert et raté sa vie. Le message qui semble se dessiner c'est que tous ces jeunes gens doivent pour s'en sortir accepter leur fragilité et assumer leur versant de douceur en freinant leur impétuosité. Une belle leçon de vie, joliment transmise et convaincante. Et nous suivons tout à fait la volonté de Julie Berès qui annonçait que "La Tendresse est un spectacle politique mais pas militant".
La Fleur du Dimanche'
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