dimanche 10 mai 2020

L'incertitude de notre temps, un autre temps, une seconde vie... "Mes Excuses"

Vous me manquez, je voudrais vous revoir, vous reparler, j'en ai assez de communiquer à travers cet écran. J'en ai assez de vous envoyer des tartines et de ne pas savoir si vous les digérez, et ce que vous en pensez. 
Vous aussi, j'imagine, vous en avez assez, et vous n'avez plus le temps d'aller au fond des choses, vous voulez que ça change...
Allez au fond des choses, se poser, on en avait le temps, qu'en avons-nous fait?

Je vous ai écrit souvent au début (le feuilleton quotidien "Court-19"), je vous ai écrit le 1er mai, je voulais recommencer, vous écrire le 3 mai, je voulais vous écrire le 8 mai, je voulais vous écrire le 10 mai, mais....


Fleurs du confinement - Murier - Photo: lfdd


Toutes mes excuses!

Alors bon. Je suis désolé.

Crois moi ou pas, j'ai réécrit cette lettre des dizaines de fois. Et je crois que j'ai travaillé plus de vingt heures pour rien. J'ai pourtant cherché, écrit des centaines de lignes. Et puis j'ai effacé tout ce que j'avais trouvé pour toi. Parce que ce n'était pas au niveau.

Alors hier soir, un ami m'a dit : mais tu n'es pas obligé d'écrire tous les dimanches, qui t'oblige à le faire ?

J'ai répondu un peu sèchement que j'étais un professionnel. Et que ce n'était pas parce que cette newsletter était gratuite que je pouvais m'en affranchir à chaque fois que je manquais d'inspiration. Bon, c'était un peu sec, mais ça m'a aussi permis de comprendre un truc : l'engagement t'enchaine, mais il t'oblige aussi à sortir le meilleur de toi-même.

Et, au fond, cette newsletter n'est pas gratuite, puisque tu concèdes à lui consacrer un peu de ton temps chaque dimanche. Tu me paies avec ton temps. Je ne peux pas le gâcher.

Toujours est-il qu'il est 23h50, nous sommes samedi soir, et je viens juste d'effacer tout ce que je t'avais préparé depuis deux jours. Et donc je suis un peu dans la merde, vois-tu.



Bon, c'est vrai, ce qui est écrit ci-dessus, ce n'est pas moi qui l'ai écrit.. Je ne vous tutoie pas, c'est un "ami", Benoit, qui élève et entraîne des robots à l'intelligence artificielle (I.A.) et qui, comme moi m'écrit le dimanche, et qui continue ainsi:

Je pourrais m'arrêter là. Mais tu vois, je n'abandonne pas. Quand je fais ce travail de chercher et d'écrire, et puis de supprimer parce que ce n'est pas à ta hauteur, j'ai le sentiment d'éplucher un oignon, tu vois. D'en retirer toutes les parties non digestes, jusqu'à en trouver le miel. Et tandis que le temps passe, tandis que la feuille reste vierge, je me dis qu'il y aura forcément quelque chose derrière ces épluchures. Mais s'il n'y avait rien au bout?

Est-ce que je pourrais me contenter de t'écrire : Bonjour, cette semaine je n'ai rien trouvé d'intéressant à te dire ! Tu peux consacrer ton temps libre à autre chose !

Et pourquoi pas ? Qu'en penses tu ?

Tu vas me dire : oui, bien sûr. Sauf que ce n'est pas si simple. Je t'explique.

D'abord, tu te poses peut-être cette question, comment est-ce que je choisis un sujet ? 



Fleurs du confinement - Murier - Photo: lfdd


C'est vrai, cela ne correspond pas tout à fait à mon billet dominical, Benoît, lui parle de "communication", ses sujets concatènent en décortiquant le process de "comment" les informations nous arrivent sur des sujets divers (Exemple, le chemin de la contagion du Covid-19 et la part de vraies et de fausses informations, Raoult le gourou et "l'hydrochloroquine", l'opposition entre "Prix de la vie et coût de la vie" - j'ai utilisé quelques résultats de ses recherches et de ses informations dans certains billets) mais dans le fond, à mon humble niveau, et toutes proportions gardées, les processus (hors robots, collaborateurs et temps passé) se ressemblent. 
Et la question posée au début: "Que dois-je vous offrir, ce dimanche, et le dois-je vraiment?" se pose.
Et oui, j'ai oublié un texte, mais j'en ai gagné un autre, et je vous en remet un bout (et en fin de billet le lien vers l'original si vous souhaitez creuser et même vous abonner, c'est possible).

Voilà le processus (pour Benoît):

Alors je commence généralement le mercredi. Je prends le temps, plusieurs heures, pour lire tout ce que Flint me ramène. J'utilise plusieurs approches algorithmiques pour ne pas m'enfermer : par exemple Thomas m'a créé un flux d'articles susceptibles, selon l'intelligence artificielle de Flint, d'intéresser les scientifiques. Je lis, je regarde, j'écoute. Jusqu'à trouver un signal, une forme de cohérence, une question qui commence à germer. Après je fais quelques essais, je creuse un sillon, je prends des notes. À la fin, en général le jeudi soir, je choisis le sujet qui est le plus prometteur.

Mais parfois mes recherches ne m'emmènent nulle part. Soit parce que je n'ai pas assez d'éléments pour appuyer mes réflexions, et c'est un échec, soit parce que ma question initiale n'était pas la bonne question.

Je consacre en général mon vendredi à écrire, ce qui me permet de consacrer le samedi à la relecture et aux corrections. Il m'arrive assez souvent de tout ré-écrire. Mais en général je suis prêt à tout envoyer le samedi soir, vers minuit une heure du matin.

Alors tu vois, ce soir, alors que je suis à deux doigts de capituler et de ne rien t'envoyer, parce que ton temps est précieux, et que je n'ai justement rien de précieux entre les mains, j'ai envie de casser la routine.

Nous sommes à la veille du déconfinement en France. J-1.


Fleurs du confinement - Arc de fleurs - Photo: lfdd


Eh, ben oui, nous sommes à la veille du déconfinement, mais je pense, et vous pensez peut-être aussi comme Benoît:

C'était censé être un retour à la vie normale, tu sais. Et je réalise que ça ne sera pas le cas.

Je ne sais pas où tu vis, mais moi je vis à Paris. Demain les bars resteront fermés, comme la plupart des lieux qui font la vie d'une grande ville. Mes rendez-vous de la semaine sont toujours programmés sur Zoom.

Je ne sais pas de quoi sera fait le "monde d'après", même si j'ai bien vu que c'était au coeur de beaucoup de discussions. Mais bon. Je suis autant utopiste que pragmatique.

J'ai compris une chose : il n'y aura pas de jour d'après. Il va y avoir des jours. Ils seront faits d'incertitudes. Et peut-être d'abandons. Faute de lumière.

Comme toi j'aimerais bien appuyer sur la touche "reset". Mais je ne la trouve pas sur le clavier qu'on m'a donné. Comme toi je me dis que si le monde, dans sa presque totalité, dans sa complexité insoluble, a pu s'arrêter durant 50 jours sans imploser, il devrait pouvoir faire plus. C'est quand même la première fois dans notre histoire que nous vivons ce moment. Je veux dire tous ensemble. Le monde s'est arrêté. Et il ne s'est pas effondré. 


Et pour finir ma citation de la lettre de Benoît, je vous mets son point sur les masques et un début de sa conclusion:

Pendant longtemps j'ai pensé que les Japonais portaient des masques parce qu'ils étaient obsédés par les germes et donc un peu bizarres. Et puis en me rendant à Tokyo l'an passé j'ai compris que les personnes qui portaient des masques étaient en fait des gens malades. Et que s'ils portaient un masque, ce n'était pas pour se protéger des autres, mais pour protéger les autres.

Parce que protéger les autres c'est se protéger soi-même.

De la même manière, protéger nos institutions, protéger nos médias, notre justice, notre recherche, mais aussi ceux qui nous nourrissent ou qui maintiennent le système en état de marche, c'est nous protéger nous-mêmes. La seule valeur qui survivra à cette mise à l'arrêt forcée, ce n'est pas la maitrise de la dette, c'est la confiance. Rétablir la confiance, malgré nos inévitables failles, devrait être notre unique priorité. Notre seul indicateur de succès. Peu importe la dette, peu importe le PIB. La santé d'une nation se mesurera demain à la lumière de son indicateur de confiance. Pourquoi ? Parce que sans condiance, pas de liens. Parce sans liens, pas de survie. Parce que sans survie, pas d'avenir.

Alors tu vois que la fraternité ce n'est pas qu'un truc de gauche. C'est l'énergie de demain.




Fleurs du confinement - Sureau - Photo: lfdd


La crise et la seconde vie


Pour continuer, je vous propose un extrait d'une tribune du philosophe François Julien qui, dans le Monde du 17 avril, nous parle de la "crise" et de la vie d'après, et de l'Europe.


"On peut proposer une autre approche de la «crise», notamment à partir d’une autre tradition de langue et de pensée, telle la chinoise. En chinois - c’est devenu aujourd’hui une banalité dans les milieux du management - «crise» se traduit par wei-ji: «danger-opportunité». La crise s’aborde comme un temps de danger à traverser en même temps qu’il peut s’y découvrir une opportunité favorable; et c’est à déceler cet aspect favorable, qui d’abord peut passer inaperçu, qu’il faut s’attacher, de sorte qu’il puisse prospérer. Aussi le danger en vient-il à se renverser dans son contraire. De tragique, le concept se dialectise et devient stratégique.

L’Europe est en retrait, et même au bord de la faillite. Mais, si elle sait traverser la décennie à venir sans tomber en morceaux, elle retrouvera une initiative dans l’histoire, quand ces empires seront usés – mais qui ne soit pas de l’impérialisme. Oui, l’Europe peut entrer dans une « seconde vie ». Le tragique tranchant de la crise nous contraint heureusement aujourd’hui à sortir de la passivité."

Que veut-il dire par seconde vie? 

"La « seconde vie » ? Non pas une nouvelle vie, en effet, dont on ne voit pas de quelle coupure – de quel miracle – elle procéderait, mais une seconde vie qui, découlant de la vie précédente, mais s’en décalant, en décoïncidant par l’épreuve traversée, peut effectivement s’en dégager. Elle gagne en lucidité: la lucidité n’est ni l’intelligence ni la connaissance, mais la capacité de tirer parti du négatif traversé. Elle permet de choisir plus effectivement sa vie: de désinvestir ce qui dans sa vie n’est plus porteur ou est tari; et, par suite, de mieux investir, en revanche, ce qui, passé au crible de la vie, apparaît non plus illusoire, mais ouvrant de la vraie vie. Voilà que, ayant déjà « vécu », je suis en mesure enfin de commencer de comparer et de choisir effectivement, donc d’engager concrètement ma liberté. A l’époque classique, on appelait cela «réformer sa vie». J’aime beaucoup la formule de Rousseau à cet égard: « Je persistai: pour la première fois de ma vie, j’eus du courage...» Car on peut aussi ne pas avoir ce courage, passer à côté de cette possibilité se dégageant discrètement, en cours de vie, continuer de vivre une vie qui s’étiole, rater la possibilité d’une seconde vie."


Une autre idée du "confinement"
Mais ne sommes-nous pas toujours dans un certain confinement? Ne sommes­ nous pas toujours bordés – bornés – par le monde environnant? A quoi répond, je crois, la capacité d’«existence». Car exister, c’est «se tenir hors», dit le latin. En même temps que je demeure dans le monde, limité par lui, confiné en lui, je peux me tenir hors de lui, déborder de sa clôture. Et d’abord se tenir hors de soi dans l’Autre. Le regard en face­ à ­face fait signe vers cette ouverture. En quoi exister est éthique. Il est ce qui fait l’humain, bien avant toute morale: le propre de l’humain, ce qui l’a promu en humain, est qu’il a pu décoïncider des conditions imparties et s’aventurer hors des limites de son confinement. Ce pourquoi «seul l’homme existe ».


Fleurs du confinement - Plumeau - Photo: lfdd


Le temps de l'incertitude


Andrew Ridker est un écrivain américain. Son premier roman Les Altruistes a été remarqué dans le monde entier, et il va intervenir aux Assises Internationales du Roman 2020 à Lyon organisées du 11 au 17 mai par la Villa Gillet, en partenariat avec Le Monde et France Culture. Le thème en est "Le temps de l'incertitude".
Il va intervenir lors d'une table ronde avec 5 autres écrivains le 17 mai lors d'une table ronde: Lettres de mon pays.
Voici un extrait de sa réflexion: 

Nous nous répétons qu’en Amérique n’importe qui peut « réussir », qu’il suffit de s’en donner la peine, tout en fermant les yeux sur l’extrême consolidation des privilèges et de l’inégalité des chances qui s’est opérée ces dernières décennies (à commencer par le durcissement des conditions d’entrée sur le territoire). Ces histoires ont-elles été vraies un jour, ne serait-ce que pour une certaine catégorie d’individus?
On peut en discuter, mais il est désormais clair pour la grande majorité des Américains ordinaires que leur pays a déçu les espoirs et les attentes qu’il avait fait naître en eux. Et s’il y a deux choses auxquelles sont enclins les Américains, ce sont l’espoir et l’attente.
En tant qu’écrivain, je m’intéresse aux histoires que les gens – et les pays – se racontent sur eux-mêmes, et à la manière dont ils réagissent quand elles ne se terminent pas comme ils l’escomptaient.
J’ai commencé à écrire mon roman Les Altruistes en 2015, moins d’un an après avoir terminé mes études. (...) Durant les mois qui ont suivi l’obtention de mon diplôme, il m’a semblé observer chez mes amis deux grandes tendances d’orientation: les uns partaient gagner des salaires faramineux dans la finance en tant que banquier ou consultant, quand les autres se mettaient au service d’associations caritatives comme Teach for America ou City Year (associations venant en aide aux élèves des écoles publiques situées dans des zones urbaines défavorisées) (...). Si mes amis financiers rougissaient de gagner autant d’argent à une époque d’inégalités historiques (...), mes amis de Teach for America se sentaient eux aussi coupables: ils étaient mal formés,  les écoles où ils enseignaient manquaient de moyens et, au fond d’eux, ils redoutaient que leur inexpérience ne les conduise à faire plus de mal que de bien. Argent et prestige d’un côté, bienfaisance de l’autre, à chaque camp son attrait et ses problèmes distincts: je tenais le point de départ de mon roman.



Fleurs du confinement - Coquelicot - Photo: lfdd

Comme vidéo du jour, plutôt qu'une chanson, je vais commencer par la vidéo de Vincent Lindon, son appel, vu presque 5 millions de fois et que m'a recommandé Benoît en me disant:


Tu as sans doute vu cette vidéo de Vincent Lindon. Elle a été visionnée 4 millions de fois. Elle t'a peut-être touché, ou alors énervé. Tu as peut-être été d'accord avec son constat, qui ne le serait pas ? Mais alors moins convaincu par les solutions qu'il propose ?

Ce que je retiens de son message, au final assez humble, c'est son obsession à rétablir la confiance envers nos dirigeants politiques. Avant toute chose. Avant même la santé. Avant même le climat. Et si c'était la clé ? Tu en penses quoi ?

Et vous? Faites-vous en votre propre opinion, en tout cas, il prend un peu de recul et pose le doigt là où cela fait mal...
A vous d'en tirer les conclusions et les conséquences...






Allez, je vous mets quand même un peu de musique... 
Un hommage à Kraftwerk dont le membre fondateur en 1970 avec Ralf Hütte, Florian Schneider-Esleben est décédé la semaine dernière.
Trois de leurs morceaux, Autobahn du disque éponyme de 1974, Kling-Klang de leur deuxième disque Kraftwerk 2 (1972), Tanzmusik de leur troisième disque "Ralf & Florian" (1973), avec une version TV, leur premier passage à la télévision allemande (rétro garanti!)















Et pour finir, un peu d'adrénaline... Nous parlions d'information, le média en ligne Rue89 Strasbourg est au plus près de l'information, de l'actualité et réalise des enquêtes originales et poussées, quelquefois des scoops intéressants ou qui dérangent. Cette fois ci, un angle d'approche très original sur un métier impacté par la crise du coronavirus, celui d'un habitant de Cronenbourg, sous le titre "Alain Lobet: trente années qu’il plonge du huitième étage", je vous laisse lire l'article qui commence ainsi:
"Il a parcouru le monde, de parcs d’attractions en falaises, se produisant dans des paysages de rêve et sous les yeux de centaines de spectateurs. À bientôt 52 ans, Alain Lobet, le titi de Cronenbourg, a déjà derrière lui trois décennies de plongeon de haut vol. Comme chaque année, il passe la morte saison à Strasbourg."

Et qui finit ainsi  /!\ Attention Danger /!\:






Bon Dimanche

La Fleur du Dimanche

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