La pièce avait été créée le 25 août 2017 dans le cadre de la Ruhtriennale en Allemagne, mais comme le précise Philippe Manoury, en inventant le terme de Thinkspiel, il montre bien par là le cheminement de la pensée qui fait de cette oeuvre une pièce en mouvement, un puzzle qui se réinvente au fil des répétitions pour trouver sa forme arrêtée le soir de la première. Et cette forme de collage convient bien au propos de l'oeuvre. Puisque, pour l'histoire, elle joue sur le représentation de la représentation et de nos représentations d'une représentation.
En trois parties (décidément les triptyques sont en vogue), "kein licht" va balayer le XXIème siècle de la catastrophe nucléaire d'une manière très engagée.
Démarrant par le cataclysme de Fukushima en 2011, avec des images de mer post-apocalyptiques projetées en fond de scène, la pièce (et les deux protagonistes principaux, non nommés) interroge ce qui peut advenir quand il n'y a plus rien: plus de lumière, plus de son (on ne s'entend plus parler, plus de corps, plus de musique, plus d'avenir, plus de larmes, plus de jugement.
Musica 2017 - ONR - Kein Licht - Philippe Manoury |
Pour la deuxième partie, un an après sur le terrain de la catastrophe, dans une terre polluée, laissée aux chiens, tous vont mourir, même les chiens. 170.000 personnes doivent être évacuées et l'on se refuse de voir la réalité, les responsables nient leur responsabilité, la responsabilité a aussi disparu. Les solutions sont extrêmes, les pays s'engagent dans des choix aberrants pour s'en dédouaner, sans concertation. Tout est non-dit. Et même le compositeur laisse la main à la machine, l'ordinateur pour créer la musique comme une réaction en chaîne. Et chacun doit prendre conscience de sa propre responsabilité dans cette énorme chaîne de l'énergie que nous nous sommes construite et à laquelle nous sommes liés.
Musica 2017 - ONR - Kein Licht - Philippe Manoury |
Tout cela aboutit à la troisième partie "Hello Darkness, my old friend" (Oratorio jacassant) où, se référant à "L'unique et sa propriété", on nous décrit en 2017, un roi tout puissant qui ne comprend rien mais fait ce qu'il veut et touche à tout, qui "est Dieu" et fait croire en sa bonté et en sa parole. Le monde va vers sa fin, sur l'écran, en images de synthèse, on construit, on a des miss, et des champs de pétrole et la guerre et les attentats, et des robots et des marionnettes ("Ah Tom !), et les deux personnages A et B) partent dans une fusée sur mars avant que la terre entière n'explose et que sur scène, la musique cesse après le départ des musiciens, sur le plateau, un dernier passage du chien avant le noir...
Plus de lumière... et le son du silence ...
Mais le kaléidoscope musical de Philippe Manoury, à partir de ces textes d'Elfriede Jelinek (Auteure autrichienne, Prix Nobel de Littérature 2014) qui collent à l'actualité, nous A transportés dans un tourbillon d'où nous sortons abasourdis, sonnés. On en vient à se demander où est la vérité, où est la parole.. De même, les mélanges et les variations de genres musicaux, de la voix parlée, criée aux airs chantés avec une réelle virtuosité et aux pièces d'orchestre de chambre qui quelquefois se mélangent avec de la musique électronique en temps réels nous permettent de vivre intensément cette situation post-apocalyptique avec nos tripes. La scénographie et les variations d'ambiance, entre agitation et moments de silence et d'osbcurité, sur le plateau et également avec les incursions des comédiens chanteurs dans la salle nous impliquent totalement dans le déroulement du spectacle. Il faut rajouter l'inventivité - et l'humour - des costumes et des accessoires, surtout la mécanique aquatique sur le plateau, pour conclure que "kein licht" est un spectacle total.
La Fleur du Dimanche
kein licht
Thinkspiel pour acteurs, chanteurs, musiciens et musique électronique en temps réel
création française
Musique, Philippe Manoury
Texte d'après Elfriede Jelinek
Mise en scène Nicolas Stemann
Scénographie Katrin Nottrodt
Vidéo Claudia Lehmann
Costumes Marysol del Castillo
Lumières Rainer Casper
Réalisation informatique musicale Ircam Thomas Goepfer
Assistante à la mise en scène, traduction Ruth Orthmann
Assistant scénographie Émilie Cognard
Chef de chant Christophe Manien
United Instruments of Lucilin
Direction musicale Julien Leroy
Soprano Sarah Maria Sun
Mezzo-soprano Olivia Vermeulen
Contralto Christina Daletska
Baryton Lionel Peintre
Comédiens Caroline Peters Niels Bormann
Quatuor vocal Chœur du Théâtre National Croate de Zagreb
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