mardi 13 mai 2025

Giuditta de Lehár à l'Opéra du Rhin: L'Amour, cette inaccessible étoile

 A l'Opéra du Rhin, c'est une première: la présentation de la version française de Giuditta de Franz Lehár, cette comédie en musique qui, présentée à l'Opéra de Vienne le 20 janvier 1934 a été un énorme succès. Dirigée par Franz Lehár lui-même avec son chanteur fétiche, le ténor star Clementz Krauss et Jamila Novotnà dans le rôle titre, la pièce a été jouée 44 fois à sa création et - c'était une nouveauté à l'époque - retransmise par radio dans cent-vingt pays. Le texte allemand écrit par deux librettistes qui avaient déjà travaillé avec Lehár, Fritz Löhner-Beda et Paul Knepler - est parti du sujet du film de Joseph von Sternberg, Morroco (Coeurs brûlés) tourné au Etats-Unis avec Marlène Dietrich que von Sternberg avait rendu célèbre grâce à l'Ange Bleu (1930) et qui raconte une histoire d'amour entre un beau légionnaire interprété par Gary Cooper et une chanteuse de cabaret. La version française du livret a été traduite par André Mauprey qui avait traduit l'Opéra de Quat'sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill mais aussi l'opérette de Franz Lehár Le Pays du sourire.


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck

 

Giuditta n'est à proprement parler pas un opérette mais une "comédie en musique" - et non une comédie musicale telle que l'on pourrait l'entendre de ce genre paru aux Etats-Unis au début du XXème siècle. Elle se rapproche donc plutôt de l'opéra, alternant des parties musicales - c'est quand même un grand orchestre, l'Orchestre National de Mulhouse, dirigé par Thomas Rösner - très à l'aise avec ce format - qui interprète la partition qui, quelquefois lorgne du côté de Wagner - ou des opéras de Puccini (Lehár et Puccini étaient amis), avec des parties de mélodrame (texte soutenu par la musique), et des parties théâtrales- certains personnages n'ont que des rôles théâtraux, en particulier dans les derniers actes. 


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck


Giuditta en contient cinq, dans des décors différents et dure bien plus longtemps qu'une opérette légère. De plus le sujet est grave et la fin, comme pour certaine autres pièces de Lehár, n'est pas un "happy end" mais est plutôt amère, même si ce n'est pas forcément triste. D'ailleurs le dernier air d'Octavio de par sa brièveté et son message serait plutôt drôle:

La plus aimée !
C'est une chanson brève
Ce soir , elle s'achève ...
C'était un rêve....


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck


Mais commençons par le début où après une belle introduction orchestrale, et des joueurs de mandoline et une danseuse qui nous font respirer le parfum des villes du sud, nous arrivons dans une agitation de fête et de cirque avec attractions et acrobates qui nous fait basculer dans un monde de joie et de gaîté et où nous découvrons les personnages d'Anita et de Séraphin, des amoureux qui veulent chercher leur bonheur de l'autre côté de la mer. 


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck


Ce duo à l'image de Papageno et Papagena de la Flûte enchantée, apportent le contrepoint de Giuditta et de ses amoureux, dont le premier, Manuel, éleveur d'oiseau, qui l'a mariée - et la tient en cage d'une certaine manière, de même qu'il veut lui offrir un collier pour l'attacher encore mieux - à noter les différents "ballets" (et destinées) de colliers tout au long de la pièce. Mais Giuditta, qui ne tient pas à se laisser enfermer va profiter de la rencontre avec un légionnaire qui l'invite à le suivre de l'autre côté de la mer, pour prendre le large. A la grand surprise - et déception - de Manuel qui pense - et chante que "Vivre me grise et me rend joyeux". Qu'à cela ne tienne, nous nous le sommes à cet air enchanteur, mais prévenus quand même.


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck


Pour la suite des tableaux, nous allons, après avoir été emmenés en bateau - une énorme peinture de paquebot sur la largeur de la scène, qui deviendra plus tard une très belle maquette nous mettant en face de la magie en train de se faire quand les "manoeuvres" qui le tirent disparaissent derrière une frise qui les cache - partir de l'autre côté de la mer pour suivre Giuditta et Octavio dans leur nid d'amour. Et cela  avant que leur relation ne se brise quand ce dernier a failli devenir  "déserteur" par amour. Puis nous nous retrouvons dans le cabaret l'Alcazar où Giuditta, devenue célèbre, se fait à nouveau, via un collier, attacher par un Lord (Barrymore) tandis qu'Octavio perd tout espoir. Et pour finir dans un hôtel de luxe où lors d'une ultime rencontre, Giuditta retrouve par hasard Octavio devenu pianiste et qu'elle lui demande de revenir. Mais pour lui, son "coeur ne saura plus aimer". 


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck


La soprano Melody Louledjian dans le rôle titre assure avec aisance la partition et sa voix brille particulièrement dans les aigus. Elle arrive à se détacher de l'orchestre quand c'est nécessaire et il faut lui reconnaître une très belle facilité dans les parties dansées. Parce que dans cette mise en scène de Pierre-André Weitz, il y a de nombreuses parties dansées, chorégraphiées par Yvo Bauchiero, non seulement pour la partie cabaret, mais déjà dans le premier acte pour la partie cirque, ou pour la scène de Neptune. 


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck


Il y a également de beaux duos, dont le duo Charlotte Dambach et Yvanka Moizan (qui faisaient les siamoises du cirque) et un magnifique duo entre une danseuse et un danseur, et la magnifique silhouette ombre dansée dans la Lune où Melody Louledjian a des très gracieux mouvements des mains. Le couple Anita et Séraphin (Sandrine Buendia et Sahy Ratia) bouge très bien aussi et la voix de Sandrine Ratia est aussi de fort belle tenue, surtout dans les aigus. Thomas Bettinger pour Octavio a une très belle et posée voix de ténor et le reste de la distribution est excellente. Le baryton Nicolas Rivenq qui chante Manuel interprète également uniquement en voix parlée Lord Barrymore et "Son Altesse" et Christophe Gay se coule dans le peau de plusieurs personnages, dont le travesti Ibrahim. A noter aussi Sisi Duparc, à la fois femme Mappemonde et chasseur à l'Alcazar. 


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck


Effectivement Giuditta est un personnage à au caractère complexe, mystérieux, dont on ignore le passé mais qui traverse des statuts très variés, de femme mariée, éprise de liberté, amoureuse passionnée mais aussi versatile, allant jusqu'à se retrouver femme légère - et c'est un euphémisme - dans un cabaret, mais aussi maitresse femme avec une très grande aura et un fort pouvoir de séduction. 


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck


Mais à la fin aussi, nostalgique d'un ancien amour, hélas, sans retour. Et tous ces rebondissement nous valent autant de très beaux moments chantés, des variations autant de musique viennoise qu'exotique, d'airs qui, quelquefois répétés et transformés deviennent de vrais tubes et nous emmènent dans un voyage autant dans la passion amoureuse ou sensuelle que dans un exotisme touristique et musical de grande qualité. 


Giuditta- Franz Lehár - Pierre-André Weitz - Photo: Klara Beck


Loin de la musique légère à laquelle nous sous serions attendue. Tout cela proposé par Pierre-André Weitz à la fois metteur en scène, concepteur des décors et des costumes et dont nous avions déjà pu apprécier la "touche" quand il travaillait avec Olivier Py sur quelques pièces, d'ailleurs avec une bonne partie de l'équipe de cette production qui est également une belle surprise. 


La Fleur du Dimanche


Giuditta


A l'Opéra du Rhin - Strasbourg - du 11 au 20 mai 2025

A la Filature - Mulhouse - le 1er et 3 juin 2025

Direction musicale
Thomas Rösner
Mise en scène, décors, costumes
Pierre-André Weitz
Chorégraphie
Ivo Bauchiero
Lumières
Bertrand Killy
Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin
Hendrik Haas
Les Artistes
Giuditta
Melody Louledjian
Anita
Sandrine Buendia
Octavio
Thomas Bettinger
Manuel, Sir Barrymore, son Altesse
Nicolas Rivenq
Séraphin
Sahy Ratia
Marcelin, l’Attaché, Ibrahim, un chanteur de rue
Christophe Gay
Jean Cévenol
Jacques Verzier
L’Hôtelier, le Maître d’hôtel
Rodolphe Briand
Lollita, le Chasseur de l’Alcazar
Sissi Duparc
Le Garçon de restaurant, un chanteur de rue, un sous-officier, un pêcheur
Pierre Lebon
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre national de Mulhouse

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