mercredi 13 octobre 2021

Condor de Fédéric Vossier au TNS: Retrouvailles après les morts

 C'est l'histoire de la rencontre entre un homme et une femme... qui n'était pas annoncée. C'est l'histoire d'un frère et d'une soeur... qui ne se reconnaissent plus. C'est l'histoire d'une victime et d'un bourreau...  qui ne se sont pas rencontrés.

TNS - Condor - Frédéric Vossier - Anne Théron - Mireille Herbstmeyer - Frédéric Leidgens -  Photo: Jean-Louis Fernandez


C'est l'histoire d'une descente aux enfers des souvenirs. C'est l'histoire de la recherche de la famille. C'est l'histoire de l'essai d'une réconciliation... impossible. C'est l'histoire d'une catharsis pour se débarrasser des fantômes du passé. C'est l'histoire d'une lente remontée des événements vécus, cachés, oubliés, tus, inscrits dans la chair. C'est l'histoire de deux corps qui s'affrontent, qui se cherchent, qui se battent. C'est un conte, non de fées mais de malheurs vécus, une histoire inscrite dans la chair meurtrie mais tue, cachée, oblitérée, enterrée.

TNS - Condor - Frédéric Vossier - Anne Théron - Mireille Herbstmeyer - Frédéric Leidgens -  Photo: Jean-Louis Fernandez

Cette histoire, qui émerge de la Grande Histoire, de ce qui n'a été révélé que vingt ans après sous le triste nom de "Opération Condor", grâce aux "archives de la terreur" et qui s'est passé en Amérique du Sud en 1972. Cette opération coordonnée entre les services secrets des pays sous dictature à l'époque (Chili, Argentine, Brésil, Bolivie, Uruguay et Paraguay) et qui a vu, dans le plus grand secret la neutralisation des opposants à ces régimes: plus de 80.000 personnes assassinées et 400.000 autres emprisonnées. Et dont aujourd'hui, dans le balbutiement de l'Histoire, le retour semble à nouveau possible.

TNS - Condor - Frédéric Vossier - Anne Théron - Mireille Herbstmeyer - Frédéric Leidgens -  Photo: Jean-Louis Fernandez


Mais le texte de Frédéric Vossier, qui s'appuie sur cette Histoire va plus loin et plus fort dans cette prise de conscience en en faisant un épisode "vécu", vu à travers ces deux personnages emblématiques:  cette soeur, Anna (merveilleuse Mireille Herbstmeyer toute en intériorité), qui a souffert de ces exactions, et ce frère, Paul (élégant et énergique ancien bourreau tout en rebonds). La mise en scène d'Anne Théron nous offre ainsi un formidable tête à tête de deux êtres qui se cherchent, s'opposent, essaient de se retrouver. Le regard chorégraphique de Thierry Thieû Niang sur leur danse de séduction nous offre des surprises de dynamique qui soutient le texte ou qui souligne la mémoire du corps du bourreau dans ses attitudes d'aguet, de surveillance, en alerte, prêt à bondir ou de minuscules sursauts. Et aussi de celui de la soeur dans son désespoir qui l'agite ou de la souffrance qui la paralyse. Il y a aussi ces scènes qui rejouent la soumission de la victime humiliée, à quatre pattes, mimant des animaux. Ou encore ces rêves-cauchemars où la soeur revit la violence - et les armes - et essaie de s'en libérer ou de se venger.

TNS - Condor - Frédéric Vossier - Anne Théron - Mireille Herbstmeyer - Frédéric Leidgens -  Photo: Jean-Louis Fernandez


La force de ce texte est de nous emmener très lentement d'une terre inconnue, avec ces personnages que l'on découvre au fur et à mesure qu'eux aussi se découvrent dans leur rencontre, leurs histoires intimes et l'émergence de leurs souvenirs lointains, à travers ce parcours que chacun fait de son côté, non pas d'évolution, mais de découverte de soi, de son passé et des souvenirs enfouis qui se révèlent et se construisent pour arriver à l'image symbolique qui donne le titre à la pièce, ces oiseaux de proie à la tête nue, à la peau couleur rouge sang et qui se repaissent des corps abandonnés aux vagues de la mer. 

Le décor, cet antre souterrain, plongé dans une pénombre propice au surgissement d'images et de souvenirs, d'abord pièce meublée sommairement, puis avec un lit en fer semblable à celui d'une cellule de prison, dont la fenêtre est trop haute et qui ne donne que sur un arbre prisonnier ou un écran où sont projetés les peurs et les fantasmes, et ce parc, seul élément de la ville qui semble hors d'atteinte participe au sentiment de claustration qu'accentue l'éclairage rare (lumières de Benoit Théron) qui n'augmente que pour éblouir et aveugler.

Grâce à tout cela, Condor nous fait réellement vivre cette "expérience traumatique" au plus près dans notre chair et nos sensations. Une sacrée expérience...


La Fleur du Dimanche


Condor

Strasbourg du 13 au 23 octobre

Texte Frédéric Vossier
Mise en scène Anne Théron
Avec Mireille Herbstmeyer, Frédéric Leidgens
Scénographie et costumes Barbara Kraft
Lumière Benoît Théron
Son Sophie Berger
Chorégraphie Thierry Thieû-Niang
Assistanat à la mise en scène Claire Schmitt
Vidéo et régie générale Mickaël Varaniac-Quard
Régie plateau Marion Koechlin
Régie son Quentin Bonnard
Anne Théron est metteure en scène associée au Théâtre National de Strasbourg.
Le décor est réalisé par les ateliers du Théâtre du Nord – Lille.
Les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS.
Le texte est publié aux Solitaires Intempestifs.
Production Théâtre National de Strasbourg, Cie Les Productions Merlin
Coproduction Festival d'Avignon, MC93 − Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Théâtre Olympia − Centre dramatique national de Tours, Le Quai − CDN Angers Pays de Loire, Châteauvallon Scène nationale


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