mercredi 11 décembre 2019

Un ennemi du peuple au TNS : "Je vous ai … surpris"

La pièce d’Ibsen, Un ennemi du peuple, jouée actuellement au TNS ne va pas manquer de vous surprendre, et même vous rendre spectateur "actif". Pas faussement actif, mais à la fois physiquement et intellectuellement. 
Parce que le sujet s’y prête: une réflexion à la fois politique et individuelle, à travers le destin du Docteur Toma Stockman, interprété avec un brio que l’on reconnait bien là à Nicolas Bouchaud, compagnon de longue date (une vingtaine d’années) de Jean-Marie Sivadier et qui signe ici une nouvelle collaboration artistique avec lui - en compagnie de Véronique Timsit.


Un ennemi du peuple - Henrik Ibsen - Jean-François Sivadier - Photo: Jean-Louis Fernandez


L’origine et le moteur du drame d'Un ennemi du peuple c’est la découverte – prouvée par les analyses d’un laboratoire scientifique – d’une dangereuse pollution des eaux d’un établissement de bains d’une petite ville de province dont le Docteur Toma Stockman a la charge, mais l'histoire ne va pas se circonscrire à ce détail. Par cercles concentriques, elle va toucher la famille – femme et fille, et le frère qui se trouve être en opposition, et également le beau-père, et surtout, via la presse "libre et indépendante" incarnée par Hovstad (éblouissant Sharif Andoura), dont nous allons être témoin des multiples retournements, et également la cité, représentée par Aslasken, l’émissaire de la petite bourgeoisie "silencieuse" de la ville.


Un ennemi du peuple - Henrik Ibsen - Jean-François Sivadier - Photo: Jean-Louis Fernandez


Toute l'histoire va aller de rebondissement en rebondissement, dans un rythme effréné, changeant de style, mêlant la réflexion politique au drame psychologique "réaliste", basculant également dans l’onirisme, avec un jeu décalé. A ce propos, il faut mentionner le jeu de Jeanne Lepers qui, dans un décalage subtil interprète le personnage de la fille Stockman, Petra, entre la danse et la marionnette avec truculence. Et l’ensemble des acteurs, chacun dans sa spécificité, construit une mosaïque de caractères naviguant entre le réalisme et le burlesque, entre l’intime et l’apostrophe au public, entre le rire et la réflexion morale.
Comme le dit Jean-François Sivadier: "Dans chaque scène, on entend travailler, en filigrane, la question de l’antagonisme entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif. Entre les intérêts de l’homme et ceux du citoyen, qui ne sont pas nécessairement les mêmes. Entre le "je" et le "nous"...  La force de la pièce est d’évoquer tous ces thèmes, de les laisser en suspens, pour obliger le spectateur à se regarder lui-même."  Et il a raison de rajouter: "Il n’y a pas de débat, on n’est pas chez Brecht."  
Cependant le spectateur n’est pas mis hors-jeu. Et c’est à lui de se poser les questions sur les limites de l’engagement, comme le rappelle Jean-François Sivadier: "Après ça, est-ce qu’il est si surprenant de voir quelqu’un prêt à défendre la vérité, mais seulement jusqu’à la limite de ses propres intérêts? À être du côté du lanceur d’alerte, mais seulement jusqu’à un certain point?"



Un ennemi du peuple - Henrik Ibsen - Jean-François Sivadier - Photo: Jean-Louis Fernandez


Cette pièce d'Ipsen, particulièrement, nous permet de nous interroger sur ces questions politiques et morales tout en nous surprenant autant que les personnages ballotés par les péripéties et rebondissements de l'histoire. Nous assistons à ce destin inéluctable tout en étant témoin des manoeuvres politiques et individuelles des autres protagonistes. 
Le décor symbolise bien la trajectoire de la pensée de Stockman, en passant d’un intérieur bourgeois à un genre ruine obscure. Et je vous laisse la surprise du quatrième avec la réunion politique qui éclate ce décor et brise le mur du "rapport spectateur" dans une harangue mémorable interrogeant la "pensée du peuple" et la question de la violence (avec un coup d’oeil du côté de Gunther Anders).

Toute la classe de Jean-François Sivadier et de son équipe est d'avoir pu rendre actuelle et dynamique une réflexion qui date un peu - quelques paroles très peu féministes soulevant d'ailleurs des rires dans la salle - mais la réflexion est ouverte, et même si les spectateurs sont des veaux, ils ont compris qu'il faut quelquefois se lever pour défendre son avenir, et pas seulement son portefeuille. En tout cas ils en ont eu pour leur argent!


La Fleur Du dimanche

Un ennemi du peuple

TNS STASBOURG 
du 11 au 20 décembre
Texte Henrik Ibsen
Traduction du norvégien Éloi Recoing
Mise en scène Jean-François Sivadier
Collaboration artistique Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit
Avec Sharif Andoura, Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Cyprien Colombo, Vincent Guédon, Éric Guérin, Jeanne Lepers, Nadia Vonderheyden et Valérie de Champchesnel, Julien Le Moal, Christian Tirole
Scénographie Christian Tirole, Jean-François Sivadier
Lumière Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudouin
Costumes Virginie Gervaise
Son Ève-Anne Joalland
Accessoires Julien Le Moal
Coiffures et maquillages Noï Karuna
Assistant à la mise en scène Véronique Timsit, Rachid Zanouda

Tournée

Lille
Du 8 au 12 octobre 2019 au Théâtre du Nord
Châtenay-Malabry
Du 16 au 20 octobre 2019 au Théâtre Firmin Gémier / La Piscine
Lyon
Du 5 au 10 novembre 2019 aux Célestins − Théâtre de Lyon
Dunkerque
Les 14 et 15 novembre 2019 au Bateau Feu − Scène nationale
Caen
Du 19 au 21 novembre 2019 au Théâtre de Caen
Clermont-Ferrand
Du 26 au 28 novembre 2019 à La Comédie
Perpignan
Les 4 et 5 décembre 2019 au Théâtre de l’Archipel − Scène nationale
Angers
Du 7 au 9 janvier 2020 au Quai − Centre dramatique national
Luxembourg
Les 15 et 16 janvier 2020 au Grand Théâtre de la ville de Luxembourg
Marseille
Du 22 au 25 janvier 2020 à La Criée − Théâtre national de Marseille
Saint-Quentin-en-Yvelines
Du 30 janvier au 1er février 2020 à la Scène nationale

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