vendredi 13 avril 2018

Déplacement de Mithkal Alzghair: de la Terre à la terre

Dans le cadre du Festival Extradanse qui court du 5 au 19 avril, Pôle Sud présente avec le Maillon le spectacle Déplacement de Mithkal Alzghair, danseur et chorégraphe né en Syrie qui interroge sa culture et son identité dans le contexte de l'exil.


Déplacement  - Mithkal Alzghair - Photo: Laura Giesdorf

En deux parties, le spectacle commence par un solo, ou plutôt un plateau nu (presque nu puisqu'une  paire de rangers noires est rangées du côté gauche - à Jardin dans le langage théâtral). Un chant de muezzin arrivant des coulisses est suivi de l'arrivée de Mithkal Alzghair qui porte un drap de soie blanc plié qu'il pose à l'opposé des godillots.
La scène et la salle sont éclairées uniformément, le spectateur est impliqué dans l'action. Il est d'ailleurs tout au long de cette partie sollicité par le regard noir et perçant du danseur. Celui-ci immobile va laisser monter le rythme, doucement debout sans bouger puis se mouvoir - ou essayer de se mouvoir, enraciné, et de battre ce rythme en marchant sur place, d'abord sans les bottes puis chaussé de ces rangers qui vont frapper la terre.
Tout au long, un balancement, une alternance entre le mouvement, la danse et l'entrave se superposent, il bouge ou essaie de bouger, danse ou se retrouve immobilisé, bloqué, prisonnier d'on ne sait quoi. A un moment, le danseur enlève sa chemise qu'il pose au sol, la foule, l'écrase dans une violence symbolique. Il va également se retrouver en balance entre des saluts amicaux les bras levés et des gestes désespérés de prisonnier dans une fragile incertitude. Jusqu'à se retrouver écartelé entre la joie et le bonheur des bras largement ouverts et le brutal et définitif geste du crucifié. Et tout cela sans lâcher les spectateurs du regard, prisonniers eux de leur statut et tanguants dans l'incertitude de leur devenir et de celui du danseur qui s'éclipse après avoir chuté à plusieurs reprises.


Déplacement  - Mithkal Alzghair - Photo: Dajana Lothert


Pour la deuxième partie, un trio composé également de Mithkal Alzghair que rejoignent Rami Farah et Shamil Taskin, tous trois chaussés de basquets vont nous emmener sur un rythme et une atmosphère un peu plus "légère" mais pas moins incertaine et ambivalente. Débutant par des rythmes de danses folkloriques frappés du pied et claqués des mains, ils vont pareillement nous promener entre la remémoration de traditions dansées anciennes, le défilé de prisonniers et des scènes ressemblant à des extraits de films comiques. La valse-hésitation serait le mot directeur de ce récit qui nous joue, grâce au drap de soie blanche déployé par les danseurs, le film du corps et de son double qui se cherche et se perd, pour aboutir à des tableaux de danse qui se terminent par des instantanés éphémères de portraits avec mort ou de gisant et qui font ressurgir les tableaux de Goya, Delacroix ou Otto Dix.
Et pour finir, ils errent, exténués, cherchant leur place et devenant leur propre ombre par un effet d'éclairage qui bascule. Dans cette deuxième partie, justement, l'éclairage s'est porté sur le plateau pour cerner au plus près les danseurs et faire plonger notre regard dans le trajet de ce groupe et nous impliquer dans son vécu.

Déplacement  - Mithkal Alzghair- Photo: Dajana Lothert


Le spectacle arrive à nous faire toucher au plus près la perte et l'errance, les tentatives de mémoire et d'enracinement malheureusement vouées au néant dans cette histoire tragique vécue par toute une communauté. Et nous le vivons à fleur de peau, sans artifice, sur ce plateau nu et presque sans musique, qui nous happe et nous immerge dans le mouvement des danseurs tout en oscillation et en infimes et délicates variations.


La Fleur du Dimanche

Déplacement de Mithkal Alzghair
A Pôle Sud - CNDC - Strasbourg le 12, 13 et 14 avril 2018 à 21h00


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