Au TNS il y a la "saison" théâtrale, et, depuis l'arrivée de Stanislas Nordey, il y a "L'autre saison", une "saison parallèle dont le principe est la gratuité et l’éclectisme".
Une saison de découvertes et de rencontres, une saison d'ouverture et de mélange. Ouverte aux abonnés, aux spectateurs habituels, mais aussi ouverte au monde parce que délaissant quelquefois les murs du théâtre et surtout délaissant la forme classique de la "représentation".
A l'occasion de la programmation de la pièce "Les Liaisons Dangereuses" mise en scène par Christine Letailleur, avec Dominique Blanc à la distribution, le duo nous offre une "lecture" du roman "autobiographique" d'Annie Ernaux "Les années".
Seule sur scène, assise à la table avec une bougie et ses feuilles qui vont balayer en voyage express une vie, celle d'Annie Ernaux qui se raconte, raconte sa mémoire, sa famille, ses souvenirs et les reflets du monde des années 40 jusque vers la fin de la première décennie du vingt-et-unième siècle.
Pendant presque une heure et demie, nous assistons dans notre tête - et essayons de nous remémorer en écho - à la transformation d'un monde, d'une société, autant au niveau politique, que social et économique, en même temps que nous assistons à l'évolution d'une personne, une femme, de ses premiers souvenirs de cinq ans à son regard de femme de la soixantaine jetant un regard distancié et rétrospectif sur toute une vie et un monde qui a changé et qui écrit pour:
"Sauvez quelque chose du temps où on ne sera plus jamais.".
Le texte, bien qu'il ne soit jamais à la première personne, parle de moi, de nous ,de notre vie de nos souvenirs ou des souvenirs de nos parents. Annie Ernaux longtemps a voulu écrire ce texte, on y trouve des traces au fil du temps. Elle s'y est lancé un jour, une fois à la retraite, quand après la soixantaine, elle se retrouve face à ses enfants et petits enfants et à ce "jeune homme qu'elle rejoint les autres week-ends (qui) l'ennuie souvent, l'agace à regarder Téléfoot le dimanche matin, mais renoncer à lui serait cesser de communiquer à quelqu'un les actes et les incidents insignifiants de chaque jour, de verbaliser le quotidien."
Effectivement, nous assistons au déroulement de l'Histoire avec un grand H par le biais de ces petits riens de la vie quotidienne, de la vie familiale et de ses rituels et des transformations de la technique, de l'évolution de la sexualité et de la religion, et surtout du passage du temps et des marqueurs des époques.
Cela démarre par: "Les jours de fête après la guerre, dans la lenteur interminable des repas, sortait du néant et prenait forme le temps déjà commencé, celui que semblaient quelquefois fixer les parents quand ils oubliaient de nous répondre, les yeux dans le vague, le temps où l'on n'était pas, où l'on ne sera jamais, le temps d'avant."
Ce texte, énorme gageure de parler à la fois de soi, du monde, de politique et de sociologie, d’ethnologie, dans des mots simples et un style épuré, sans gras est une énorme réussite, mais le challenge n'était pas évident à réussir, car, comme le dit Annie Ernaux:
"Elle voulait réunir de multiples images d'elle, séparées, désaccordées, par le fil d'un récit, celui de son existence, depuis sa naissance pendant la Seconde Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui. une existence singulière donc mais fondue aussi dans le mouvement d'une génération. Au moment d commencer, elle achoppe toujours sur les mêmes problèmes: comment représenter à la fois le passage du temps historique, le changement des choses, des idées, les moeurs et l'intime de cette femme, faire coïncider la fresque de quarante-cinq années et la recherche d'un moi hors de l'Histoire, celui des moments suspendus dont elle faisait dont elle faisait des poèmes à vingt ans, Solitude, etc."
Annie Ernaux a réussi à le faire dans son magnifique livre qui balaie un pan de vie et d'Histoire et Dominique Blanc a réussi à captiver un auditoire en emmenant dans un voyage voyage dans le temps un public nombreux, attentif et heureux de cette traversée...
Si vous voulez en revivre l'esprit, je vous propose une émission de France Inter du 13 mars de l'année dernière où Dominique Blanc parle de la lecture qu'elle faisait à l'époque à l'Atelier à Paris.
Bonne écoute:
http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1066079#
La Fleur du Dimanche
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