mercredi 2 décembre 2015

King Size: Un opéra (de sac) de voyage de Marthaler avec un grand lit en porte-feuilles de notes

Dans la pièce  de Christoph Marthaler "King Size", la vieille dame dit à un moment face à son pupitre portable sur lequel elle s'est échinée auparavant: "Ein Notenständer der noch keine Noten gesehen hat" - Un pupitre qui n'a pas encore vu une note de musique.



Cette phrase donne le ton de la pièce, jouée actuellement au TNS à Strasbourg.

C'est une pièce sans paroles, mais en même temps, on se prend à écouter les paroles des chansons dont elle est composée et on se surprend, et on est surpris de l'inquiétante étrangeté de ces textes, quelquefois complètement décalés. Parce que le choix des chansons, à priori totalement hétéroclite arrive à créer une ambiance, une atmosphère de rêve éveillé.
Il semble que les personnages se rêvent les uns les autres, comme dit le metteur en scène. Les personnages passent la nuit ensemble dans cette chambre, mais ne font-il que se côtoyer ou chacun s'invente-t-il l'autre dans son rêve. Le personnage de la vieille dame est exemplaire à cet égard, passant et repassant comme un fantôme.

Marthaler fils de Beckett, de Dada et des Surréalistes.

On en revient à la pièce "En attendant Godot" présentée il y a peu dans la même salle dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent qui disait "Il y a un avant et un après Godot. C'est une sorte de lessivage radical de tout ce qui a été avant. Cette pièce est une provocation. C'est une sorte de provocation destructrice de toute la littérature qui vient avant.
Il est curieux de lire dans le livret-programme de la pièce de Christoph Marthaler l'entendre dire: "L'attente est quelque chose qui m'intéresse", et aussi "Il ne faut plus jouer sur scène, il faut parler", et il continue "mon théâtre est très altmodisch: c'est un mot extraordinaire en allemand qui veut dire "démodé", mais sans connotation négative - hors du temps peut-être. Tout mon théâtre porte la marque de mes origines suisses, mais aussi de mon séjour en Allemagne de l'Est...." ... "En bon Suisse, j'ai besoin de régler les choses. Il faut également mentir: moi, je mens toujours...".
  

Je vous invite donc à aller voir ces mensonges chantés et rêvés, à redécouvrir ces chansons plus ou moins connues - de Schumann à Mahler en passant par Berg, Satie et Wagner, des Jackson Five aux Kinks, de Polnareff aux chansons folkloriques allemandes et au grand Prix Eurovision 1991 de Carola avec "Fångad av en stormvind" dont je vous offre l'original:



Pas d'inquiétude, la version du spectacle "King Size" est bien mieux, vous en avez un extrait au début de la vidéo ci-dessous.

A propos du titre, deux remarques, l'une de Marthaler qui précise que le King Size, cette taille XXL se rapporte bien sûr au lit, mais aussi à la vie rêvée de chacun de ses personnages qui se rêvent dans une "plus belle la vie". 
L'autre concerne la taille du spectacle.
D'une part le décor: géant - au point d'écraser les hommes ridiculisés par la femme parce qu'ils n'arrivent pas à accéder au bar haut perché et qu'ils dépendent dont de la supériorité de la femme - et plein de traquenards et de surprises - une armoire est une porte ouverte vers le dehors.
D'autre part la distribution: le deux chanteurs - Nicola Weisse, Michael von de Heide - et la chanteuse - Tora Augestad - sans oublier la vieille dame - Bendix Dethleffsen - font de ce spectacle un opéra "portatif", donc un spectacle de Marthaler plus facile à tourner (la pièce a déjà été jouée dans plus de soixante lieux, de nombreux festivals et pays), et l'on ne peut que remercier l'initiative de nous offrir, bien sûr pas une "Grande" mise en scène, mais un petit bijou dont il faut découvrir le secret au fond de son sac...  





Au TNS à Strasbourg, jusqu'au 3 décembre

Bon spectacle

La Fleur du Dimanche

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