samedi 19 septembre 2015

Musica 2015 : Ouverture avec les petits plats dans les grands

Le Festival de Musique Contemporaine de Strasbourg Musica est de retour pour sa 32ème saison.
Et il ne lésine pas sur les moyens. En pré-ouverture, nous avons eu droit à tout un orchestre symphonique dans deux pianos.

Et au menu, les symphonies (ou tout comme) de Varèse, Ravel, Debussy et Stravinsky se sont retrouvées jouées sur deux pianos à deux ou quatre mains de maîtres par Vanessa Wagner, Marie Vermeulin, Cédric Tiberghien et Wilhem Latchoumia.

Donc, Amériques de Varèse (à quatre mains) ou le Sacre du Printemps de Stravinsky (à deux mains) nous sont apparues comme des pièces de dentelles, mettant en relief toute la finesse musicale sans la force et la puissance écrasante du grand orchestre. La Valse de Ravel nous a entraîné dans une ronde endiablée et Nuages, extrait des Nocturnes de Debussy nous ont mis dans le bain d'une rêverie propice au délassement dès le début du concert.  
Un vrai bonheur que nous a offert Musica à la veille du traditionnel concert d'ouverture, comme une douce mise en condition et une invitation à un voyage au long cours sur ces quelques semaines à venir*.


Musica - Préouverture - Photo: lfdd

Ouverture: l'humour amène à l'enfer


La véritable ouverture de Musica, le vendredi 18 septembre 2015 avec l'Orchestre Symphonique de la Radio WDR de Baden-Baden - Freiburg fut un grand moment de création.
D'abord, la version (mise à jour - avec de curieuses intrusions de la réalité externe dans la pièce: Facebook et l'annonce du concert: "dirigiet von Pascal Rophé" ) de la pièce "Kontrakadenz" de Helmut Lachemann mit un peu d"humour dans la musique et même dans l'orchestre. Les musiciens étaient joyeux et je vous invite a imaginer l'ambiance via un extrait du texte de présentation de Lachermann: "Ce  qu'on entend, ne s'entend pas par sa sonoritéet son usage structurel, mais correspond plutôt à la quantité d'énergie requise par l'action du musicien, ce qui rend les conditions mécaniques de la résistance à laquelle ces actions sont liées, perceptibles et  audibles." 
La pièce de Yann Robin, "ibant obscuri", bien que plus sérieuse, montre  également un drôle d'apprentissage de la marche: Les premiers pas d'Enée dans le chaos du monde: "Apprendre à marcher. Trouver dans ses propres pas une mesure, comme une promesse de soutien.... Saisir comment cette mesure se transforme à chaque nouveau mouvement et appeler cela le temps...

Pour finir, ce fut une céation multimédia superbe, avec les images de feu de Frantisek Zwardon filmées à Trinec, dans une des plus anciennes aciéries d'Europe qui nos rappellent un Métropolis langien en Noir et Rouge illuminé d'étincelles en totale synchronisation temporelle et narrative avec la troublante musique de Yann Robin qui a réécrit son oeuvre Inferno de 2011-2012. Pour lui, le texte de Dante est "un prétexte au travail du son et à sa conduite vers des fréquences abyssales, vers la sonorité au-delà de la perception humaine". Nous sentons dans le travail du chef avec la masse de l'orchestre une force similaire au fondeur face à la matière en fusion:



Musica - Ouverture - Infreno Yann Robin - F. Zwardon - Photo: lfdd

Cette matière qui est, comme une épée de Damoclès, suspendue - au sens propre dans de lourds chaudrons - suspendue au-dessus de la tête des protagonistes....


Musica - Ouverture - Infreno Yann Robin - F. Zwardon - Photo: lfdd
  


Le soleil de la partie de la Fun des Oufs

Pour continuer sur la générosité de Musica, rien moins que deux concerts - à 15h00 et 17h00 - sous le soleil revenu pour l'occasion, avec quatre orchestres d'harmonie et des magnifiques solistes et chanteurs - Médéric Colingen et Elise Caron pour ne citer qu'eux - qui nous on concocté un magnifique concert de jazz classique et humoristique, insiré par la Nef des fous sur un livret contemporain deMichel Musseau, mis en musique par Andy Emler pour La Fun des Oufs....
Même la danse macabre version Sébastien Brandt (ou Holbein ?) s'est exposée au soleil.

Musica - La Fun des Oufs - Photo: lfdd

Et n'en déplaise aux gens de mauvaise augure qui ouvrent leur parapluie, ce soleil fut vraiment de la partie.


Musica - La Fun des Oufs - Photo: lfdd

Et pour le concert de l'Ensemble Modern qui suivit, le soleil fut remplacé par une barre damoclessienne de spots qui illuminèrent les pièces de Yann Robin et Johannes Maria Staud.


Musica - Ensemble Modern - Hommage à Klaus Wenger - Photo: lfdd


Musica va continuer à nous gâter en toute magnificence avec l'Opéra de Francesco Filidei "Giordano Bruno", le très grand pianiste Pierre-Laurent Aimar dimanche matin, le géant "J'accuse" d'Abel Gance avec la musique de Philippe Schoeller, l'immense quatuor Arditti mardi et, mercredi deux films (gratuits sur réservation) sur Arvo Pärt dont un portrait et la mise en scène par Bob Wilson d'Adam's Passion

Quatuor Arditti

Pierre-Laurent Aimar a dit lors de son sublime concert dimanche que Beethoven et Boulez ont révolutionné la musique: Beethoven a fait de la musique qui ressemble à de la peinture, et la musique de Boulez est comparable à des oeuvres de l'Abstraction Lyrique... 
Ceci nous amène au concert du Quatuor Arditti - toujours égale à eux-mêmes, c'est à dire superbes! - et nous donne une piste d'une part quand nous constatons que le concert est présenté par les Musées de la Ville de Strasbourg - dont la proposition d'en faire bénéficier les auditeurs de Musica et de faire "hors les murs" un concert de leur saison, est un choix judicieux -  et que l'une des pièces, le Quatuor à cordes II de François Meïmoun est intitulé "untitled - selon Pollock". La pièce, fine, légère et vivace nous entraîne dans un univers joyeux, interprété tout en finesse par la Quatuor, en l’occurrence Irvine Arditti, le fondateur toujours présent et ses compagnons de route Ashot Sarkissjan au violon, Ralf Ehlers à l'alto et Lucas Fels au violoncelle.  
Le jeune compositeur François Meïmoun (né en 1979) nous offre ici deux aspects du quatuor, genre qu'il cultive fidèlement, sont pour lui une radiographie de son état de compositeur. Le Quatuor à cordes III est pour lui permet de dialoguer avec Ravel et pour le N°II, "untitled - selon Pollock", il met en garde: "Il convient d'être prudent sur les parallèles à établir entre les arts sonores et visuels, le concept d'abstraction, en peinture, s'est auréolé d'une mythologie semblable à celui d'athémisme, en musique, et, ce, malgré les mises en garde de Francis Bacon. Catégoriques, parfois excessifs, les jugements de Bacon sur les expressions non figuratives abandonnent l'art de Jackson Pollock au banc des arts décoratifs. Bacon, habité par son puissant désir de représenter, de figurer et de défigurer ses modèles, oublie que Pollock continue de suggérer des formes et qu'il transcende l'aformalisme tel que le concept d'abstraction pourrait le laisser entendre. Là où Bacon, marqué par Picasso, casse les visages, Pollock suggère le dessin, laisse le spectateur les deviner, les agencer, les oublier, les recréer. Là où Bacon et Picasso multiplient les têtes, superposent les modèles, Pollock laisse deviner les courbes et finir les dessins suggéré." 

Le concert nous permit d'ailleurs, avec la pièce de Dutilleux, Ainsi la nuit, de rêver à un magnifique tableau impressionniste et doux.


Musica - Quatuor Arditti - Soirée Quatuor des Musées de Strasbourg - Photo: lfdd
  

Pour clôre cette magnifique soirée, le quatuor de Pascal Dusapin Open Time nous entraîne dans une suite de 21 variations sans répit, à la fois peinture gestuelle et collage jazz à la manière de Matisse. Comme il le dit lui-même dans cette pièce qu'il a dédiée à son fils Anton, "Ici, la forme du quatuor avance par dérivations, par déviations et contournements successifs en ouvrant sans cesse le temps qui passe et s'efface. Avec obstination. Comme la vie sans doute... 

* Pour la suite du programme, rendez-vous sur la page de Musica:
http://www.festivalmusica.org/



Bonne continuation

La Fleur du Dimanche




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