Quand on s'approche de Noël, on rêve de cannelle, d'anis, de cardamome et de miel sucré, de pains d'épices et même de maison en pain d'épice, tout comme dans le conte de Grimm. Et si on aime la musique, on va voir le Conte Musical Hansel et Gretel inspiré de ce conte et proposé dans cette parenthèse festive de fin d'année dans les pays germaniques. L'Alsace n'y échappe pas et l'Opéra National du Rhin le présente régulièrement. Le Covid en 2020 en a empêché la présentation publique (la pièce a été filmée) mais la revoilà en live dans sa version allemande originale, mise en scène par Pierre-Emmanuel Rousseau.
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| Hansel et Gretel - Engelbert Humperdinck - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck |
Il y a bien sûr une version en français qui a été jouée en France dès 1894, suite au succès que la pièce eut l'année d'avant à sa création à Weimar, sous la baguette de Richard Strauss pour le plus grand bien d'Englebert Humperdinck, qui vivait dans la misère avant. C'est sa soeur Adelheit Wette qui avait adapté le conte des frères Grimm en l'adoucissant pour une représentation familiale et avait demandé à son frère un accompagnement au piano qui lui a mis le pied à l'étrier. Au point qu'il en a tiré ce conte musical qui alterne des parties orchestrales et les récits chantés. L'histoire, on la connait des frères Grimm avec les parents qui abandonnent leurs deux enfants dans la forêt parce qu'ils n'arrivent plus à les nourrir, mais dans la version de Humperdinck, ils y sont juste envoyés pour "chercher des fraises" (des fraises à Noël?). Ils y trouvent bien sûr des fraises, puis des sucreries mais aussi bien sûr la sorcière.
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| Hansel et Gretel - Engelbert Humperdinck - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck |
Mais revenons-en au début. Dès l'ouverture, la musique d'Englebert Humperdinck est fluide, enjouée, un peu champêtre avec les cors puis des trompettes et autres vents qui soufflent une atmosphère sylvestre. Et les mélodies s'enchaînent en lignes musicales qui se relaient et se superposent, laissant de temps en temps surgir des airs de Noël ou des ritournelles de comptines enfantines. Le chef Christoph Konz à la direction de l'Orchestre National de Mulhouse rend la partition entrainante, enjouée et lisible. Et pour les moments vocaux laisse aux interprètes leur voix bien présentes. D'ailleurs quand le rideau se lève sur Hansel et Gretel nous sommes très agréablement surpris par la voix claire et haut perchée de Juliette Aleksnayan qui interprète une jeune Gretel très crédible, on lui donnerait même l'âge de la jeune héroïne. Et son frère, Hansel interprété par la mezzo-soprano Patricia Nolz avec une voix douce et veloutée qui va bien pour le jeune garçon.
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| Hansel et Gretel - Engelbert Humperdinck - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck |
Nous sommes aussi surpris par le choix de scénographie et de décor, judicieusement moderne quoiqu'intemporel (relativement) du metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau qui a également créé les décors et les costumes. Nous nous trouvons dans une sorte de no-man's land entre le skat de terrain de camping abandonné et la décharge, en marge, amoncellements hétéroclites de détritus et de sacs poubelles dans lequel ils vivent avec leurs parents, absent pour le moment, ce qui fait qu'au lieu de travailler ils dansent... Le tableau, même s'il n'est pas très décoratif, est cependant dans une belle esthétique moderne, sorte de Bansky mâtiné de Martin Parr. La mère, Gertrud, incarnée par Catherine Hunold est à l'image du décor et ne sauve pas les meubles tandis que le père (Damien Gastl) est une épave alcoolisée qui ne vaut pas mieux. Ils se débarrassent rapidement (en les envoyant aux fraises) pour ne les retrouver qu'à la toute fin de la pièce pour leur faire la morale (un cliché de la morale chrétienne de la fin du XIXème siècle). La misère est patente, même si l'alcool est présent.
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| Hansel et Gretel - Engelbert Humperdinck - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck |
Pour le deuxième tableau, la représentation de la forêt est plutôt abstraite avec un grand rideau qui se matérialise de temps en temps grâce à des effets de lumière (Gilles Gentner ). Ce traitement esthétique donne à ce tableau - et même au suivant presqu'une caractéristique de rêve, entre le rêve de désirs impossibles (les friandises, les fruits défendus mais mangés,..) ou les cauchemar avec les violences et les punitions du troisième tableau, de même que les rencontres insolites.
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| Hansel et Gretel - Engelbert Humperdinck - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck |
Dont la sorcière, créature tout aussi surprenante, fusion entre Marilyn Monroe, Marlène Dietrich et Michou, interprétée par le ténor Spence Lang. Et le marchand de sable interprétée par la ténor Luisa Stirland qui les endort et qui se retrouve en Fée Rosée qui va les réveiller (mais le rêve ne continue-t-il pas plutôt en parenthèse de cauchemar).
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| Hansel et Gretel - Engelbert Humperdinck - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck |
Dans le troisième tableau en effet, nous assistons à de multiples transformations de la maison de la sorcière qui de maison en pain d'épice se mue en Witch Palace avec ses escaliers amovibles, ses cabanes mobiles de sucreries et ses pièces escamotables et transformables qui de chambre d'enfant et de poupée deviennent geôle ou salle de torture. L'ambiance d'enfantine devient lutine sinon mutine, voire plus osée.
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| Hansel et Gretel - Engelbert Humperdinck - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck |
Et nous basculons de comptines enfantines à des revues de cabaret qui glissent vers la décadence et, bien sûr vers le macabre et le funèbre. Jusqu'à la libération et la rédemption finale. Il ne faut pas oublier les personnages secondaires, quelques-uns véritables et fantastiques acrobates habillés de noir et les "esprits", en l'occurrence les anciennes victimes de la sorcière, à la démarche hachée et vacillante dont les costumes sont superbe et adaptés au côté conte de fées et les jeunes chanteurs de la Maîtrise de Opéra National du Rhin qui complètent de leur voix juvéniles les choeurs des anges. Il sort un réel parfum de pain d'épice - assez épicé - de ce délicieux conte gourmand où il est beaucoup question de friandises et où la sorcière s'appelle Rosina Leckermaul (bouche gourmande) mais également un constat social et humain en quoiqu'il se soit passé, la morale est sauve. Et la musique est bonne - avec ses ritournelles de Noël.
La Fleur du Dimanche
Du 7 au 17 décembre 2025 à l'Opéra National du Rhin
Les 9 et 11 janvier 2026 à la Filature à Mulhouse
Distribution
Direction musicale: Christoph Koncz
Mise en scène, décors et costumes: Pierre-Emmanuel Rousseau
Lumières: Gilles Gentner
Chorégraphie: Pierre-Émile Lemieux-Venne
Maîtrise de l’Opéra national du Rhin, Orchestre national de Mulhouse
Hansel: Patricia Nolz
Gretel: Julietta Aleksanyan
Peter: Damien Gastl
Gertrud: Catherine Hunold
La Sorcière: Spencer Lang
Le Marchand de sable, la Fée rosée: Louisa Stirland







Attention, la fatigue hivernale aidant, tu as, cher ami, persisté à estropier le nom du compositeur Humperdinck dans tout ton compte-rendu ! Si je regrette pour ma part la laideur inutilement moderne et peu engageante du "squat" (et non du "skat" !) au 1er Acte ou l'absence ("économique"?) des arbres de la forêt, je partage ensuite ta juste appréciation du spectacle dont l'onirisme tantôt féérique et poétique, tantôt cauchemardesque et macabre, m'a séduit, autant que les squelettes dansants (et acrobatiques), les voix et la direction d'orchestre de Christophe Koncz. L'influence bienvenue de Tim Burton (en particulier sur la Fée à perruque rousse), mais aussi de Federico Fellini (et de sa "Cité des femmes") m'y a semblé manifeste. Je regrette cependant que le four y ait été escamoté et la fin de la sorcière en trois temps (sa plongée, puis sa combustion à l'intérieur de celui-ci, enfin son ultime métamorphose en pain d'épice) confusément et trop partiellement représentée. Belle occasion par ailleurs de redécouvrir à cette occasion l'admirable Hansel et Gretel (2008) du Coréen Yim Phil-sung, fascinante adaptation cinématographique (plus intelligemment contemporaine !) de ce conte sélectionné en compétition au Festival de Gérardmer (l'année suivante) et édité en double DVD Collector chez Wild Side Video !
RépondreSupprimerMerci cher Maxime pour tes remarques judicieuses autant pour les erreurs de nom ou de terme (je me disais bien que ce musicien ne méritait pas un rime en pudding - même de Noël) et sur les références cinématographiques devant lesquelles je m'incline. Et c'est vrai que pour le four, la production aurait pu récupérer celui de Sweeney Todd https://lafleurdudimanche.blogspot.com/2025/06/sweeney-todd-lopera-national-du-rhin-la.html
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