vendredi 1 août 2025

Midnight Souls à Avignon - L'Art d'Othoniel s'installe dans la ville et Carlson met l'Amour en mouvement au Palais des Papes

 Avignon est connue comme ville du Théâtre et comme Cité des Papes. Mais elle n'est pas que cela, elle est aussi une ville de culture. Inscrite depuis 30 ans au Patrimoine Mondial de l'Unesco et Capitale de la Culture il y a 25 ans, elle possède de nombreux lieux de patrimoine ou d'exposition dont le Palais des Papes ou le Petit Palais - devenu Musée du Petit Palais-Louvre en Avignon et pour les aspects contemporains la Fondation Lambert en Avignon entre autres. Et, du temps où la ville hébergeait la papauté au XIVème siècle, elle accueillait aussi le poète Pétrarque, fondateur de la Renaissance et dont l'amour pour Laure a été à l'origine du Canzoniere, son chef-d'oeuvre de la littérature lyrique amoureuse en Europe. 


Carolyn Carlson - Photo: Laurent Paillier

Ce sont ces deux axes, la célébration de la culture et celle de l'amour qui ont été l'occasion de donner une carte blanche à l'artiste Jean-Michel Othoniel. Ainsi, il sème plus de 130 oeuvres dans plus de dix lieux, des plus discrets aux plus connus. Ces oeuvres non seulement réenchantent les lieux, les bâtiments et les architectures, mais, avec l'installation qu'il a réalisée dans la cour du Palais des Papes, il va même plus loin en amenant le mouvement, la danse, la musique, la vie et les sentiments dans une installation monumentale - qui n'est bien sûr pas la seule. Et cette confrontation avec le temps, la musique, la lumière et le mouvement est une expérience totale. La danse n'est pas une idée neuve pour Jean-Michel Othoniel qui a déjà, en 2014, réalisé avec le paysagiste Louis Benech, une fontaine pour faire revivre à sa manière le Bosquet du Théâtre d'Eau de Versailles en transformant les écritures chorégraphiques de Louis XIV en sculpture d'eau vivante. 


Hugo Marchand - Photo: Joël Saget

Pour cette installation dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes, il a collaboré avec Carolyn Carlson et, ensemble, ils ont créé la pièce-performance Midnight Souls. Le style de la danse et l'expression chorégraphique de Carolyn Carlson est très graphique et inspiré de l'univers plastique de Mark Rothko et convient parfaitement à ce dialogue avec l'oeuvre de Jean-Michel Othoniel. 


Caroline-Osmont - Jean-Michel Othoniel - Hugo Marchand - Photo: Othoniel Studio

Dans cette collaboration, ils conjuguent leurs styles et leur art pour offrir une expérience unique, faisant ressurgir dans la Cour d'Honneur les fantômes de Pétrarque et de Laure, ces êtres que l'Amour relie de manière symbolique mais également totalement intériorisée. Cette intériorité, source de concentration et d'émotion est favorisée par des éclairages très focalisé, magnifiant les installations de sculptures (totems ou arbres de vie) et les passages, ponts et tunnels créés dans la cour. 


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Photo: Robert Becker


Ainsi, dès le début, avec le danseur étoile Hugo Marchand* qui arrive d'un pas d'abord hésitant puis variable sur la traversée en fond de scène, une inquiétude et une étrangeté s'installe, soulignée par la musique de René Aubry qui virevolte et nous emporte dans  ses tourbillons. Tourbillons que la danseur agile reprend de ses longs pieds agiles avant de repartir dans des mouvements plus calmes, plus mystérieux. Il n'est pas seul, une ombre en noir fait le même chemin que lui, traversant la scène comme un fantôme en l'ignorant, puis le pendant blanc et lumineux, qu'on imagine incarner toute la vitalité et la jeunesse de Laure. C'est Caroline Osmont, danseuse à l'Opéra de Paris qui l'incarne dans une merveilleuse agilité et une très belle expressivité. Elle illumine le plateau et nous éblouit par sa grâce. 


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Photo: Robert Becker


Et l'on imagine bien que son partenaire n'est pas insensible à cette éclat de beauté et de prestance. Fidèle à l'histoire vécue par Pétrarque et Laure, les rencontres se font fugitives, presqu'à distance, mais nous en sentons la tension, les éclats qui jaillissent. Souvent elles aboutissent à des détournements, des redites ou des superpositions de temporalités, tout comme la musique, qui semble se répéter, explorer de nouvelles pistes, quelquefois s'envoler de manière allègre et sautillante, ou hispanisante, quelques réminiscences de passages d'airs de Philip Glass ouvrent des pistes, un autre personnage, plus ou moins démiurge - le danseur Juha Marsalo de la compagnie de Carolyn Carlson semble vouloir favoriser la rencontre.


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Photo: Robert Becker


Une gestuelle précise et délicate des danseurs masculins tirant vers le pantomime tend à orienter le destin de l'histoire tandis que la femme éclabousse en virtuosité et liberté dans des gestuelles expansives et éblouissantes, ne se laissant pas encadrer, occupant l'entièreté de l'espace de cet immense plateau. 


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Photo: Robert Becker


Et, quelquefois, comme dans un univers parallèle, la dame en noir traverse cet espace temps en couches multiples, comme dans un espace temps parallèle. Ces couches temporelles faits de superpositions et de répétitions, soutenues par les variations et les boucles musicales presqu'hypnotiques nous font voyager dans un univers presque féérique et imaginaire, nous emportant dans un rêve éveillé dans la nuit étoilée qui nous enveloppe. Nous voyageons autant dans le sentiment que la perte, dans le charme et la sublimation, la sidération et la subjugation. Comme un rêve éveillé qui nous fait traverser les strates du temps et des sentiments, atteignant la plénitude et la sérénité, mais laissant en nous aussi la trace d'un manque et du sentiment d'une impossible union.  


Midnight Souls - Jean-Michel Othoniel - Carolyn Carlson - Hugo Marchand - Caroline Osmont - Juha Marsalo - Photo: R. Becker


La beauté fulgurante de la danse et de la magnifique installation des milliers de briques scintillante et presque vivantes nous éblouissant comme un miroir aux alouettes, nous prenant au piège de son illusion. Et nous nous retrouvons sur le pavé de la ville, regrettant d'être sorti de ce conte de fée et nous demandant comment nous en sortir dans la ville et la vie présente. Juste et salutaire question.


La Fleur du Dimanche


* Saluons cette initiative à la fois municipale et sa concrétisation par Jean-Michel Othoniel et Carolyn Carlson et ses interprètes et toutes les équipes et les soutiens qui ont permis cette réalisation et notons aussi que Hugo Marchand a fondé en 2022 l'association à but non lucratif Hugo Marchand pour la danse, dans le but de promouvoir la danse classique dans des lieux du patrimoine français auprès d'un large public : "j’ai à cœur de contribuer à la diversité de la vie culturelle locale, partout sur le territoire et de mettre en lumière les monuments historiques de nos régions en les associant à des danseurs et musiciens reconnus"