vendredi 1 juin 2018

Treize à la cave pour le théâtre de Paresse: un festival d'énergies souterraines

Pour sa treizième édition, le Festival de Caves nous offre à Strasbourg et en Alsace (Andlau et Wangen puis Saint-Louis et Saint-Hippolyte) un pan de Paresse avec Maxime Kerzanet à la mise en scène et au jeu. 
Au double jeu pourrait-on dire, puisque non seulement il joue la paresse mais il se démène comme un beau diable pour nous offrir deux personnages, Maxime (c'est-à-dire un double de lui-même, comédien) et Paul, un double de Paul Lafargue.


Paresse - Maxime Kerzanet - Festival de Caves - Photo: lfdd

Et comme cela ne suffit pas, il dédouble son personnage - on peut dire qu'il fait double face, parce qu'en fait il préfère ne pas jouer de face, mais de profil. Et donc, le dispositif bi-frontal d'une cave - et la proximité immédiate et physique du public - lui sied bien.


Paresse - Maxime Kerzanet - Festival de Caves - Photo: lfdd

D'ailleurs, au lieu de commencer à jouer, il discute longuement avec le public en lui expliquant les tenants et les aboutissants du spectacle - et de sa mise en place, dont le placement des spectateurs ,pendant qu'il faisait semblant de paresser (dormir) couché sur une table, avant de se mettre dans un vrai lit - ou plutôt un matelas sommaire (ce n'est pas une pause publicitaire) et un lit défait, en défaisant le spectacle.

Car spectacle il y a, et d'une belle invention. A la fois par des improvisations (simulées) et des choix de textes qui habillent le noyau du spectacle - un discours politique de Lafargue sur le travail:
"Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite les misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion furibonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. Au lieu de réagir contre cette aberration mentale, les prêtres, les économistes, les moralistes, ont sacro-sanctifié le travail. Hommes aveugles et bornés, ils ont voulu être plus sages que leur Dieu ; hommes faibles et méprisables, ils ont voulu réhabiliter ce que leur Dieu avait maudit. Moi, qui ne professe d’être chrétien, économe et moral, j’en appelle de leur jugement à celui de leur Dieu ; des prédications de leur morale religieuse, économique, libre-penseuse, aux épouvantables conséquences du travail dans la société capitaliste.

Dans la société capitaliste, le travail est la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique." 


Paresse - Maxime Kerzanet - Festival de Caves - Photo: lfdd


Un tel discours est digne du gendre de Karl Marx. La femme de Paul Lafargue, Laura, était la fille de Karl Marx - et traductrice des livres de son père. Et l'on côtoiera d'autres textes, de Shakespeare, Büchner, Marx, Lessing, Schopenhauer, Maïakovski, Victor Hugo et autres poètes, écrivains, philosophes, cités ou critiqués, parce que parler de paresse n'est pas ne rien faire, mais bien se poser des questions de travail, de réalité, d'esclavage, d'anarchie ou de révolution, d'amour, de rêve, de papillons, de vie et de mort. Le tout sur le mode de l'ironie, du désenchantement ou de l'humour, mais aussi d'une grande sensibilité et une certaine tendresse. Et d'une belle proximité, écoute et dialogue avec le public. 
Et si, comme le disait Armand Gatti (qui a eu droit à un hommage particulier) "s’il n’y a de révolution que celle du soleil", tout a une fin, même la paresse, et pour Paul Lafargue - et quelques autres qui ont fait le même choix, celle de vivre se traduit par un coup de pistolet (Paul et Laura Lafarge sont morts dans la nuit du 25 au 26 novembre 2011 - Paul avait 69 ans.)


Paresse - Maxime Kerzanet - Festival de Caves - Photo: lfdd

Et comme c'est bien de finir en chanson - et que Maxime Kerzanet chante bien, tout finit par une chanson de Gérard Manset: 

Vies monotones

Nous avons des vies monotones 
Entourés d'hommes et de chiens 
Ceux qui mangent dans notre main 
Ce sont ceux-là qu'on abandonne 

Mais comme il faut quand même qu'on vive 
Ce soir avec le même convive 
C'est pas la fête qu'on croyait 
Où sont les lumières qui brillaient ? 
Y'a plus qu'à tirer la nappe à soi 
Continuer chacun pour soi  





La Fleur du Dimanche

La pièce se joue encore le 2 juin à Strasbourg, le 3 à Andlau, le 4 à Wangen, le 12 juin à Saint-Louis et à Saint-Hyppolite le 28 juin dans une cave à découvrir à chaque fois.
Les réservations, en Alsace, en Franche-Comté, dans toute la France et même en Suisse - le festival dure jusqu'au 30 juin - se font sur le site du Festival de Caves:
http://www.festivaldecaves.fr/

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