Un festival qui cultive son succès pour la troisième année à Strasbourg, en plein été, c'est le Festival Jazz à la Petite France. L'année dernière nous en découvrions la deuxième année et plein de superbes groupes venus d'ici et d'ailleurs.
Et cette année, le Festival affiche très clairement sa volonté d'égalité des genres (il y a même pendant trois jours - du 13 au 15 juillet des rencontres professionnelles européennes sur ce sujet "gender equality in the music sector in Europe", et la programmation affiche 45 % de femmes sur scène - trois fois plus que la moyenne!
Le Bal Perdu
Jazz à la Petite France - Bal Perdu - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Bal Perdu - Photo: lfdd |
D'ailleurs le premier groupe est équilibré: une femme, un homme qui nous offrent Le Bal Perdu: Marie Dubus (Marie Cheyenne que l'on a aussi vu avec les Cracked Cookies) est en train de monter un projet avec Guillaume Schleer (Firmin & Hector) dont ils nous présentent en une petite demi-heure appétissante les premiers résultats (la suite le 7 novembre). Guillaume à l'accordéon et Marie à la flûte et à la voix, quelquefois presque sauvage nous emmènent dans un mélange de valses, de javas et autres improvisations très virtuose. Les doigts sur la flûte sont agiles et la voix n'attend pas le silence pour enchaîner, l'accordéon accompagne ou mène la danse. Les compositions (La percée, Lithium 2032,..) de Guillaume Schleer alternent avec la chanson réaliste pleine d'humour noir de Fréhel - La Peur (Un chat qui miaule) ou une valse de Yann Tiersen, auquel le groupe rend hommage.
Jugend Jazz Orchester
Jazz à la Petite France - Jugend Jazz Orchester - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Jugend Jazz Orchester - Photo: lfdd |
Le groupe qui suit est également dans l'objectif du festival, beaucoup de femmes, surtout à la voix et en plus ce sont des Suisses avec un directeur artistique berlinois (Benjamin Weidenkamp). Ce Jugend Jazz Orchester avec presqu'une vingtaine de jeunes nous offrent une musique dont nous sentons leur joie de l'interpréter - et même d'en composer certain morceaux, comme par exemple une bien engagée "marche antifasciste" du saxophoniste Mattia Facchini. Le grand ensemble navigue entre Franck Zappa et le free Jazz en passant par les Swingle Sisters un Big Band à géométrie musicale variable.
Jazz à la Petite France - Jugend Jazz Orchester - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Jugend Jazz Orchester - Photo: lfdd |
Ce qui ne l'est pas c'est leur engagement à la fois musical - et ils prennent un plaisir visible à jouer et chanter, mais aussi politique et écologique comme le laissent entendre les titres 1.5 point (1.5° - l'objectif du G20) ou the fruit of green growth (les fruits de la croissance verte) qui ne sont pas laborieux du tout et très bien arrangés - et interprétés - par la dynamique petite troupe qui réchauffe bien l'atmosphère sous les arbres de la place Saint Thomas.
Jazz à la Petite France - Jugend Jazz Orchester - Photo: lfdd |
Fuz4tet
Pour Fuz4tet, il n'y a qu'une femme dans le quartet, mais quelle femme ! Yuliia Vydovska, une chanteuse et violoniste ukrainienne arrivée à Strasbourg en 2019 qui a monté ce groupe avec ses collègues du Conservatoire, Lucas Habe, Nello Dronne et Maxime Epp. Et ce sont donc des chansons traditionnelles ukrainiennes très dansantes - 14 juillet oblige - qu'elle et ils nous interprètent dans une version jazz contemporain.
Jazz à la Petite France - Fuz4tet - Nello Dronne - Yuliia Vydosvska - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Fuz4tet - Yuliia Vydosvska - Maxime Epp - Lucas Haabe- Photo: lfdd |
Petite Lucette
La soirée s'achève en beauté avec le groupe grenoblois Petite Lucette qui nous joue du jazz guinguette, des chansons à danser (ah bon ?) et des musiques d'Amérique du Sud. Les titres sont de la poésie pure (La soupette de Lucette, Chat perché, La Java du carillon, Toujours avoir une licorne dans sa poche, Les Jupons de Lucette,... ) et les musicien.ne.s (2 à 3) sont de vrai.e.s virtuoses et filent à cent à l'heure.
Jazz à la Petite France - Petite Lucette - Photo: lfdd Jazz à la Petite France - Petite Lucette - Photo: lfdd
Sylvain Fouché aux claviers et au piano fait courir ses doigts à toute vitesse, Clémentine Ristord aux saxophones enchaîne les notes à vive allure, Manon Saillard marque le rythme à la grosse caisse et caresses les percussions, Mathieu Imbert donne un tempo puissant à la batterie et nous offre un morceau de rap bien enlevé et Pierre-Antoine Desparture joue de la contrebasse à fond le rythme. les danses traditionnelle des Alpes deviennent des air brésiliens avec la Cumbia del Sappey. Leur interprétation qui semblait un peu intériorisée au début prend corps au fur et à mesure et le public qui commence à sentir des démangeaisons dans les jambes se met à danser sur les côtés de la place et vers la scène.
Jazz à la Petite France - Petite Lucette - Photo: lfdd Jazz à la Petite France - Petite Lucette - Photo: lfdd
La Petite Lucette part à bride abattue et envoie toute son énergie dans le public. Pour terminer, un morceau qui calme un peu le jeu où Sylvain Fouché nous fait une belle prestation, presque romantique à l'orgue et en bis , un hommage à Hermeto Pascoal dont on comprend bien qu'il ait pu influencer le groupe isérois. Au cas où vous souhaitez les voir - ou revoir - ils sont en tournée (voir leur page fb) et seront dans le Haut-Rhin le 18 et 19 août dans le cadre du Festival Meteo Campagne).
Jour 2 : 15 juillet - le grand mix:
Las Baklavas
Avec Las Baklavas la deuxième journée du Festival Jazz à la Petite France démarre sur les chapeaux de roues. Ce pétillant groupe en majorité féminin (5 filles et 1 garçon) qui mixe aussi la France et l'Amérique du Sud, et, du côté de la musique les influences de ces deux pays et les rythmes balkaniques. Avec Sonia Boudier à la basse, Mathilde Erb au violon, Elsa Mareau à l'alto, Lourdes Marzialetti à l'accordéon, Niloha Riveros à la clarinette, Basile Touratier à la batterie et tout ce beau monde qui pousse aussi de la voix, des airs qui vous entrainent, il y a une sacrée dynamique qui s'installe et qui diffuse sur la place qui chauffe.
Jazz à la Petite France - Las Baklavas - Photo: lfdd |
Abraham Réunion
Le groupe Abraham Réunion ne vient pas de la Réunion, mais est plutôt influencé par la musique caribéenne - et Jazz. Leur bonheur est de jouer ensemble, en famille, le grand frère Zacharie à la contrebasse, la grande soeur Clélya au piano et la petite soeur Cynthya au chant, ce trio Abraham est accompagné à la batterie par Arnaud Dolmen. On sent une belle familiarité entre eux, des sourires e des rires sont échangés et leurs chansons interprétées avec brio sentent l'optimisme et la générosité.
Jazz à la Petite France - Abraham Réunion - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Abraham Réunion - Photo: lfdd |
Los Negros Soundsystem
Changement de style et d'ambiance avec Los Negros Soundsystem qui installe une grande table avec les platines, les instruments de mixage, au milieu de la scène pour DJ Bongo - le colombien Herbert Asprilla. A côté de lui, derrière son micro, le cubain Daniel Allen Oberto lui répond en direct au saxophone ou à la clarinette. Les deux compères, maintenant berlinois, travaillent depuis longtemps ensemble et brassent un mélange rythmé et dansant dans une large palette sonore et musicale.
Jazz à la Petite France - Los Negros Soundsystem - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Los Negros Soundsystem - Photo: lfdd |
Jas Kayser
La soirée s'achève avec Jas Kayser et ses trois acolytes, Richie Sweets aux percussions, Alex Blake à la guitare et Daisy George à la basse pour une bonne heure bourrée de rythme et d'un très bon groove. A 26 ans, Jas ne manque pas de pêche, ni de culot, quand, il y a 4 ans déjà, Lenny Kravitz l'invite à lui donner la réplique dans un clip réalisé par Jean-Baptiste Mondino Low. Et c'est c'est tout à fait mérité quand, il y a deux ans, elle est la découverte de JazzFM.
Jazz à la Petite France - Jas Kayser - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Jas Kayser - Photo: lfdd |
Sa frappe est rapide et nerveuse et pourtant, son tempo est calme, apaisant pour le morceau Between the gap où elle entre dans un long cérémoniel, dans lequel Alex Blake à la guitare tisse quelques notes puis, après une magnifique improvisation de Jas, file une longue mélodie aux notes courtes, avant de passer le relais à Daisy George à la contrebasse.
Jazz à la Petite France - Jas Kayser - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Jas Kayser - Photo: lfdd |
Elle et Richie Stevens aux percussions se répondent et se complètent comme deux complices, totalement dans le même rythme, en symbiose, tandis qu'Alex Blake arbore un énorme sourire en grattant ses cordes avec doigté et qu'à côté Daisy George, serein sourit intérieurement derrière sa contrebasse. Le plaisir de jouer se voit, et le bonheur qu'ils partagent se transmet jusqu'à nous par la musique.
Jazz à la Petite France - Jas Kayser - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Jas Kayser - Photo: lfdd |
Et ce n'est pas une surprise quand, lorsque Jas propose au public de se lever et de danser, sans hésiter, tout le monde se lève et expérimente la musique également avec son corps. Car ce n'est pas juste un seul sens qui est touché, le corps aussi écoute, est touché et s'exprime dans une communion enchantée. Encore une belle découverte de ce Festival.
Pour continuer sur le plaisir des sens, il faut noter aussi que c'est très agréable d'écouter la musique avec cette odeur de tarte flambée qui flotte dans l'air, et bienheureux sont ceux qui peuvent aussi en déguster. En écoutant Jas Kayser ici:
Jour 3 : 16 juillet – Et finir en beauté :
Naïssan Jalal
Pour le dernier jour du Festival Jazz à la Petite France, c’est Naïssan Jalal qui ouvre les festivités. Victoire du Jazz en 2019, elle est là avec Clément Petit au violoncelle, Claude Tchamitchian à la contrebasse et Zaza Desiderio à la batterie. Sa musique aux influences ancestrales du pourtour méditerranéen comme le Maroc ou l’Egypte – elle joue d’ailleurs en plus de la flûte, cette version traditionnelle qu’est la nay – ou des Amériques est pour elle aussi un outil de guérison.
Jazz à la Petite France - Naîssam Jalal - Photo: lfdd |
Le disque Healing Rituals qu’elle vient de sortir contient ainsi toute une série de « Rituels » du vent, de la colline, de la terre, de la forêt, du Soleil, qui sont comme des chants, mélopées de guérison qui, par le rythme, les sons, le chant, la flute et les autres instruments, sont destinés à plonger l’auditeur dans certains états psychologiques et physiques tendant vers la beauté et la plénitude, le bien-être. Ce sont donc quelques-uns de ces rituels qu’elle nous offre avec ses trois complices.
Jazz à la Petite France - Naîssam Jalal - Photo: lfdd |
Elle-même variant ses interventions chantées plus ou moins aiguës ou graves selon les thèmes (plutôt grave pour la terre, plus enjoué puis mystérieux pour la forêt), passant sans transition et en enchaînements rapides de la voix à l’instrument. Ses musiciens, tous talentueux, ayant également un espace pour improviser. Les morceaux alternent des moments de tension avec des airs lancinants et de belles envolées et d’autres plus reposant, plus calmes. Et même si l’on ne croit pas aux esprits, on peut quand même noter le moment totalement synchrone où quand elle finit une de ces rituels, sur la dernière note, une cloche proche reprend pile le son.
Subconscious Trio
Le groupe Subconscious Trio, formé par trois musiciennes, coche les trois cases « féminines » des interprètes : Monique Chao, originaire de Taiwan, Victoria Kirilova de Bulgarie et l’Italienne Francesca Remigi se sont rencontrées au Conservatoire de Milan en 2015 et depuis ont fondé ce groupe et édité un disque Water Shapes dont elles vont interpréter quelques pièces, dont Whale Fall, Woman in gravity, I Like My Bed More Than I Like Most People et Two Beggars, une pièce où Monique Chao la pianiste chante aussi sur une composition de Francesca Remigi.
Jazz à la Petite France - Subconscious Trio - Photo: lfdd |
Celle-ci est à la batterie, instrument qu’elle maitrise sans problème. Victoria Kirilova à la contrebasse pose délicatement la trame rythmique et au piano, Monique Chao nous offre une touche claire et limpide au piano.
Jazz à la Petite France - Subconscious Trio - Photo: lfdd |
Les trois interprètes qui se sont partagé les différentes compositions de l’album, dans une sensibilité écologique et universelles nous offrent avec ce concert un moment intime et délicat avec quelques réminiscences folkloriques.
Emma Rawicz
Pour clore le festival, c’est le tour du feu d’artifice Emma Rawicz, le coup de cœur du Festival. « L’étoile montante de la scène londonienne », la jeune saxophoniste de 21 ans – qui a commencé à jouer de l’instrument à 16 ans seulement - fait sa première prestation en Europe Continentale avec une formation d’enfer. Au piano, le génial et véloce Ivo Neame dont on peut apprécier la qualité et l’agilité de jeu lors des nombreux solos que lui offre la saxophoniste. Le batteur Asaf Sirkis n’est pas moins surprenant, un jeu inventif, une frappe précise, alternant des enchaînements de baguettes tournoyantes et des frappes puissantes qui claquent. On sent vraiment une complicité et une écoute entre ces trois interprètes qui ont enregistré ensemble avec le bassiste Conor Chaplin, le guitariste Ant Law et la chanteuse Immy Churchill le deuxième (déjà) disque qui va sortir en août et dont ils jouent quelques morceaux. Pour ce concert, Ante Lav n’est pas présent et le bassiste est remplacé par Kevin Glasgow dont le jeu est de qualité même s’il est moins familier avec le répertoire d’Emma. Il faut dire que le jeu est nerveux et entrainant. Les compositions d'Emma Rawicz pulsent et son jazz déborde d’énergie. Et son jeu au saxophone ténor en impose, autant dans les morceaux funk que pour la ballade qu’elle nous offre en bis en réponse à l’enthousiasme du public qui l’ovationne .
Jazz à la Petite France - Emma Rawicz - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Emma Rawicz - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Emma Rawicz - Photo: lfdd |
Jazz à la Petite France - Emma Rawicz - Photo: lfdd |