Alors que l'on parle de la fragilité du secteur culturel, avec les risques de baisse des aides pour ce secteur, en particuliers le spectacle vivant, il y en a qui ne chôment pas. Ce sont les élèves de l'école du TNS. Non seulement ils et elles se forment dans un environnement professionnel à la fois au jeu, à la technique et à la régie, à la mise en scène et autres métiers du théâtre, mais ils (se) produisent aussi dans un grand spectacle de fin de formation. Ils travaillent avec des professionnels sur des pièces mais, avec le programme "Carte Blanche", ils ont également l'opportunité de créer des spectacles avec lesquels ils se confrontent au public - qui est d'ailleurs invité gratuitement à cs représentations. Récemment je vous ai parlé des deux spectacles La chasse des anges et La forteresse.
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Service de la perdition et du beau temps - Aurélie Debuire - Photo: Jean-Louis Fernandez |
En avril, une nouvelle série de pièces (voyez qu'ils et elles ne chôment pas) est présentée par le Groupe 48, dont Service de la perdition et du beau temps, écrit et mis en scène par Aurélie Debuire. Cette jeune fille qui avait fait la classe préparatoire aux écoles supérieures d'art dramatique à la Comédie de Béthune et bénéficié du fonds de dotation Porosus termine sa formation "jeu" cette année. Nous l'avons vue dans La chasse des anges et pour cette pièce Service de la perdition et du beau temps, présentée à l'église Saint Guillaume, elle a dont à la fois écrit le texte et assuré la mise en scène. Le lieu est tout à fait adapté au sujet de la pièce puisqu'elle traite à la fois de la mort et du ciel, de l'au-delà, mais dans un style très original. Le texte, qui pourrait être tragique, grâce à tout un jeu sur les mots, à un style de jeu original et décalé, jongle entre une approche sensible et philosophique et des aspects comiques et distanciés. Nous assistons à une cérémonie rituelle de passage, avec le personnage du Secrétaire, un genre de gardien des portes de l'au-delà, si ce n'est pas Grand D lui-même que campe admirablement Nemo Schiffman (vu dans La Forteresse) avec un sérieux hiératique et un détachement keatonien, doublé d'une puissance magistrale presque tyrannique, surtout dans ses envolées que magnifient les effets sonores en écho Mathis Berezoutky-Brimeur. C'est Appoline Taillieu (dont nous avions déjà apprécié la profondeur de jeu dans la Forteresse), ici dans un personnage double qui sera Marthe morte dans ses épreuves de passage et Alice dans le premier monde, clin d'oeil à la fantaisie de Lewis Caroll.
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Service de la perdition et du beau temps - Aurélie Debuire - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Le rideau de lumière de Mathis Berezoutky-Brimeur qui ouvre la pièce - et barre la scène d'un tenant - est d'ailleurs un écho au miroir que traverse Alice et que nous traversons en tant que spectateurs pour nous retrouver dans cet univers qui oscille entre dada, surréalisme et hiératisme. La diction, et les sauts de rythme, quelquefois les silences (volontaires et pesants) ainsi que les gestes des comédiens, quelquefois mécaniques mais aussi d'une grande souplesse - la rapidité des repositionnements et des changements d'attitudes sont très surprenants - ne nous laissent pas impassible. Nous sommes littéralement emportés par ce voyage dans les limbes, les deux autres personnages, le personnage 3.290.114 (trois millions deux cent quatre-vingt-dix mille cent quatorze) qu'interprète avec une belle présence Blanche Plagnol (que nous avions aussi vue dans La forteresse) incarne autant un paillon que le cerveau (judicieux maquillage) ou son coeur et sa peau et elle trouve une âme soeur dans Ame 2019 (Thomas Lelo qui était également dans La Forteresse).
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Service de la perdition et du beau temps - Aurélie Debuire - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Naviguant entre une nef des fous débridée, une messe noire et rouge, comme la magnifique robe de l'officiant "Secrétaire" (les costumes de Salomé Vanendriessche participent grandement à la qualité du spectacle) en évêque "Dada" et un voyage intersidéral, porté par les ambiances sonores de Mathis Berezoutky-Brimeur, nous nous laissons porter par ce spectacle singulier et surprenant. Et nous passerions volontiers dans le mur de lumière suivre les folles péripéties dans l'au-delà que nous conte le texte virevoltant d'Aurélie Debuire, qui, en plus de son talent de comédienne prouve ici ses dons de poète et de conteuse et sa capacité de transmettre un univers excentrique et un récit biscornu avec conviction. Une piste à suivre.
La Fleur du Dimanche
Jusqu'au 12 avril 2025 à l'église Saint Guillaume
Réservation ici Service
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