jeudi 6 mars 2025

Marie Cheyenne - Enfermés dehors: Guitare voix, et quelle voix ! Textes et humour, à revendre!

 Marie Cheyenne, si elle s'appelle comme cela, c'est qu'elle est une guerrière, une guerrière avec une crinière, mais une guerrière qui chante. Vous l'avez peut-être déjà entendue, elle écume les scènes en Alsace (Strasbourg, Schirmeck, Oberhausbergen, Sélestat, Illkirch, Vendenheim, Illkirch, Wintzenheim,...) , même si ces derniers temps elle tourne plutôt dans le reste de la France. Alors, l'attraper à Drusenheim au Pôle Culturel, il faut le faire, il faut être un peu cow-boy et garder l'esprit joueur. Et l'esprit joueur elle l'a aussi. Mais pas seulement, parce qu'en plus de l'humour, elle a un sacré esprit critique. Mais surtout, elle est superbement servie par sa voix. 


Marie Cheyenne - Pôle Culturel Drusenheim - Photo: Robert Becker


Non seulement elle arrive à chanter en montant très haut dans les octaves, on pense des fois à Barbara, mais elle arrive aussi à faire des vocalises, à susurrer ou à chanter très vite, si vite qu'on n'a plus le temps de comprendre les paroles. Mais rassurez-vous, pour elle, les paroles sont importantes et, sauf pour ce numéro virtuose, elles sont toujours compréhensibles. Oui, les paroles sont importantes, parce que souvent les chansons sont bourrées d'humour, au premier ou au deuxième degré, quelquefois elles sont aussi engagées, mais pas chiantes pour autant, et elle sait même chanter des chansons à double sens, comme celle du tiramusi, (Plaisir coupable) une description suggestive de plaisirs solitaires. Et c'est un challenge réussi de sa part de la chanter juste après une chanson qu'elle a écrite avec une classe de primaire de l'école Jacques Gachot de Drusenheim avec le formidable engagement de l'enseignante. Elles ont fait fort parce que pendant ces deux mois de travail avec les élèves, Marie Cheyenne a même réussi à en créer deux avec la classe. Deux chansons qu'ils ont donc aussi interprétées sur scène.


Marie Cheyenne - Pôle Culturel Drusenheim - Photo: Robert Becker


Même que les élèves sont revenus la chanson des Cowboys et des Indiens, une chanson pas facile mais qu'il ont chantée sans difficulté (certain(e)s l'ont même chantée intérieurement - ils ne devaient chanter que le refrain. La première chanson qu'ils ont écrite est très touchante, elle parle de leur désir d'avoir un jardin secret, la deuxième est plus rigolote et parle de leurs peurs d'enfant et leur permet de les mettre à distance. Les enfants sont vraiment formidables, et l'on imagine que certains ou certaines se sont trouvé une vocation à les voir sur scène chanter et bouger.

Marie Cheyenne, c'est sûr, elle, a cette vocation chevillée au corps et elle se bat pour la cultiver, se moquant des obstacles, comme lorsqu'elle a sorti son premier disque en pleine pandémie en 2020. Et l'on imagine que le deuxième disque Enfermés dehors sorti il y a un an et qui a donne son titre au spectacle est une sorte de révolte par rapport au confinement, une sorte d'appel à sortir en brisant les barrières que chacun(e)s pourrait trouver sur son chemin.


Marie Cheyenne - Pôle Culturel Drusenheim - Photo: Robert Becker


Pour ce qui est du reste du tour de chant, celui-ci est vraiment très varié en style, puisque cela commence par de la musique dansante qui parle du Bal perdu, et suivent d'autre rythmes de danse, que ce soit la valse ou le tango et une, mélange de swing et de rock-an-roll. Les chansons sont souvent bien rythmées et la mélodie, accrocheuse sert aussi le message, engagé, mais pas triste, quelquefois avec de l'autodérision, comme Une Chanson formidable (agréable, irréprochable, interminable,...) ou cette chanson (Quand on vous aime comme ça) sur le prince charmant et la vie qui va avec, qui raconte sous couvert de conte de fée, une histoire malheureusement beaucoup plus déceptive, si ce n'est franchement tragique. L'histoire est racontée, avec verve, humour pince-sans-rire et entrain. Une chanson tout à fait de circonstance la veille du 8 mars, mais qui est d'actualité tous les jours de l'année. Elle fait aussi un hommage aux Beatles avec Demain où elle prouve qu'elle peut autant chanter en anglais que la nostalgie et la joie. Après avoir fait revenir sur scène les enfants pour C'est quand qu'on mange, elle tente d'embaucher les adultes avec une chanson d'Aristide Bruant Les Canuts, une chanson de combat. Elle est tout autant à l'aise avec sa flûte en interprétant un air de Brassens, un de ses inspirateur, que pour construire des boucles avec percus des doigts, guitare, voix pour mieux impliquer le public et faire les présentations de son équipe grâce à laquelle elle réussit à nous enchanter - et réfléchir - avec son spectacle. 


Marie Cheyenne - Pôle Culturel Drusenheim - Photo: Robert Becker


La soirée s'achève par un bis où, seule avec un tambourin, elle interprète a cappella et avec coeur une très belle et poignante version du Déserteur de Boris Vian pour couronner cette soirée pleine d'émotions de toute sortes.


La Fleur du Dimanche

samedi 1 mars 2025

La Forteresse au TNS: Se mettre à l'abri d'un monde de brutes, tout un art

 L'entrée du spectacle du groupe 48 du TNS La forteresse se fait par petits groupes successifs. Et la raison est que dans un premier temps l'on se retrouve dans un espace, un genre de salle d'exposition où l'on trouve, accrochés au mur ce qui pourraient être entre autres des oeuvres d'Art Brut, également des dessins-cheminements semblables aux "lignes d'erre" comme celles tracées par Fernand Deligny, et d'autres objets ou sculptures et également une grande marionnette en carton. 


La Forteresse - TNS - Groupe 48 - Photo: Robert Becker


La Forteresse - TNS - Groupe 48 - Photo: Robert Becker

Dans un coin, une vidéo témoignage de la découverte de ces "trésors" du "patrimoine culturel et artistique des hôpitaux et cliniques psychiatriques françaises". Il y a aussi des casques pour écouter l'histoire de Sylvain. Un plan de cette salle est distribué aux "visiteurs", qui, passant une petite porte vont se transformer en "spectateurs" à qui l'on présente quelques "tableaux" mimés. 


La Forteresse - TNS - Groupe 48 - Photo: Robert Becker

La Forteresse - TNS - Dessin Angèle - Photo: Robert Becker



Et puis un texte est dit dans le noir, parlant d'un souvenir d'enfance, le souvenir d'un manège, délimitant dans la perception deux espaces, cet espace de bonheur, coupé de tout et le monde réel qui ne l'est pas tant que cela. 


La Forteresse - TNS - Elsa Revcolevschi - Photo: Jean-Louis Fernandez

Un peu à l'image ce que nous vivons ou allons vivre ici même comme spectateur: Une histoire qui semble bien réelle, mais dont nous nous doutons de la réalité, de la vérité, mais qui, dans son déroulé va nous confronter à des choses, des évènements, des relations, une organisation qui nous permettront de mieux comprendre et éventuellement approuver et soutenir ce qui se passe sous nos yeux. En l'occurrence une histoire issue d'une écriture collective de la metteuse en scène Elsa Revcolevschi avec les six acteurs qui vont magnifiquement incarner leurs personnages bien sentis. Sa mise en scène, soutenue par la dramaturgie de Vincent Arot et la scénographie de Mathilde Foch nous emmène dans une univers assez étrange et changeant auquel contribuent grandement les éclairages de Clément Balcon.


La Forteresse - TNS - Elsa Revcolevschi - Photo: Jean-Louis Fernandez

Pour commencer, comme une fête, un défilé, un manège de carnaval, ces comédiens déguisées en cheval, cigogne et autres personnages mystérieux dans de très beaux costumes (superbes costumes de Salomé Vandendrieschen) vont faire la parade avant le début des hostilités, en l'occurrence la réunion matinale d'organisation de la vie de ce que l'on devinera être une institution psychiatrique d'accueil un peu à part, laissant la bride au cou des patients et les impliquant totalement dans cette vie et ses activités, que ce soit ménagère (nettoyage, mise en place des repas,...) et d'animation, dont la rédaction d'un journal où chacun peut proposer son papier ou exposer dans une interview ses créations. Cette réunion va nous permettre d'observer ces êtres un peu singulier et essayer de déceler leur "normalité" ou leur "singularité".  


La Forteresse - TNS - Elsa Revcolevschi - Photo: Jean-Louis Fernandez

Petit jeu que l'on va pouvoir poursuivre tout au long de la pièce, découvrant aussi que la frontière est fragile et que certain(e)s cachent des failles ou des pas toujours évidentes. Les  six actrices et acteurs sont tous et toutes impeccables dans leur jeu, bluffant de justesse jusque dans le moindre détail. Il y a là et sans classement aucun, le personnage de Sylvain, que Judy Diallo arrive à faire bouger dans une instabilité sidérante, accompagnant les gestes d'hésitations et de tremblement plus vrais que vrai. Son vocabulaire poétique et surprenant caractérisant aussi cet être qui a son univers propre. 


La Forteresse - TNS - Elsa Revcolevschi - Photo: Jean-Louis Fernandez

Tout comme Thomas Lelo qui joue très bien l'absence fréquente de François, perdu dans ses pensées et des histoires naturelles très documentées, Gwendal Normand qui donne à Mathias une épaisseur indéfinie, laissant sourdre des inquiétudes tout en le montrant très organisé. Un personnage très riche et en quelque sorte un peu pivot dans la pièce. Il y a aussi les femmes, Blanche Plagnol qui joue Angèle qui prend en main son destin et la guitare, compagnonne de galère et chantant sur le radeau, Apolline Taillieu avec ce personnage de Suzie qui se crée sa carapace, ses rites, ses attitudes, campant une rigidité qui se libère quelquefois, frémissante des doigt et de la langue quelquefois et ne lâchant pas son petit sac. 


La Forteresse - TNS - Elsa Revcolevschi - Photo: Jean-Louis Fernandez

Elle nous sert une magnifique scène de repas avec Mathias qui arrive à s'immiscer dans ses protections et nous offre aussi en un très court résumé de son arrivée à la clinique une précipité de la philosophie et des usages de la clinique. Et il y a aussi Maria Sandoval en Freudelina, la reine des cuillères, qui pilote ce navire non sans inquiétudes et qui va, en toute modestie partager le cap de ce navire en perdition et dont l'équipage cherche un nouveau rivage.


La Forteresse - TNS - Elsa Revcolevschi - Photo: Jean-Louis Fernandez

La pièce, toute en humour et en observations judicieuses nous déconstruit d'une certaine manière nos habitudes de lecture de la folie ou de la différence et interroge le partage des responsabilités et l'inclusion réfléchie. Elle montre également la dérive actuelle de la prise en compte de ce travail, en quelque sorte une régression vis-à-vis des démarches antérieures d'ouverture et d'expérimentation, même de la suppression de ces méthodes progressistes de soin et d'intégration de ces personnes à la marge. C'est un témoignage fort de la fin de certaine pratiques et un essai de survivance de leur mémoire.


La Forteresse - TNS - Elsa Revcolevschi - Photo: Jean-Louis Fernandez

Un spectacle à la fois éclairant et vivifiant, salutaire en ces temps quelque peu restrictifs. En tout cas une très belle réussite.


La Fleur du Dimanche